Il semble logique, une fois l'ouvrage refermé, qu'
Alexandria Marzano-Lesnevich fasse figurer
Je ne suis pas encore morte de Lacy M. Johnson parmi ses ouvrages favoris. L'autrice de
L'Empreinte — fabuleux récit autour de la pédophilie et de la peine de mort publié en 2019 chez Sonatine — retrouve certainement l'authenticité, la force et le drame qui habitent sa propre histoire.
Mais Lacy M. Johnson, elle, n'est pas là pour mener une enquête et une réflexion aussi approfondie. Elle est là pour livrer son témoignage, celui d'une femme kidnappée, violée et traumatisée par son ex-compagnon.
À travers
Je ne suis pas encore morte et ses 190 pages, l'américaine raconte et chasse ses propres démons, explique la terreur du survivant et la force de l'histoire couchée sur le papier.
Morte et vivante
Plusieurs fois, Lacy M. Johnson fera référence à l'expérience archi-connue du chat de
Schrödinger, à la fois mort et vivant, enfermé dans une boîte dont l'observateur ne peut voir l'intérieur.
L'histoire de Lacy semble identique, c'est celle d'une femme qui a survécu et qui n'a pas survécu, l'histoire d'une femme dont le traumatisme ne se voit pas de l'extérieur mais dont la terreur sourde s'insinue dans sa vie et jusque dans ses rêves.
Je ne suis pas encore morte ne se borne pas à raconter le drame, l'enlèvement, le viol. Non.
C'est un tout, un témoignage sur l'avant et sur l'après, sur une relation toxique qui se révèle, avec le recul, aussi violente et humiliante que ces cinq heures de torture. Lacy M. Johnson brosse son auto-portrait, recoupe ses souvenirs et se rappelle la lente descente aux enfers d'une femme pris au piège avec un homme violent, narcissique, dominateur, pervers.
La force du récit, c'est de ne rien éluder, ni les propres failles d'une jeune femme certainement trop naïve ni le visage du coupable, l'homme ordinaire qui devient un monstre sans crier gare.
Elle agit comme un acte libérateur, qui permet de dire, d'exister, de trouver un sens. Lacy M. Johnson consacre finalement peu de temps au noeud de l'intrigue, cet enlèvement et ce déchaînement de violence écoeurant. Elle s'intéresse à l'après, à la reconstruction. Comment peut-on s'en sortir après avoir vécu quelque chose d'aussi extrême, d'aussi traumatisant ? Comment la société, les proches, le mari, les enfants peuvent-ils comprendre ce qu'il s'est passé ?
La véritable interrogation derrière le drame, c'est celui du survivant.
La possibilité de réintégrer l'ordinarité d'une vie qui a changé pour vous mais pas pour les autres. Malgré les années, le traumatisme reste, l'épée de Damoclès suspend sa course et s'attarde.
Quelle est la solution ? En existe-t-il vraiment une au fond ?
Lacy M. Johnson se demande même si le fait de traîner son agresseur/violeur en justice lui apporterait la paix. Ne serait-ce pas une nouvelle épreuve ? Une nouvelle blessure que l'on rouvre encore et encore ?
Il y a de l'ambivalence dans les mots de l'américaine, quelque part entre la haine et la lassitude. C'est toute la complexité de l'après qui se fait jour dans ce récit découpé en paragraphes courts et incisifs, qui radioscopie une société où le sexe, la perception masculine du corps féminin et même le rapport personnel de la femme à son propre corps semble se liguer contre l'autrice.
Remarquable par sa concision et sa précision, le récit raconte l'inracontable, la souffrance au-delà des mots, de celle qui pourrit en-dedans, qui reste, qui stagne, qui ronge. Jusqu'aux miracles fugaces, de la rencontre avec un homme doux, patient et différent à l'amour porté à des enfants qui portent en eux un nouvel espoir.
À la fin, c'est le pouvoir cathartique de l'histoire qui l'emporte. Un pouvoir qui semble davantage destiné tout entier à son autrice qu'au lecteur, un pouvoir qui permet d'avancer et de s'interroger sur la façon de prévenir ce genre de drame pour les générations futures.
Témoignage vibrant de force et de conviction,
Je ne suis pas encore morte vise les angles morts qui nous dissimulent la souffrance des survivants, qui banalisent une violence conjugale que l'on esquive. Lacy M. Johnson nous offre une morceau d'elle, de son espace intime pour exprimer à la fois son existence et son inexistence.
En résulte un récit poignant, violent, salvateur.
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