L'enfant du jeudi noir

Lorsque j'eus cinq ans, le Rebbé, dévoré d'impatience, mais sans se manifester directement pour ne pas brûler mon cerveau d'enfant, me dicta avec un doux murmure des images qui m'apprirent à lire. Il commença par les lettres, l'une après l'autre, interprétant leur forme, leur personnalité et leur fonction. Je ne pouvais pas y comprendre grand chose; pourtant, dans la zone sombre où, dès la naissance, on est un être millénaire, le message fut reçu. Le A, m'a-t-il dit, c'est la pointe d'une flèche qui se prépare à voyager vers l'infini. Le B, c'est la mère universelle doublement enceinte prête à accoucher de nous, avec une courbe inférieure de chair et une courbe supérieure d'esprit. Le C, c'est une demi-lune, le symbole de l'intuition active, affamé de connaissance. Le D, c'est l'autre moitié de cette lune, au repos, mais seulement à demi pleine. Le C et le D s'unissent en un O, astre complet. Le E, c'est le corps, une ligne verticale, avec ses trois manifestations horizontales, les désirs du sexe, les sentiments du cœur et les reflets du cerveau... Ce qu'il m'a dit du reste gît, enterré dans ma mémoire.

Je regrette de ne pas t’avoir enseigné à temps l’invisibilité. Les gens qui n’ont pas développé leur conscience par manque de vie intérieure, se voient les uns les autres comme des proies. Les résidus mentaux sont pour eux un aliment exquis. Si tu veux survivre, tu dois passer inaperçu. Si on te voit, c’est parce que tu te vois toi. Tu crois que tu es comme ceci ou comme cela, tu te forges une image permanente de toi-même, et c’est cela que les autres dévorent avec gourmandise… Regarde ce mur ! Il te semble impénétrable, n’est-ce pas ? Si tu cesses de considérer ta main comme un objet, et si tu la sens comme ce qu’elle est réellement, c’est-à-dire de l’énergie pure, tu pourras l’introduire par le point qui n’offre pas de résistance, là où le mur n’est pas mur mais vide.
Dona Sara enfonça son bras jusqu’à l’épaule dans l’épais ciment. Puis, sans aucun effort, elle le ressortit.
- Il en est de même de ton esprit : déchargé de tes pensées personnelles, guidé par un coeur libre de sentiments possessifs, il pénétrera dans n’importe qui par le point où l’être n’est pas une personne. Il le traversera et lui, cessant d’être un obstacle, il te laissera passer sans te voir. Je vais te le démontrer !
Elle m’emmena devant l’Urgence. L’après-midi se changeait déjà en nuit. A l’intérieur du café, d’énormes insectes enroués chantaient des mélodies obscènes.
- Ne te vois pas toi-même, ne t’identifie à aucune partie de ton corps ou de ton esprit, que rien de ce qui est à toi ne t’appartienne, ne fais plus qu’un avec l’oeil impersonnel. Viens !
Et nous entrâmes ensemble dans l’antre… Nous nous sommes promenés au milieu de ces hommes suants, pleins de douleur, de fatigue, de dégoût, de haine, de solitude. Personne ne remarqua notre présence.
- Tu vois, Alejandrito ? Maintenant que tu es convaincu, je vais te dire le plus important : si tu apprends à être totalement invisible, quand la mort viendra te chercher, elle ne te verra pas et elle passera au loin.

Le poète va à l'essentiel, au centre du monde, et de là... il s'étend dans les 10 directions pour trouver partout sa signification profonde.
Il laisse toujours les circonstances décider parce qu'il sait qu'il les crée lui-même.
Il s'approprie les milles choses en se donnant à elles, mais quand il marche ici-bas, c'est qu'il marche déjà dans d'autres mondes.
Etrangé aux rêveries de séparation, il est le même qu'avant et le même qu'après, il est le chant secret renfermé dans chaque pierre.
L'Espace infini est son Corps, et le Temps ce qui vient après lui.
Dissous dans la Conscience, devenu Créateur, l'Univers lui apparaît comme une fin unique. Il regarde tous les êtres et toutes les choses avec l'Amour d'un Père et sa tendresse pour l'existence éphémère et intense.
Rien ne commence, rien ne finit, rien ne naît, rien ne meurt.
Il sait qu'en lançant une pierre vers les confins éloignés, il la verra un jour revenir dans la paume de sa main.
Membre de l'équipage du rêve, il ne craint pas le réveil.
Ce n'est pas un poisson bouffi d'orgueil qui, en sautant de l'eau, se croît maitre du Ciel.
Il reconnaît qu'il n'est qu'une partie infime de l'engrenage océanique et il accepte avec Amour de sacrifier sa forme illusoire afin que son cœur de lumière s'épanouisse comme une rose de feu. De ses pensées ne reste que le parfum, parce que ses mots ont été arôme avant la musique, de ses pas ne demeure que le rythme brut de l'absence de schéma.
Il sait que tout le ciment du monde industriel attend le terrible râle de la Terre furieuse.