La lecture de ce recueil d'essais consacré au thème de
l'énergétique psychique chez Jung suit assez favorablement la découverte de l'hypothèse critique d'
Edward Glover. Ce dernier, dans «
Freud ou Jung ? », fait en effet remarquer que la notion d' « énergie psychique » chez Jung pâtit d'une pauvreté conceptuelle et pratique qui ne peut être imputable qu'à son caractère moniste.
Alors que
Freud distingue des processus primaires et des processus secondaires de
l'inconscient, Jung esquisse au contraire les contours d'une psychologie qui envisage
l'inconscient avant tout comme une forme d'entité extérieure à l'individu et qui choisirait, en certaines circonstances localisables, de faire refluer « ses » matériaux jusqu'à la conscience du sujet. Il ne s'agit donc pas de comprendre le contenu latent dissimulé sous le contenu manifeste, mais de permettre la bonne entente entre le contenu manifeste signe de
l'inconscient (qu'on s'imagine volontiers communicant) et le moi du sujet. le caractère adéquat de cette bonne entente restera à jamais inexploré, laissant plutôt place à des arguments moralisants. S'il se refusait à cette petite sauterie avec
l'inconscient, le lecteur risquerait de passer à côté de son destin. Pire encore, il aurait « très peu de chance de devenir un pionnier de l'esprit » mais il aurait par contre « l'indubitable certitude de se trouver en contradiction avec les vérités de son sang ». Cette manière bien imprécise de s'exprimer permettrait de justifier tout et son contraire. Au moins aurait-il convenu de savoir en quoi il est nécessaire de devenir un pionner dans la réflexion, et en quoi consistent les « vérités du sang ».
Les essais regroupés dans ce recueil sont assez disparates. La première partie présente un texte dans lequel Jung cherche à montrer les similitudes qui existent entre sa conception de l'énergie psychique et les conceptions des sciences mécaniques. le langage exerce une influence magique sur Jung : il semble qu'il lui suffit de trouver de nouvelles connexions conceptuelles à établir entre sa psychologie et la science pour que les concepts eux-mêmes acquièrent une plus grande efficacité pratique. Par exemple, lorsqu'il parle de déplacement de la libido, « je pense », dit-il, « à un déplacement d'intensité ou de valeur psychique d'un contenu vers un autre correspondant à ce qu'on appelle transformation de l'énergie qui, sous forme de chaleur par exemple, est transformée par la machine à vapeur en tension, puis en énergie cinétique. » Ce type de réductionnisme laisse le mystère entier mais confère l'impression fausse qu'il a été résolu.
Au cours de ce premier essai, Jung ne peut s'empêcher de présenter ses idées en opposition à celles de
Freud, vantant page après page la supériorité de sa psychologie analytique. Rejetant la définition freudienne de « libido », Jung semble vouloir charmer le lecteur en lui assurant que sa définition est plus holistique et qu'elle intègre aussi bien le sexuel que le spirituel. Ce faisant, il réintroduit le dualisme corps-esprit là où
Freud ne songeait pas à une scission.
Cette tendance ne s'observe évidemment pas dans les essais contenus dans la seconde partie puisqu'ils sont antérieurs à la rencontre de Jung et de
Freud. « Psychologie et pathologie des phénomènes dits occultes » (la thèse de fin d'études de médecine de Jung) date par exemple de 1902. Dans les essais de cette seconde partie, Jung s'intéresse au lien entre
l'inconscient collectif (déjà considéré comme une entité cherchant à transmettre des savoirs qui seront utiles au progrès social de la personne) et la manifestation de phénomènes parapsychologiques (croyance aux esprits, possession spirite, persistance de l'âme après la mort, etc.). Jung cherche à se montrer rationnel et à ramener les phénomènes possiblement occultes à la dimension explicative de la psychologie. Il réussit assez efficacement à nous convaincre ; malheureusement, c'est au prix de la réintroduction de l'occulte là où il était censé s'évanouir, précisément dans
l'inconscient, puisque si c'est
l'inconscient qui « décide » des images dont il vient frapper la conscience, alors il existe une volonté transcendante dont nous ignorons les projets. Nous pouvons seulement essayer de l'attraper pour nous en différencier (dans le processus de l'individuation) ou alors nous la subirons. Jung propose bien sûr à son lecteur de s'engager dans la première voie, qui est celle de la psychologie analytique. Et celui qui « par manque de courage, par manque d'ampleur de son expérience psychologique, ou par une ignorance irréfléchie » se refuse à cette expérience de rapprochement avec
l'inconscient défini comme le transcendant, et résiste encore aux imprécations de Jung, devra en payer le prix cher par l'échec défini selon des critères surmoïques. Voilà comment le discours du maître est réintroduit au sein du discours qui se voulait initialement psychanalytique.