Un portrait touchant d'une jeune fille,
Laetitia Perrais, dont la vie chaotique et la fin tragique auraient pu rester un fait – comme on le dit malencontreusement – divers ; un de ces évènements qui ne s'inscrit nulle part et nous plonge dans l'horreur, mais qu'on se plait à reléguer bien vite au rang des exceptions. Comme ce monstre qui l'a, non seulement violée, mais démembrée pour ajouter du sordide à l'atrocité et au malheur. Pourtant il n'y a rien de « divers » dans ce drame ni dans le parcours de celui qui a commis cet acte innommable sinon un inextricable réseau de causes et d'effets d'origine sociale bien souvent difficile à démêler.
Que dire d'une société impuissante à protéger de jeunes enfants de parents toxiques, incapables de discerner les failles d'un père d'accueil, véritable tartuffe, qui va se révéler, in fine, un homme abusif et violeur? Quant au meurtrier : on a envie de prononcer à son encontre le mot déchet et d'oublier que lui aussi est potentiellement une victime.
Derrière tout cela se dessine en creux le machisme et l'inceste, sa résultante qui déstructure des vies entières. Sans omettre la violence, sur fond de misère, accrue par le chômage, les ravages de l'alcool et des drogues ; l'incompétence des services sociaux à détecter la détresse des enfants. Lesdits enfants lorsqu'ils sont interrogés (expérience perso) le sont dans la maison des parents d'accueil qui par ailleurs sont toujours prévenus de l'arrivée d'une assistante sociale. Ils sont donc briefés et savent qu'ils doivent contrôler leurs paroles sous peine de représailles ou d'être à nouveau transbahutés dans une autre famille qui sera peut-être pire. Quant aux foyers, ils ne peuvent pallier, en aucun cas, le manque affectif.
Concernant la récidive, je ne m'inscris pas vraiment dans les propos de l'auteur, p 148 « aucune société, fût-elle totalitaire, ne peut éradiquer le crime. le mal, le désir de transgression, l'envie, la folie étant constitutifs de l'espèce humaine, le risque zéro n'existe pas. »
Certes, si le risque zéro n'existe pas, je suis convaincue qu'une vraie société de partage, plus éthique, peut faire baisser le seuil de récidive de façon significative en offrant des structures d'accueil plus adaptées, un travail valorisant et en privilégiant l'éducation et la culture ; et aussi en donnant à la justice les moyens d'accomplir sa mission (
Sarkozy s'insurge contre ses dysfonctionnements, mais ne prend à aucun moment la mesure de la responsabilité qui incombe à l'État sur ce sujet.)
Quant à l'aliénation soulignée par les médias,
Laetitia compose avec du mieux qu'elle peut. Et, dans ce marasme ambiant, on perçoit à la fois malgré son désespoir latent, une générosité et une force de caractère peu commune qui la maintient en vie jusqu'à ce triste jour, où on ne comprend pas vraiment pourquoi, on s'interroge encore sur ce basculement qui tient de l'attitude suicidaire, elle va briser ses repères et, contre toute attente, suivre dans un premier temps un individu louche qu'elle connait à peine.
C'est le mérite de ce livre d'avoir donné une voix et un visage au désespoir de cette toute jeune fille qui n'avait pas les mots pour le dire, ce qui permet peut-être à sa soeur jumelle Jessica de trouver un semblant de réconfort et va à l'encontre de cette indifférence généralisée dont elles ont été toutes deux les victimes dans leur enfance.
C'est avant tout un récit profondément humain qui interroge…