On lira sur les sujets abordés dans ce livre bien d'autres essais bien plus renseignés et même sans doute plus passionnants. Mais le mérite de
François Henry est de relier les sujets entre eux : de montrer que s'interroger sur un avenir possible, à l'heure où il semble de plus en plus condamné, implique de poser la question du travail ; et d'en revenir à celle du sens.
Le sens dans toutes ses dimensions c'est-à-dire subjective (intérêt du travail pour son auteur, donc usage et développement des compétences de chacun dans le travail), objective (intérêt du travail réalisé pour la société) et collective (organisation du « travail ensemble »).
S'appuyant principalement (mais pas seulement) sur les pensées brillantes et fécondes de deux très grandes dames,
Simone Weil et
Hannah Arendt, Henry, de manière sans doute un peu trop rapide quand même et qui aurait surtout méritée d'être plus étayée (son terrain est mal présenté et pas du tout contrôlé ni contrôlable), nous montre donc ce que d'autres (je pense à
Bernard Stiegler par exemple,
Alain Supiot, Yves Clot,
Christophe Dejours,
Marie-Anne Dujarier,
Vincent de Gaulejac…) ont largement montré : l'économie (au sens de la gestion de la maison commune Terre) assassine le travail aussi sûrement qu'elle assassine la planête. Marx l'avait déjà brillamment dit en soulignant que « le capitalisme épuise deux choses : le travailleur et la nature ». Et il est illusoire, et même trompeur, de penser que la nouvelle économie (qui n'a de nouveau que le nom) qui se targue de redonner de l'autonomie aux salariés (règne surtout du chacun pour soi et que le plus débrouillard gagne) et de dématérialisation (mon oeil) dans des prétendues entreprises plus ou moins libérées (libérées surtout d'une pensée critique) changera quoi que cela soit à l'affaire, quand ces « startup » ne sont, comme les autres, motivées avant tout que par l'appât du gain et le goût de l'entreprenariat (devenu le sens de la réalisation de l'individu : se réaliser en soi et pour soi). Ici pas plus qu'ailleurs on ne remet en question le sens de cette liberté d'entreprise : Pour quoi faire ? Quelle utilité collective ? Ici autant qu'ailleurs on court surtout contre les autres plus qu'avec eux. Ici aussi, ici plus encore qu'ailleurs, on laisse les nouveaux percepts et les concepts foireux penser à notre place. Ici, comme avant donc, la pensée est au service d'un « projet » qui ne permet pas de faire « société » et n'offre aucun avenir commun.
Bref, un essais facile et intéressant ; pas renversant mais qui au moins va dans le bon sens.