A quoi tient une carrière littéraire ? Comment devient-on dramaturge plutôt que romancier ou poète ? le genre dans lequel on réussit est-il le plus adapté à son talent ? Après la lecture du recueil de nouvelles
La photo du colonel, je ne peux que me poser la question pour
Ionesco.
Je n'avais lu que
La cantatrice chauve de l'auteur. A
l'image d'un
Beckett (auquel il est souvent associé, en partie à son grand regret), j'ai eu du mal à pleinement apprécier son théâtre de l'absurde (il n'aimait pas non plus vraiment ce terme, pas facile à satisfaire le bonhomme). Je suis plutôt adepte de l'absurde, que ce soit dans l'humour anglais ou dans la philosophie camusienne. Mais je n'ai pour l'instant pas réussi à y trouver pleinement mon compte sous la forme théâtrale. Je gagnerais sans doute à aller voir en représentation, car la lecture a forcément ses limites.
En revanche, j'ai vécu un plaisir certain à la lecture de ce recueil de nouvelles. Très hétéroclite, il est en partie constitué de certaines nouvelles que
Ionesco transformera ensuite en pièces (Une victime du devoir,
Rhinocéros), de nouvelles originales (Oriflammes,
La photo du colonel, le piéton de l'air, La vase) et en fin de volume d'un journal autour de son enfance en France et son retour dans la région à l'âge adulte.
Les nouvelles m'ont semblé plus proches à la lecture du fantastique que de l'absurde. Les éléments qui m'ont dérouté dans son théâtre ont trouvé une certaine logique dans leur folie en passant au format nouvelle. Je réussis à beaucoup mieux saisir la profondeur du propos, la poésie, la grâce et pas uniquement l'humour que je ne trouvais en plus que par éclairs dans
La cantatrice chauve. A la lecture de ces textes, je ne peux du coup que comprendre pourquoi
Ionesco est devenu une plume internationalement reconnue... mais pourtant via son théâtre ! J'ai bien envie de lire les versions théâtrales des deux nouvelles adaptées, notamment
Rhinocéros qui est vraiment une critique magnifique de notre société et d'une vraie drôlerie.
La cantatrice chauve n'était finalement sans doute pas le meilleur choix pour moi.
Quant au journal de jeunesse, que de promesses dans celui-ci. On imagine fort bien le roman autobiographique que
Ionesco aurait pu tirer de ces bribes de mémoire d'enfance. Un mélange de l'humour d'un
Romain Gary et des réflexions proustiennes sur la vie, la mort, la mémoire, les souvenirs auraient pu accoucher d'une oeuvre vraiment riche.
Les chemins de la vie et de la réussite ont sans doute mené
Ionesco plus qu'il n'a réellement choisi lui-même son destin littéraire. Ses débuts littéraires en Roumanie étaient plutôt tournés vers la poésie, le roman ou la critique littéraire. Il n'écrira finalement qu'un seul roman en français,
le solitaire... et restera à jamais pour la majeure partie des gens, le dramaturge de l'absurde !