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EAN : 9782070133642
608 pages
Gallimard (22/01/2015)
1/5   1 notes
Résumé :
Avec cet ouvrage, Axel Honneth marque une étape décisive dans ce qu'il appelle «le parcours de la reconnaissance», c'est-à-dire l'appréhension de la société contemporaine comme mue par les luttes visant à la reconnaissance par autrui de la spécificité et de l'égale dignité de chaque individualité. Prônant une répartition équitable des libertés individuelles entre tous les membres de la société, il repense à nouveaux frais une théorie de la justice, qui, afin d'échap... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Zut, zut, zut, moi qui me disais que j'allais rédiger une critique dithyrambique en lisant la première partie, je n'ai cessé dans la deuxième et la troisième de me sentir grimacer de plus en plus jusqu'à me retrouver maintenant avec plein d'arguments négatifs...

Disons tout d'abord que l'écriture d'Honneth-Rusch est toujours aussi séduisante et incroyablement fluide : pour de la philosophie, pour un texte de théorie allemande, pour un texte traduit. La théorie allemande est souvent très théorique, limite planante, avec cette tendance qu'elle a à retirer des phrases tout ce qui pourrait laisser soupçonner l'auteur d'avoir eu la moindre expérience pratique de quoi que ce soit qui vive et remue sur la terre, et donc parfois, d'expression figée, comme s'il fallait réfléchir par blocs, ce qui met le cerveau en ébullition mais ne favorise pas toujours la lecture en format poche. Avec Honneth, c'est comme avec Marx ou Sartre : ça dépote - et c'est formidablement plaisant. Problème, on perd parfois en précision... ou en synthèse. Mais le principal problème n'est pas là.

D'abord la liberté, par principe, n'est pas un droit. La liberté, c'est la liberté, elle fait ce qu'elle veut. Déjà donc, le titre est une contrainte.

L'idée de l'ouvrage est ambitieuse : puisque nous sommes entrés dans l'ère de l'intersubjectivité et de la communication, la liberté, qui organise les relations sociales, ne peut plus être définie selon l'individu seul - façon idéalisme et romantisme - tentons de voir si l'on ne peut pas en faire une institution, un réservoir si l'on veut, de liberté, dans laquelle chacun puise ce qui lui est nécessaire pour mener son existence.

Il ne s'agit plus de concevoir la liberté négative en enfants capricieux qui ont cette exigence impérieuse de faire tout ce qui leur plaît sans considération pour la richesse qu'ils tireraient d'en changer l'impulsion erratique en volonté, comme Hobbes et Sartre ; il ne s'agit pas non plus de poursuivre cette définition positive d'une auto-détermination à tendance moralisante qui retire l'individu dans son monastère intérieur, comme Rousseau et Kant ; il s'agit de définir ce que serait cette liberté qui historicise les progrès sociaux des luttes sociale dans des institutions qui garantiraient la possibilité de la reconnaissance ; nous avons dit : la liberté sociale.

On est prévenu d'emblée, pour parler du "droit de la liberté, on n'y parlera pas de droit, de juridique, de légalité, toutes ces choses qui enferment par au-dessus et qui entravent les mouvements du monde de la vie, qui, elle, doit rester "réellement libre". Pourtant, dans la troisième partie, c'est bien ce qu'il se passe. Au prétexte de proposer une "reconstruction sociale", thème cher à Habermas, son maître, et dont la visée consiste à retracer les conditions historiques dans lesquelles ont émergé les états de la société contemporaine pour en procéduraliser le développement à venir, A. Honneth fait l'historique de trois sphères qu'il a préalablement identifiée comme composant le "monde de la vie" : la sphère intime, l'économie de marché et la sphère politique.

La troisième, la politique, est la moins surprenante : luttes sociales, théories politiques... La seconde en revanche fera bondir à mon avis tous ceux qui ont un peu d'expérience en entreprise : c'est une vision complètement aberrante de l'activité entrepreneuriale et du salariat : idyllique et tellement confiante dans la bonne volonté des parties et la valeur des contrats... C'est, pour A. Honneth, la sphère la plus contractuelle... Il n'a pas dû avoir beaucoup d'expérience sur l'emploi que font certains des contrats dans le monde économique ! cette partie est donc la moins convaincante.

La première, sur la sphère intime, trahit l'engagement premier : il s'agit d'institutionnaliser, ou de légaliser l'amitié, l'amour et les rapports familiaux. Mais on ne peut pas conceptualiser l'amour, l'amitié, non plus d'ailleurs qu'aucune émotion : précisément, les émotions sont du domaine de l'intangible, de l'inaccessible, de ce que l'on tente d'appréhender et de définir (et que l'on finit parfois par mettre de côté par simplicité). Il me semble que l'emploi que l'on fait des sentiments n'a de valeur objective que dans un contexte social : c'est la situation de la société qui fait que, publiquement, je qualifie telle relation à telle personne d'amicale, de professionnelle, d'amoureuse. C'est la relation que l'on qualifie, non le sentiment, qui reste personnel, parce, justement, d'une folle complexité. Un jour, un responsable a dit en public : "je vous présente Christine qui est mon assistante, et même un peu plus". Il voulait dire : "son investissement est très supérieur professionnellement à ce qu'on entend d'ordinaire par le mot d'assistante". Reste que toute l'assemblée a compris ce qu'on a compris et que, subitement, une relation sociale s'était créée par la maladresse de l'expression d'un sentiment qui ne voulait pas du tout dire ce que l'on a compris.

Outre ce petit exemple qui montre la difficulté de l'usage des émotions en société, A. Honneth se contredit dans son enthousiasme à évoquer la liberté, partout et toujours, comme dirait Proudhon. Ce serait une formidable liberté que les gens puissent, depuis le Moyen Âge, créer des relations amicales et amoureuses avec qui ils veulent et comme ils veulent, mais il est à regretter que la pression de la société capitaliste (celle qui s'autorégule par les contrats dans la partie suivante...) impose son rythme et ne donne pas assez sa place au déploiement des émotions. Si l'on veut. Sauf qu'au Moyen Âge, justement, il fallait regretter que les relations amicales ne fussent organisées et entretenues que pour des motifs purement intéressés et que les mariages ne fussent conclus que pour allier des familles... si bien que, finalement, la situation n'a pas changé : ce sont toujours des intérêts matériels qui contraignent l'amour et l'amitié : où est le gain de la liberté dans cette histoire et ne faut-il pas plutôt se demander pourquoi les populations sont si enclines à se laisser dicter un rythme qui, soi-disant, les contraindraient tant ? C'est peut-être ici que la liberté négative aurait eu sa place : on ne sait peut-être pas toujours ce qu'on veut et parfois, on veut seulement ce que les autres veulent que vous vouliez... ce qu'ils veulent... de vous ! ... en attendant d'en savoir plus...
Enfin, l'analyse de la famille se conclut sur l'idée assez surprenante que la famille en vient, il faudrait s'en réjouir, à devenir une petite démocratie ; les enfants apprenant à coopérer avec les membres de la famille comme dans la société... mais où sont les tribunaux, que fait la police, faut-il organiser des référendums et des campagnes électorales pour partir en vacance, lutter contre le terrorisme ?....

Cette partie est donc formidablement spéculative et tend à écraser les relations intimes dans une forme de réification (pour reprendre un de ses autres ouvrages) ou à force de "positiver", on en vient à faire des personnes des robots collaboratifs qui sont priés d'utiliser les mots d'amour et d'amitié comme on leur a demandé qu'ils en usassent et qu'ils élèvent leurs enfants comme des collègues de bureau, et on nie ce qui fait la valeur de l'existence : la vie intérieure, l'hésitation, le doute, l'engagement impulsif que l'on regrette, la tentative déraisonnée, et l'arraisonnement des proches qui, parce qu'ils ne sont ni des élus, ni des collaborateurs, des subordonnés et des patrons, vous disent vos quatre vérités et régulent peut-être mieux que des institutions votre comportement - lequel trouve, dans l'anonymat de la société civile de quoi exprimer en retour la violence qu'il ne peut imposer aux proches. Bref, on nie la liberté : la sphère intime semble par principe échapper à la liberté sociale, parce que la relation personnelle n'est peut-être pas le lieu de la liberté.

Reste la deuxième partie. Elle vise à définir les modes de liberté de la société contemporaine : liberté juridique (sous quelles conditions puis-je faire un procès), liberté morale (à quelles conditions maximisé-je ma liberté en dénonçant mon collègue que j'ai surpris en pleine action de plagiat). Ce qui ne va pas, c'est que la prémisse initiale était celle de l'intersubjectivité : la liberté sociale est une liberté partagée. Dans cette société, on n'exige donc pas que les gens soient autonomes et responsables. On considère que c'est la société qui est responsable pour tout le monde - et bien évidemment, tout le monde, y compris le passé, pour la société. Mais pas que je sois responsable de moi-même toute seule devant la société. Or toute cette partie ne cesse de revenir sur l'intention individuelle, la volonté, l'aspiration, le savoir de l'auto-réalisation de soi : on est sans arrêt chez Kant et dans une conscience parfaitement sûre d'elle-même, qui juge et connaît par avance son chemin dans le monde. Où est le partage social ici ?

Un autre élément caractéristique est la réflexion sur la possibilité de l'universel exprimé par des sujets situés. La question est millénaire, mais la réponse aurait pu se trouver dans la liberté sociale (je ne donne pas ma réponse, il faut savoir garder ses secrets). Or A. Honneth en reste à cette idée très classique que la réflexion théorique s'obtient par une lutte contre... ses intérêts personnels, ses sentiments, ses émotions, ses liens d'amitié et familiaux !.... Finalement, c'est la société qui est une grande famille plutôt que la famille qui est une petite démocratie !

Non ça ne va pas : tout est trop plat, trop uniforme, on ne peut pas d'un côté parler de théorie pure et de l'autre côté d'un monde de la vie "pur" si l'on s'en tient à dire que qui vise à produire des énoncés universels se limite à viser la situation idéaliste d'une conscience pure de tout soucis matériels et de toute attache personnelle, comme si A. Honneth, qui a passé sa vie à lire et à écrire, ne s'était pas arrangé avec ses sentiments et son intérêt personnel et qu'il découvrait comme un jeune adolescent (pardon pour lui) que les émotions ne s'opposent pas à la raison mais "sont" la raison... et que les amitiés et les intérêts que l'on a quand on passe sa vie à penser pour les autres sont aussi des amitiés avec des personnes qui se sont détachées de l'importance de la ferveur émotive et de l'intérêt matérialiste à tendance égocentrique... à moins, bien sûr, de travailler à Harvard. Mais Francfort n'est pas Harvard. Ne pas l'évoquer laisse un arrière-goût de duperie étrange... et détourne l'auteur de sa recherche de solutions qui donneraient à sa théorie une structure plus cohérente...

En un mot, il faudrait vraiment reprendre en abandonnant les préjugés idéalistes qui trouvent dans l'espace de la raison pure toutes les solutions au problème de la contingence ; il faudrait abandonner ce clivage entre entendement logique et émotions trompeuses qui n'a rien à faire dans un texte contemporain ; et il faudrait arrêter de parler du monde économique comme d'un marché autorégulé animé par le besoin d'une réalisation commune qui n'aurait rien à voir, ni avec la sphère privée, ni la sphère publique.

En somme, l'idée d'une liberté institutionnelle et sociale est enthousiasmante, mais le traitement est trop spontané, pas assez contraint peut-être par les prémisses sur lesquelles il repose ; dira-t-on qu'il est trop... libre ?...
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Le droit, pourrait-on dire, doit générer une forme de liberté individuelle dont il ne peut lui-même ni produire ni maintenir les conditions d'existence ; il vit d'un rapport purement négatif, à l'origine d'interruptions, à un contexte de pratique éthique qui pour sa part, s'appuie sur l'interaction sociale de sujets ne coopérant pas ensemble sur le mode juridique.
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Je m'oppose très explicitement aux tendances consistant à ne développer les fondements d'une théorie de la justice que sur la base de concepts juridiques.
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La liberté signifie ici l’expérience d’une situation personnelle exempte de toute coercition, et d’un enrichissement de la personnalité - un type de liberté résultant du fait que nos objectifs sont favorisés par les objectifs d’autrui
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Seuls Hegel et Durkheim esquissent des réponses concordantes ne souffrant pas de telles imprécisions ni d'un tel vague. C'est que ces deux auteurs évoluent par principe à un niveau plus formel.
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