Judith Hermann maitrise l'art de la nouvelle, son premier recueil connu un succès important dans son pays, l'Allemagne avec Maison d'été, en 1998, puis continuera avec d'autres recueils,
Alice en 2011,en autre et aussi publiera un romans,
Au début de l'amour en 2016. Cette auteure Allemande aime la nouvelle et avec
Certains souvenirs, elle continue comme un architecte, ce kaléidoscope de souvenirs diverses des 17 nouvelles, à construire cet édifice d'émotions et cimenter les petites choses qui bouscules des destinées. J'ai aimé plonger ma critique dans toutes ces petites histoires pour capter au plus profond le nectar même de l'écriture de
Judith Hermann et emprisonner ces 17 nouvelles dans mes griffes et vous les faire partager et vous donner envie de vous y plonger.
Charbon, première nouvelle de ce recueil respire à merveille la poésie diffuse de
Judith Hermann. Tout débute par le déchargement du charbon, cet or noir pour se chauffer, 7 tonnes à véhiculer à l'intérieur, à la main, ces anonymes dans l'effort au coeur de leur ferme travaillent lorsque cet enfant à vélo rompt cette cérémonie pour dévoiler la trame nouvelle, cette dramaturgie absconde. Une tendre douceur sombre enveloppe cet enfant, celle de sa maman, morte par amour, s'isolant en elle-même pour s'éteindre, laissant cet héritage lourd à son fils unique de 4 ans, devenu orphelin utérin, adopté par ces travailleurs où soudain leur charbon se transforme en hosties dans les mains de cet enfant.
Fétiche est une douceur étrange, comme un souffle de vent léger transportant cette petite histoire légère de ce jeune garçon de sept ans, venant près du poêle de cette roulotte où attend Ella dehors dans la pénombre du soir tombant lentement sur ce paysage statique. Dans ce décor, trône au loin cette maison solitaire, des drapeaux fades Tibétains, usés par le temps sont accrochés aux arbres, avec des autres roulottes inconnues côtoyant celle d'Alla qui attend toujours son Carl, cet homme mystérieux. de cette longue attente dans cette roulotte de cirque, cette petite maisonnette à l'effluve des deux corps de ce couple ou pas, Alla et Carl, naitra cette rencontre. Une curieuse conversation s'installe entre ce petit garçon est cette femme seule attendant, puis cette photo mystérieuse de ce garçon désirant l'offrir à tout le monde, que tous refus comme Ella pour devenir une flamme incertaine et furtive, comme cette rencontre, Ella et ce garçon unit dans cette nuit près du feu, comme une brulure tendre s'évaporant dans l'incertitude du moment, devenant un rêve, un mirage, une rencontre.
Solaris est un conte étrange, les mots sont comme fuyants, cet empilement savant de phrases embrase l'incertitude, comme un rêve de petites filles avec cette promesse enfantine de rester toujours ensemble dans cette demeure d'étudiante. Deux jeunes femmes Ada et Sophia, la première étudie la photographie, le seconde le théâtre à l'école supérieur d'art cohabitent un appartement aux couleurs de leur âmes différentes, séparé par une porte à deux battants, coulent deux vies opposées, pour s'éteindre par la vie d'une séparation mais toujours des nouvelles entre des ces deux femmes. Solaris semble être un conte, un rêve, un souvenir, une atmosphère de songe caresse cette nouvelle, les décors, les personnages sont comme des fantômes, les années s'évaporent, Ada et Sophia se retrouvent, chacune vivant sa vie, elles sont devenues mères, chacune de trois enfants puis le théâtre les réunis, Solaris est la pièce où Sophia jouera, où leur vie se bouscule encore une fois.
Poèmes, reste une prose curieuse de la relation d'un père âgé au bord de la folie, perdu dans un asile et sa fille lui rendant visite avec des gâteaux achetés à la pâtisserie du bas du bâtiment où son géniteur rode dans son mal être poétique. Subtil, cette nouvelle absorbe l'errance névrotique invisible et loufoque de la peur des poèmes, de cette fièvre rongeant ce père à la dérive sous le regard de sa fille et de son mari.
Lettipark trouble de son intemporalité, de cette petite histoire légère d'une rencontre visuel de deux femmes Elena et Rose, au passé commun d'un homme Page Shakusky. Ce décor banal, une caisse d'un magasin, des courses sur le tapis, une caissière puis ces deux femmes avec leurs hommes respectifs, un Indien pour Elena, l'autre Paul, de cette rencontre silencieuse, Rose n'oublie pas leur stigmate charnelle, puis cet album photo du Lettipark pour Elena, confectionné par amour par cet homme Paul, coureur de belle fille comme Rose aussi qui l'avait éconduit. L'amour est ce rêve d'un visage, hantant les soirs, le souvenir se grave en soi, pour séduire encore et encore notre force d'aimer. Rose n'oublie ce moment d'avoir été pour Page ce visage et imagine Elena dans Lettipark, son passé, cette rencontre sans mots est troublante d'émotion.
Témoins est une petite scène dans un décor de café populaire avec deux couples, l'un au bord de la crise Ivo et la narratrice, l'autre, Henry et Samanta, cette dernière doit remplacer Ivo à son poste à l'institut. Ce repas coule les anecdotes de chacun, sur le poisson, la lune, leur rencontre et
Neil Armstrong. Celle de l'homme de la lune est si belle, si poétique, si agréable qu'elle enchante la narratrice d'un émoi tendre.
Avions en papier à cette magie enfantine de rompre cette réalité humaine, celle d'un entretien d'embauche celui de Tess, mère célibataire de deux enfants, Luke malade et Sammi aux prémices de la maladie. Alors la jeune maman se prépare avec ses deux enfants, demande à un ami, Nick, sans préciser s'il est son petit ami de venir garder les deux malades en herbes, il aime ces deux enfants, même s'il n'est pas le père, une tendresse s'installe, dans la relation entre cette femme et cet homme, un jeu savoureux, comme un vieux couple, chacun connaissant l'autre. Pour émerveiller les deux garçons, ils fabriquent des avions en papier avec leur nounou pendant que leur maman se trouve à cet entretien pour ce travail dans un service de psychiatrie. Ces avions amusent les enfants, devenant source de défit, battre le record de durée de vol. Toujours cette poésie des petites choses venant adoucir la réalité troubles, tel un entretien d'embauche !
Îles est une réminiscence du passé, d'une photo Iris se reconnait plus jeune avec Martha puis vagabonde ses souvenirs pour faire resurgir l'histoire de cette image.
Judith Hermann avec cette douceur même erre dans le passé pour sublimer l'éphémère essentiel. Martha et Iris semble vingt plus tard prisonnière de cette photo et de ce passé où les souvenirs s'estompent.
Pollen de peuplier reste une nouvelle sur un moment précis qui à la base semble insignifiant, une anecdote dans un souvenir plus vaste, une visite où le vin s'ouvre et les petits amuses bouches s'ensuivent. Un couple unit depuis vingt-sept ans, Robert et Bojana que rend visite la narratrice Selma, séparé depuis peu de Markovic, frère de Bojana, l'ambiance est agréable, les conversations sont usuelles. le souvenir de cette soirée se grave dans cette minuscule anecdote du pollen de peuplier à la combustion facile, provoquant un feu de fumée faisant intervenir les pompiers, mais dans le souvenir de Selma cette réflexion perdure, elle se dit l'amour pourrait être une combustion instantanée, mais l'idée même est instable, et la rejette. L'instabilité semble être l'adage de cette nouvelle, l'amour se meurt et les personnes se quittent, même Bojana et Robert.
Certains souvenirs est le titre du recueil de
Judith Hermann, il exprime avec exactitude l'esprit de ce livre, le lien du passé gravant ces lettres de noblesses dans cette empreinte de la vie qui creuse ce sillon incertain que l'on dirige selon nos rencontres, nos choix et notre volonté. Maude loge dans une chambre chez Greta, une veuve octogénaire, âgée de plus trente ans, elle travaille dans un restaurant mexicain comme serveuse, depuis six mois, elle vit dans cette maison avec cette vieille femme, entourée des souvenirs de cette dame, de ces livres qui habillent le décor du séjour, et comme une étincelle, un moment passé s'éclaire dans l'esprit de la vieille femme, celui au lac d'Iseo, lieu de vacances où doit partir Maude pendant deux semaines, laissant Greta toute seule avec sa vieillesse et sa solitude. Ce souvenir étrange, dramatique, comme une protection, de l'inquiétude de Greta qui essaie de protéger maladroitement Maude.
Cerveau est une nouvelle plutôt étrange, la parcourt d'un couple Philipp, quinquagénaire et sa compagne Déborah, quinze ans sa cadette pour avoir un enfant, décide d'adopter dans une agence qui accepte ce couple hors sociétale, un père trop âgé, qui confie que des enfants d'origine russes. Mais cette petite histoire se fissure lentement, le cerveau devient le personnage centrale, comme un fantôme venant hanter ce couple avec leur enfant de trois adopté, cet enfant au doux nom slave Alexeï, rebaptisé Aaron plus tendre au goût des parents, statique de leur enfant sans saveur, autiste ou pas.
Lettre est escapade froide de vieux amis d'enfances vers un endroit appelé terre très lointaine, comme un pèlerinage. Walter et sa femme Edna, un couple âgé, lui ancien ophtalmologiste, devenu un « petit dingue », aimant ses racines germaniques pour s'abreuver de ces livres en langue allemande, il philosophe, il est ingénieur, il est très intelligent, nous aimerions être de sa famille pour le côtoyer et vivre sa générosité, comme la narratrice faisant un détour pour lui rendre visite.
Rêves est comme le titre de cette nouvelle, un songe lointain, deux amis l'une après l'autre se sont fait psychanalyser par le même professeur, le Dr Gupta, un homme énigmatique. La première Effi, pendant trois ans avait ce mystérieux rendez-vous, puis venait rejoindre son amie Teresa au café
Youri Gagarine. Puis ce rêve d'Effi racontée à son amie, étant l'héroïne Teresa comme par un transfert épouse ce rêve et sombre pour avoir recours à ce Dr Gupta et de même rompre son amitié avec son amie pour l'éviter. Un ricochet tinte la nouvelle, l'une après l'autre elle se plie à cette psychanalyse pour se perdre dans ce rêve abscond ou réel.
Est est une nouvelle assez différente des autres, elle est au présent, pas une anecdote passée mais une petite scène actuelle à Odessa, ville Russe. A la sortie du train un couple Jessica et Ari sont à la recherche, non pas au grand dam de sa femme d'un hôtel, mais d'une personne proposant des chambres comme le souhaite le mari.
Judith Hermann propose une situation cocasse, tendre et critique aussi, celle de ce pays pauvre face au confort occidental recherché par Jessica. Cette femme aime pouvoir avoir la joie d'un chambre à la hauteur de ses envies mais elle se retrouve dans les bas-fonds d'Odessa, une prostituée, un frigo poussiéreux, une chambre pittoresque cachée dans une sorte de bidonville silencieux, se fracture alors ces deux mondes, les autochtones pauvres et ces touristes d'un milieu financier aisé.
Retour éveille une romance lointaine, endormie dans l'oubli de la vie. le retour de Ricco, ami d'enfance de la narratrice enfante les souvenirs de ces deux amis, de la maternelle à la fuite de Ricco vers sa destinée, laissant enceinte son amie, lui, trouvant refuge dans une carrière de solitude mais pécuniaire. Lorsque les souvenirs cachent une absence invisible, celle de l'essentielle, la pensée réelle d'une amie, l'amitié féconde unissant leurs âmes, leurs esprits, leurs êtres.
Croisements, encore une nouvelle surprenante sur la croisée des chemins, celui oxymorien de deux mondes s'affrontant, deux classes sociétales. Un propriétaire André, peu bavard avec ses voisins, Patricia et Vito, loue sa maison à une famille, plus ou moins spéciale, une tribu au sens morale inexistant, une mère détestable, deux filles étranges et un fils voyou, le père en prison de temps en temps après ces crises violentes conjugales. Ce passage de cette famille entrainera l'acquisition de cette maison par ce couple, comme une aubaine, André âgé ose vendre pour faire fuir cette famille destructrice. Un mal pour un bien, un mal pour un bien peut-être !
Mère dernière nouvelles de ce livre clôt avec tendresse et douceur ce recueil de vies. La famille semble aller au-delà du sang lorsque coule dans nos veines une amitié d'une vie comme la maman de la narratrice, avec sa meilleure amie Margo et sa mère. Une jolie nouvelle mélancolique, le secret réside dans le coeur de chacun, une vie s'épaissit des autres et leur amitié.
Bonne lecture à vous sera ma conclusion, merci à masse critique pour m'avoir choisi pour ce recueil et me faire découvrir
Judith Hermann.