J'ai pris l'habitude de lire les recueils de nouvelles dans l'inspiration du moment, selon les titres. Tout où presque prend ses racines dans l'enfance... Une bonne raison de commencer par « Âme d'enfant ». Ensuite vient le jeune homme amoureux dans « La scierie de marbre », puis à un âge plus avancé « Klein et Wagner » avec une rupture radicale dans une vie de famille bien installée, et enfin, avec «
Le dernier été de Klingsor », une période de solitude comme on en connaît tous au moins une fois dans la vie. Quatre périodes de la vie, quatre « saisons » que j'évoque ici dans mon ordre de lecture, formant en arrière-plan un autoportrait précis et complet de l'auteur à travers ses personnages de fiction.
Âme d'enfant :
Racontée à la première personne, est une histoire que j'ai particulièrement aimée. Au bord de la dépression, se sentant « petit et nul », en conflit avec son père, le chemin à trouver dans cette vie compliquée ne va pas de soi pour ce petit garçon au langage soutenu d'écrivain confirmé. Avec la peur de tomber dans le mal, le vol, voire dans le crime. Désordre intellectuel provoqué par le poids d'une éducation religieuse destinée à briser toute résistance. L'auteur cherche aux tréfonds de l'âme humaine, explorant en précurseur, il y a un siècle de cela, les sentiments d'un enfant insoumis. le propos n'est pas à la légèreté même si l'auteur a recours de temps à autre à l'humour.
La scierie du marbrier :
Le narrateur a réussi ses examens. Il a vingt-quatre ans et ce qu'il faut d'argent pour passer deux mois de vacances sans soucis. La nature est exubérante en ce beau mois de juin.
Il est dans cet « élan irrésistible vers le bonheur », évoqué dans la nouvelle Klein et Wagner. Au milieu d'un vallon boisé il découvre une scierie de marbre et fait la connaissance du propriétaire et de sa fille Hélène. le jeune homme est libre, voit s'ouvrir tous les possibles et ne rêve qu'à l'amour. Il perçoit que la jeune fille mélancolique, restant à distance, cache un secret. C'est la nouvelle la plus courte du recueil, peut-être trop courte pour faire passer aussi vite d'une idylle à une vraie tragédie. Angoisse, mystère, amour et mort sont les ingrédients de cette histoire ouvrant le recueil.
Klein et Wagner :
Dans ce récit plus question d'un enfant ayant volé des figues à son père mais d'un dénommé Klein en rupture avec sa femme et ses enfants, fuyant vers l'Italie sous un faux nom – revolver en poche – après avoir détourné de l'argent à son entreprise. Comme une prise de distance avec ce personnage sulfureux, le récit est raconté à la troisième personne. Les thèmes sont l'amour et la dépression, l'espoir d'une nouvelle vie, d'une rencontre qui change tout.
Peut-être la nouvelle la plus tourmentée, à la limite du fantastique avec hallucinations proche de la folie.
Le dernier été de Klingsor :
La religion est présente et Dieu invoqué régulièrement. le Dieu de
Hermann Hesse n'est pas un Dieu soumettant l'homme, il semble plutôt assimilé à la nature, à la vie dans son ensemble dont l'homme n'est qu'un élément parmi d'autres. A travers ce peintre nommé Klingsor, l'auteur mène une introspection poussée sur la fonction de l'art et sur la mort. Un court roman qui me semble donner un reflet particulièrement saisissant des aspirations et des angoisses d'
Hermann Hesse :
« Il plongeait furieusement son pinceau dans le cadmium ou le cobalt aux fraîches tonalités, il étirait par touches fluides la laque de garance à travers l'or et le vert du ciel. »
J'ai aimé et trouvé très actuelle la façon qu'à le narrateur de voyager dans des contrées extraordinaires… en fait dans la campagne environnante, par sa seule intense vie intérieure. On est loin des impératifs modernes de consommation effrénée, d'impératifs de destinations lointaines ! Lui trouve l'exotisme au cours d'une promenade ou à l'évocation d'un poème avec un ami.
La chute est à la hauteur de cette belle et longue nouvelle.
Hermann Hesse est un écrivain, poète et peintre allemand, ayant pris à partir de 1924 la nationalité Suisse, lauréat du prix Nobel de littérature 1946. Sa famille était dans la frange piétiste du protestantisme allemand, prônant une éducation extrêmement dure. Homme revendiquant son libre arbitre, il gardera toute sa vie une opposition farouche à l'autorité. Quand il écrit Âme d'enfant c'est un peu la sienne qu'il décrit ; Klein et Wagner représente la fuite et l'errance qu'il a connu plusieurs fois.
le dernier été de Klingsor est le reflet du grand promeneur qu'il a été, peignant des paysages. La fiction part chez lui de ce qu'il a vécu, toujours...
La nature, les saisons, les couleurs sont au coeur de récits où il explore et peint l'âme humaine, exaltant la vie quand elle n'est pas sous contrainte. Il y a là bien des raisons de nous y intéresser face aux questions actuelles de dérèglement climatique et d'injonction à la soumission à un ordre du monde pourtant mortifère. Écrits bien avant le loup des steppe et
Narcisse et Goldmund, ils sont d'une grande modernité et donnent un bel aperçu du génie de cet immense auteur. C'est mon avis… le partagez-vous ?
Certains éléments biographiques repris dans cette chronique sont tirés du documentaire : «
Hermann HESSE – Un siècle d'écrivains : Être poète ou rien du tout ». Je vous le recommande si vous vous intéressez à cet auteur !
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Chronique avec photos sur Clesbibliofeel ou Bibliofeel, lien direct ci-dessous...
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