La vallée du saphir

"Aux abords de Kiliabo, les deux hommes enlevèrent leurs chaussures, traversèrent sans peine les parcelles inondées des rizières, et atteignirent le village sous une chaleur écrasante. Ramanda repéra un petit banc meurtri, devant une case flanquée d'un appentis en bois qui servait d'abri à une charette. le caporal s'assit et s'alluma une cigarette. Monza resta debout, étudiant les lieux au pied d'un gigantesque tamarinier."

L'inspecteur Monza a été contraint par sa hiérarchie d'aller dans ce tout petit village du sud de Madagascar. Il doit confirmer l'enquête menée par la gendarmerie locale à propos du meurtre d'un vieil homme, qui avait la particularité d'être un ombiasy, c'est à dire un devin, un voyant.

Le meurtre a été attribué à des voleurs de zébus, actifs dans la région car la population de la proche ville d'Ilakak' , plaque tournante de la prospection de saphirs, a beaucoup augmenté, et qu'il faut nourrir tout ce monde. Quitte à pendre des libertés avec la propriété d'autrui...

Cette toute première enquête de l'inspecteur Monza et de la cantinière Mamabé met en place ce qui fera le charme de cette série policière (trois volumes à ce jour). J'ai lu les volumes deux et trois, il me restait donc à découvrir celui-ci.

Je le place tout de même un peu en dessous des suivants. Quelque part Jean-Ely Chab se cherche encore un peu, même si le résultat est déjà très abouti. le personnage de Monza est ici un peu trop "générique" : un flic désabusé qui se heurte à sa hiérarchie et à la mafia locale. Il gagnera ensuite encore plus d'épaisseur et d'humanité.

Mais le cadre, très peu exploité, de Madagascar et de ses particularismes fait que le temps n'est jamais long en sa compagnie.

Chab, Jean Ely - La vallée du saphir - Masque, 2016 (ISBN 978-2-7024-4558-7)

D'après les très brèves indications fournies par l'éditeur, l'auteur Jean Ely Chab n'est pas lui-même malgache, il exerce comme enseignant à la Réunion, mais se rend très souvent à Madagascar qu'il semble bien connaître.

L'intrigue policière en elle-même est réduite à sa plus simple expression. le plus intéressant - et de loin - dans ce roman réside dans le témoignage et la description de la vie des gens à Madagascar et plus spécifiquement, de tout ce qui gravite autour de l'exploitation minière des filons de saphir, réels ou fantasmés (l'île produisant environ 40% de l'offre mondiale de cette pierre).
Dans sa livraison du 13 novembre 2015, le quotidien "Le Monde" (supplément Afrique) publiait un reportage de la zone minière proche de Ankiliabo, qui semble avoir inspiré l'auteur.

Cette ruée vers l'or se déroule dans des conditions extrêmement dures, de nombreux mineurs meurent dans les trous qu'ils ont creusés, et lorsque l'un d'entre eux trouve enfin une pépite quelconque, il se voit contraint de la vendre pour un prix dérisoire à des commerçants venus de Thaïlande ou du Sri-Lanka...

Après "Tropique de la violence" de Natacha Appanah traitant des Comores (voir recension), nous avons là un autre tableau de la misère effroyable qui règne dans cette partie de l'Afrique australe...

NB : l'article cité est accessible sur :
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/11/13/ankiliabo-dans-la-jungle-du-saphir-malgache_4809003_3212.html

Ce roman est à l'image de Madagascar et de son rythme de vie : des témoins qui ne parlent pas, une action lente qui ne débouche pas forcément sur un indice déterminant, de fausses pistes et une fin qui n'en est pas une. Les lectrices et lecteurs qui cherchent un rythme policier comme nous en réservent les auteurs qui font la une, risquent une grosse déception. Un ouvrage à lire pour découvrir Madagascar et sa réalité si singulière. Un voyage en terre inconnue plutôt qu'une enquête tambour battant. Une autre manière de frissonner.

bonne intrigue policière, rencontres avec personnages réalistes, intéressants. Paysages, autochtones, situations bien décrites donnant envie de lire les autres ouvrages de l'auteur