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Morgane Saysana (Traducteur)
EAN : 9782381340418
475 pages
Marchialy (03/01/2024)
4.54/5   24 notes
Résumé :
742. C’est le nombre de plantes médicinales qui poussent dans la vallée de cette montagne bulgare à l’écosystème préservé. Des plantes de toutes tailles, formes et couleurs que nous retrouvons ensuite vendues dans l’Europe entière. Encore faut-il qu’il reste des hommes et des femmes capables de les trouver, les reconnaître, les cueillir.
Kapka Kassabova part à la rencontre des dernières personnes qui détiennent ce savoir oral ancestral et entretiennent une re... >Voir plus
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Pages miraculeuses nous invitant à pénétrer dans la forêt de fleurs, à savoir nous enchanter pour la Terre comestible et à atteindre la complétude…

Kapka Kassabova est une auteure bulgare qui vit en Écosse, dans les Highlands. de son enfance bulgare, lui sont restés les souvenirs précieux de sa grand-mère avec laquelle elle partait en expéditions-cueillettes dans les forêts d'altitude truffées de fraises, glanant également les orties, à la fois médicaments pour l'arthrite de son aïeule et délicieux à savourer en beignets. Les souvenirs de sa grand-tante également, totalement auto-suffisante, au riche jardin vivrier, sources d'innombrables plats, magicienne des bocaux de yaourt, du jus de sureau, de la récolte du miel… « Ainsi naquit mon enchantement pour la terre comestible ».
Un printemps, l'auteure décide de revenir sur sa terre natale pour rencontrer les derniers cueilleurs. Elle souhaite apprendre d'eux, se reconnecter à ce savoir ancestral, elle qui connait bien les plantes mais qui se sent seule, prenant parfois la cigüe pour du cerfeuil sauvage…

Véritable concentré de connaissances géographiques et historiques sur cette petite région des Balkans, territoire traversé par ce fleuve imposant qu'est la Mesta dans lequel se jettent de multiples rivières, et bordé de massifs montagneux et sylvestres ; traité délicat, ancestral mais aussi mythologique, voire magique, sur les plantes médicinales et la phytothérapie ainsi que les médecines alternatives ; ode poétique à la nature ; manifeste touchant mettant à l'honneur un peuple mosaïque. Tel est ce livre, Élixir, véritable élixir.


Élixir c'est donc tout d'abord un précis sur les plantes médicinales et comestibles. Nous apprenons beaucoup sur ces plantes (mais aussi sur les champignons) qui guérissent et qui adoucissent nos démons, leurs origines, les remèdes qu'elles soignent, la façon de les prendre, manière parfois très ésotérique et associée à des rites ancestraux, la façon de les cuisiner éventuellement, mais aussi la mythologie associée aux simples et l'histoire décriée de la phytothérapie, longtemps perçue comme remèdes de sorcières et rejetée par la médecine traditionnelle. C'est passionnant.
Ainsi ai-je appris, entre mille et mille autres choses, que le basilic sauvage, aussi appelée « patte de chat » est bon pour les problèmes féminins, les indigestions, les reins, la prostate et la peau. Que la gentiane a d'incroyables propriétés antibactériennes, elle nettoie les voies digestives et hépatiques. Que les racines d'arum tacheté servent à purger les viscères, que l'Achillée millefeuille fait des miracles contre les problèmes de femme. Que la valériane est administrée en cas d'insomnie mais aussi appliquée sur les vêtements des amants en Europe centrale pour repousser les « elfes envieux »…
Le livre est composé de quatre grands chapitres consacrés aux quatre éléments : le feu, la terre, l'eau et l'air car, comme l'explique l'auteure, dans la pensée taoïste, la personnalité constitutive de tout individu est un microcosme des écosystèmes de la Terre et chacun possède en soi une combinaison d'éléments : le bois, le feu, la terre, le métal et l'eau. Il y a aurait ainsi des êtres de bois, des êtres de terre, des êtres de métal avec des éléments dominants. Et les plantes portent précisément l'une le feu, une autre la terre ou encore l'eau. Se connaitre, et connaitre les plantes permet ainsi d'atteindre l'équilibre, de modérer un caractère trop impétueux, de calmer une personnalité trop anxieuse. La plante communique à qui la prend toute son essence, sa dominante.

"La médecine populaire et la médecine occidentale se situent aux deux extrémités du spectre humain environnemental. D'un côté, le matérialisme scientifique dépourvu d'âme ; de l'autre, la magie dépourvue de science. Toutes deux vous dissuadent de prendre votre propre bien-être en main. Toutes deux vous maintiennent dans l'ignorance et la dépendance. La médecine occidentale agit sur la manière d'un patriarche trop délicat portant un masque, et la médecine magique à la manière d'une matriarche manipulatrice, son souffle sur votre nuque".


Élixir, c'est ensuite une région mise à l'honneur, un territoire à la géographie complexe et aux hameaux dotés de noms étranges basés sur leur aspect zoomorphique et anthropomorphique. Une carte en début de livre est là pour guider le lecteur.
« Les habitant de la Mesta savaient ce que signifie souffrir. Mais ils avaient quelque chose de précieux : la forêt. Tout y était encore connecté – les sommets, les gens, les plantes. Cet endroit avait conservé quelque chose de l'ancien temps, des espaces sauvages : la médecine, le sens, la magie. La Bulgarie, comme je l'ai découvert, est un des premiers pays exportateurs de plantes médicinales et culinaires. Nombre d'entre elles sont toujours récoltées dans la nature, et le bassin de la Mesta est une plaque tournante dans ce secteur du fait de sa richesse écologique : trois chaines de montagnes, une superposition de plusieurs microclimats, le tout quasiment épargné par l'industrie. Et même par la mécanisation ou la modernité jusque dans les années 1950. L'Etat communiste exploita ensuite la vallée au maximum ».

La Bulgarie, un des plus gros exportateurs européens de plantes comestibles et médicinales, notamment de lavande et de paprika, est également le creuset d'un entrelacement complexe, depuis des siècles, de chrétiens, de gitans, de Roms et de musulmans, les Pomaks, véritable mosaïque mouvante. Si à certains endroits la cohabitation est pacifique, ces derniers y endurent cependant calamité sur calamité, entre massacres, obligations de changer de nom, de nationalités et de coutumes, humiliations, brinquebalés par les vicissitudes de l'histoire, depuis la défaite de l'empire ottoman contre la Russie à la fin du 19ème siècle, l'indépendance de la Bulgarie, les guerres balkaniques, les guerres mondiales, l'arrivée puis la chute du communisme, le rideau de fer.

Ce qui motive également le voyage de l'auteure, au-delà de ses racines, au-delà des plantes et de la nature, est de rencontrer ces gens du bassin de la Mesta, ces gens dans toute leur diversité, de découvrir ce qu'il subsiste de leur connaissance de la terre, de comprendre leurs rites, et d'apprendre d'eux sur les maux et les remèdes, en les écoutant respectueusement et patiemment. Ce livre palpite d'humanité tant les personnes rencontrées, véritable mosaïque eurasienne, personnes jeunes et vieilles, chrétiennes et musulmanes, éleveurs et cultivateurs, artisans et poètes, hommes et femmes, glaneurs, semeurs, guérisseurs, cueilleurs de champignons, émigrants, petits paysans, sont des personnes touchantes et décrites avec justesse. Livrant savoir-faire, vécu, savoirs, traditions, rumeurs, recettes mais aussi contes pour les plus malheureuses qui ne peuvent relater leur terrible vécu et que « dans les contes, vous creusez un trou pour y hurler votre vérité », c'est un kaléidoscope de personnages pittoresque que nous offre l'auteure bulgare, tous inoubliables par leur simplicité, leur humilité, leur générosité et leur sagesse. Des personnes auxquelles je pense à présent.

« Après quoi, il me remettait un sac de tomates et de concombres, ainsi qu'un bocal de yaourt au lait de brebis, dont il se souvenait que je raffolais, car il se rappelait tout des gens.
S'il avait pu mettre dans un sac la Mesta noire, là où jadis des truites impétueuses aux écailles roses descendaient le courant à vive allure tels des reflets traversant furtivement un visage, ses yeux et ses mains de garçonnet à leurs trousses comme s'il pouvait les suivre depuis ces hauts plateaux plongés dans la pénombre jusqu'à la lumière égéenne qu'il ne verrait jamais…S'il avait pu l'ensacher et vous la donner, il l'aurait fait ».

Ce livre est surtout une ode poétique à la nature et un manifeste écologique. Kapka Kassabova nous convie à prendre le temps de regarder, de humer, de ressentir et à prendre conscience de l'impact de nos activités sur la nature sans pathos, sans leçon de morale, sans vérité proclamée mais avec un regard émerveillée sur la nature et ses éléments. En cela ce livre est magnifique. La jeune femme nous explique sans jugement la baisse de la biodiversité, la disparition des espèces, avec humilité et douceur, sans jamais perdre sa contemplation méditative et poétique pour les choses les plus simples.
« Mon dos absorbait la chaleur du sol et je me muais en ver de terre. le bruissement de la forêt de haricots verts, l'odeur de résine du tas de bois, le sirop de pin de Zaidé dans le bocal, les hirondelles décrivant en silence des cercles sur les cimes – tout frémissait dans la lumière telle une toile d'araignée, puis volait en éclats à mon réveil, visage brûlé, soleil éclipsé ».


Au final, c'est un voyage lent et contemplatif mais aussi érudit, une somme qui ne se lit pas comme la plupart des livres, pour pouvoir en tirer toute la substantifique moelle, toute l'huile, essentielle. Pour que cet Élixir infuse tous ses bienfaits, il faut y aller pas à pas avec Kapka Kassabova, comme elle nous l'avait proposé dans Lisière contournant alors les frontières de la Bulgarie, boire délicatement cette substance miraculeuse en cheminant avec elle, en prenant le temps d'écouter les rares habitants de cette contrée désolée qui continuent à cueillir les plantes médicinales et comestibles que nous offre avec générosité la Terre, prendre le temps d'observer leurs faits et gestes, ressentir leurs craintes, leurs peines, en prélevant avec respect une graine sur un capitule de tournesol gorgée de chaleur et le fendre avec ses dents, en buvant une chaude infusion de thym. Il faut humer, respirer, se laisser bercer, qu'importe la longueur, qu'importe les longueurs, toutes ont un sens, celle d'honorer un peuple mosaïque. Et donc il faut écouter…


Kapka Kassabova est ainsi une cueilleuse d'histoires, une alchimiste incroyable, une magicienne à moins que ce ne soit une sorcière, broyant, à l'aide d'une plume sur un carnet, une sorte d'élixir d'éternité, palpitant d'humanité, concassant sa mixture pleine d'énergie et de bonnes ondes hors de portée des lecteurs impatients, avides d'aventures et de rebondissements. C'est une femme sensible et empathique qui prend le temps d'aller à la rencontre des gens, de cheminer longuement sur un territoire, de humer, de gouter, d'écouter avec respect, sans jamais juger.
La lire est une parenthèse enchantée qui transforme le lecteur en citoyen du monde.
Et replonger dans cet élixir, de temps à autre, en humain sachant tendre l'oreille pour percevoir le murmure des plantes et des planètes, humain comble « telle une tasse remplie à ras bord. Être avec les lieux, les plantes et les gens. Nul besoin de but plus abouti ».

Immense coup de coeur, sans aucun doute ma meilleure lecture en cette année 2023 !
Un merci ému à Babélio et aux magnifiques éditions Marchialy pour cette masse critique privilégiée !

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C'est une sensation étrange que celle de se retourner sur ses dernières années de lectures, de repenser à toutes les émotions ressenties, les épreuves traversées et les difficultés stylistiques ou thématiques rencontrées, la plupart du temps surmontées avec une immense satisfaction. C'est un peu comme se retrouver en haut d'une montagne qu'on vient de gravir, ayant cheminé à travers une forêt de livres, de lignes, de personnages, de mots parfois denses et touffus, parfois plus légèrement clairsemés ou carrément purs et limpides, coulant comme une eau vive et cristalline ; arriver en haut, donc, contempler les sommets qui nous restent à gravir certes, mais avoir envie de faire une pause pour savourer là où l'on en est au moment présent. L'équivalent de l'intégration après une bonne séance de yoga. S'arrêter, détendre ses épaules, lever la tête vers le ciel, yeux fermés pour laisser la caresse du soleil nous effleurer le visage, puis se retourner pour contempler le chemin déjà parcouru, un léger sourire aux lèvres.
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Penser que, au début de cette ascension, il s'agissait simplement d'une mini-envie d'évasion, d'une petite randonnée d'une heure ou deux sans difficulté majeure, afin de se dégourdir les neurones. Et puis un pas après l'autre, un livre en amenant un autre, on a pu se sentir guidé, appelé par l'expérience suivante, le personnage suivant. Une fois ce bagage acquis, l'envie d'explorer plus intensément et plus profondément cette forêt littéraire est rapidement devenue irrésistible, vitale, évidente. Marcher toujours plus loin sur les pas des auteurs ou lecteurs précédents, s'enfoncer plus loin encore dans les émotions, les expériences de vie ou de style, monter plus haut et plus vite jusqu'à s'essouffler, chercher à s'explorer soi-même ce faisant, tester ses propres capacités de résistance à l'effort littéraire, devenir plus exigent avec soi-même et dans le choix des chemins que nous décidons d'emprunter désormais. Bannir les sentiers tout publics, ou se les réserver pour les pauses et les moments de faiblesse, de détente ; mais se ménager toujours plus de temps et d'espace pour la découverte, l'exploration sauvage de contrées que nous ne n'aurions même jamais pensé avoir un jour envie de découvrir.
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C'est cela, l'aventure littéraire. C'est la mienne en tout cas. Et j'ai la sensation aujourd'hui, quand je regarde ma sente littéraire parcourue, ses nombreux rallongis mais surtout ses exquis passages secrets et dérobés empruntés parfois par ce qui semblait être un hasard balisé, autant dire le destin, d'avoir parcouru l'un des nombreux chemins de Saint-Jacques littéraires, d'en être heureuse mais d'autant plus curieuse tant les choix que j'ai fait ont laissé autant de chemins inexplorés encore, d'en avoir un peu le tournis, mais surtout une furieuse motivation pour repartir dès maintenant gravir tous les autres et même, pourquoi pas, réexplorer certains pans particulièrement appréciés pour bifurquer vers les chemins précédemment laissés de côté !
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Ce n'est pas par hasard que m'est venue cette métaphore entre littérature et nature. J'ai toujours eu un grand lien avec cette dernière avant d'aimer la lecture ; j'ai eu la chance de pouvoir toujours, jusqu'à l'âge adulte, la vivre et l'expérimenter. A tel point que je ne voyais pas du tout l'intérêt de lire un livre sur la nature, qui reflétait de toute façon l'expérience de quelqu'un d'autre et n'était jamais totalement la vivre, la ressentir… Et puis la vie nous a un peu écarté, mère nature et moi. Sans que ce ne soit une volonté de mon fait, je me trouve limitée à de nombreux points de vue pour y avoir autant accès qu'avant. Et ça me manque. Alors j'ai commencé à apprécier les romans de nature writing… Puis ce livre, Elixir, est sorti. le chant des sirènes, vous connaissez ? Il m'appelait, mais je le pensais inaccessible à mon endurance littéraire, à ma capacité à écouter quelqu'un d'autre me parler de nature. Un jour n'y tenant plus - envie de nature, curiosité littéraire, challenge, appelez ça comme vous voulez - je n'ai plus pu résister. Et je l'ai ouverte, cette édition magnifique. Touché ses feuilles, son tronc, me suis abreuvée à la sève de ses mots. J'ai cherché, dans le récit de voyage de cette auteure Bulgare habitant en Ecosse, qui revient sur ses terres d'origine, l'Elixir qui me ferait du bien et rendrait mes sensations immortelles.
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Et finalement c'est cela, que j'y ai trouvé comme dans l'Intranquillité de Pessoa : une auteure qui me rend à mes sensations délicieuses avec pourtant ses mots à elle, clairs, lavés à l'eau de source et à l'air pur de ces forêts de montagne, ces forêts de pins mais aussi de fleurs, de simples que les habitants connaissent encore, savent non-seulement prélever à la nature lors de cérémonies rituelles, mais aussi utiliser pour leur bien-être ou leur guérison, et pas uniquement pour la vente en gros à nos pays d'Europe. Dès l'incipit je me suis laissée promener à la rencontre de ces peuples, de leur histoire, de leur culture et connaissance, de leurs rites, légendes et recettes qui mijotent avant de s'infuser en nous pour diffuser leurs bienfaits. de leur respect de la nature, notre mère nourricière à tous. J'ai adoré l'humilité de l'auteure autant que sa curiosité, qui servent toutes les deux notre découverte via son émerveillement, les questions qu'elle pose, ses recherches, les anecdotes et les mots qu'elle choisit et emploie.
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Je n'ai pas de recette miracle pour mon actuel manque de nature, mais j'ai trouvé dans cette lecture formidable des recettes d'infusions de feuilles de figuier pour lisser ma glycémie, de sirop de sureau pour fortifier mes défenses naturelles. J'y ai trouvé de l'évasion par procuration tellement je me suis crue avec l'auteure dans ses échappées en bord de rivière ou dans les fêtes de village traditionnelles. J'y ai trouvé du rêve parce que c'est bien un endroit que je n'aurais jamais envisagé pour des vacances, alors que j'ai désormais une furieuse envie d'y passer quelques temps en retraite. J'y ai trouvé des amis aussi, car si c'est ainsi que nous lecteur qualifions souvent nos livres, leurs personnages peuvent aussi vite le devenir et c'est ce qui s'est passé avec les villageois de ce peuple aussi bigarré que torturé, qui demeure accueillant malgré son passé violent et sa situation économique actuelle peu enviable.
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Mais alors même que la douceur de plume nous ferait facilement croire à la douceur de vivre dans ces montagnes parmi les simples, les pins et les sources d'eau pure, puisqu'on a envie de croire, après ces moments de lecture délicieux, que le pouvoir des plantes soigne tout, Kapka KASSABOVA sait également nous émouvoir et nous surprendre avec un réalisme désespérant que nous faisait oublier ses récits de fées, d'elfes, de miracles de guérisseurs et de sorcières, de potions et de cueillettes, de sieste à l'ombre de grands chênes… Ici presque toutes les femmes sont sous anti-dépresseurs et les hommes n'osent plus sourire à la vie, les enfants doivent partir travailler dans les pays limitrophes et rapportent, avec leur maigre salaire saisonnier, une modernité et des envies incongrues dans ce pays où les rêves et les populations ont été décimés par les luttes politiques successives.
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Si je me suis égarée dans mes pensées naturelles et livresques, à travers cette critique, c'est que je n'étais pas encore tout à fait réveillée de ce récit de voyage, de ce rêve éveillé, de cette réalité féérique qui nous fait nous exclamer « Ca existe encore ça ?! Mais où je signe pour en faire l'expérience, même de courte durée ?! ». Une lecture enrichissante mais, quand je pense à ce que l'auteure a vécu réellement durant ses voyages là-bas, je me dis qu'elle en sort encore plus riche et, revenant à mes pensées premières, je me dis que ce livre m'est presque insuffisant : j'en veux plus, et il se pourrait que ce livre me pousse à explorer des possibilités que je m'occultais jusqu'alors… Je suis très peu sûre de vous avoir donné envie avec cette critique, mais je n'ai pas de regret car, comme tout livre qui nous laisse tout chose, je n'aurais pas su bien en parler de quelque manière que je m'y prenne.
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A chaque lecteur de choisir ses chemins dans la forêt dense et touffue de livres en tout genre qui nous enserrent, nous appellent, nous repoussent - nous griffent et nous mordent parfois aussi. Comme vous le recommanderait l'herboriste du village, glanez les livres qui vous tentent, testez-en quelques un, celui-ci peut-être ? Voyez l'effet qu'ils ont sur vous, s'ils vous échauffent recrachez-les, s'ils vous font du bien, mâchonnez-en quelques feuilles chaque jour au lever et au coucher du soleil. Couchez-vous à l'ombre de votre PAL et, pour y prélever un livre, n'oubliez surtout pas de reboucher le trou que son absence provoque par un autre, en susurrant un poème de remerciement pour les heures de plaisir que tout cela vous procure ;-) Que votre chemin soit long et beau comme ce récit, qui cheminera encore longtemps en moi, m'exhortant à explorer toutes les portes qu'il m'a entrouvertes… Certains livres devraient faire l'objet de prescription parce qu'ils ont le pouvoir de soigner ; Et quel livre pourrait s'y prendre aussi bien que cet Elixir, ce retour aux « sources » pures et vives, aux « racines » culturelles de cette auteure, ce récit sur le lien entre les humains et les plantes, cette couronne de fleurs séchées tissées de feuillages et de racines coupées en dés, émaillée de réflexions sur la médecine scientifique occidentale et la médecine traditionnelle ou magique ? Ca lui vaut, et ce n'est pas si souvent, mes plus belles 5 étoiles du berger de montagne se détachant dans le ciel bleu mille et une nuits de Babelio, luisantes comme du beurre fondu à la poêle, qui me guideront encore longtemps dans l'exploration de ma montagne de livres.
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Un Elixir littéraire au goût de reviens-y, à consommer sans modération, pour cultiver sa forêt intérieure. « Ce qui compte le plus selon moi c'est l'amour. L'amour est le seul Elixir ».
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Et nous voici partis en Bulgarie, mais pas celle de Sylvie Vartan, du fameux yaourt et du célèbre parapluie. Une Bulgarie de cueilleurs, de guérisseurs et de mythes, le jardin de l'Europe de l'Est.
Une excursion dans les Rhodopes nous fait découvrir sa nature, ses habitants, sa culture, sa frontière point de convergence avec la Grèce et la Turquie.
Histoire des hommes, des plantes, des lieux et d'un pays, Élixir Dans la vallée de la fin des temps est un merveilleux voyage.
C'est aussi la rencontre des Pomaks un peuple dont j'ignorais l'existence qui a préservé sa culture, a survécu aux communistes, aux nombreux conflits et continue à transmettre ses savoirs
Une rencontre avec des personnes, des plantes et la terre-mère, une vie respectueuse de la nature, simple mais d'un grand intérêt car beaucoup sont des cueilleurs, des guérisseurs, des herboristes.
Un monde fascinant où les mythes, les légendes ont leur importance, les rencontres sont touchantes et la sagesse de ces hommes est au rendez-vous. On y parle des Bogomiles, des Cathares et de leur prophétie mais aussi de voyants.
Voici les paroles de quelques habitants mais il y en a bien d'autres et tous ont un savoir à nous transmettre.
Metko, la mémoire vivante d'un village et l'enseignement qu'il en a reçu : « le monde est empêtré dans un cycle de victimes et de bourreaux victimisés par leurs propres crimes. Je veux mettre tout ce système délétère au défi en m'extrayant du cycle et en devenant un être humain libre. »
Vanga et son herbe de miséricorde : « Pas de fleurs coupées surtout, précisait-elle. Elles sont comme des enfants aux mains tranchées… Apportez-moi une plante vivante. »
Emin et sa vie avec les karakachans (chevaux) : « J'ai pas choisi tout ça, déclara-t-il. C'est un mal qu'on m'a transmis Certains héritent des maladies. Moi j'ai hérité des chevaux.»
Je n'ai pu m'empêcher d'avoir la larme à l'oeil quand il raconte sa vie parmi les chevaux qui en fait un solitaire, un fou pour certains.
Kapka Kassabova nous parle d'un temps révolu :
Il n'existe presque plus de gens comme Emin, car la vie sauvage n'existe presque plus. Pourtant , autrefois, nous étions partout. La couronne faite de 77 plantes et demie se tissait depuis la rivière Beauly jusqu'à la Mesta puis au Nil et au-delà. Jusqu'à ce que les plantes deviennent « mauvaises », que les femmes deviennent des sorcières et que l'enfant de la nature devienne un fou.
Après quelques chapitres ont retenu mon attention :
Botani, avec des rituels et des prières dites par les cueilleuses.
Elixir, qui parle d'alchimie et du pouvoir de guérir que nous avons oublié.
Pélerines, étonnant !
L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux, magnifique et terrible.
Pour Kapka Kassabova, il sagit d'un retour aux sources et à ses racines dans tous les sens du terme mais c'est aussi la rencontre d'herboristes et la connaissance des plantes sur le terrain dans leur environnement ainsi que la découverte de leurs vertus. C'est un texte érudit, passionnant.
Élixir est un monde foisonnant que j'ai quitté à regret mais il me reste Lisière et L'écho du lac qui me permettront de prolonger ma visite de la Bulgarie.
Voyageuse des pages, naturopathe et curieuse à plein temps ce livre est un immense coup de coeur que je dois à HordeDuContrevent
Merci aux éditions Marchialy qui nous ouvrent une fenêtre sur un monde différent.
#Élixir #NetGalleyFrance

Lien : https://www.babelio.com/livr..
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L'auteure, originaire de Bulgarie, retourne dans son pays , plus exactement au sud est de la Bulgarie , et plonge dans un monde où le végétal a encore toutes ses lettres de noblesse.
Bienvenue dans un monde que l'on pourrait croire avoir disparu . Bienvenue dans un monde où les plantes aident les hommes à se guérir, à vivre .
Mais ce livre , c'est bien autre chose qu'un dictionnaire listant les bienfaits de plusieurs centaines de plantes .
C'est un plébiscite pour une vie simple , loin du profit et des intérêts humains.
Et bien sur , une ode à la nature , à ce que la terre peut nous offrir quand nos yeux se détournent de l'essentiel.
Et puis, il y a les hommes et les femmes qui vivent encore avec les plantes . Les rencontres sont belles puissantes, les religions cohabitent, ne semblant pas être au courant qu'elles pourraient s'opposer.
le livre appuie aussi sur l'idéologie communiste qui a mis à mal beaucoup de pratiques en essayant d'imposer les siennes. On savait qu'elle avait détruit des vies humaines, elle a aussi saccagé la nature.
C'est remarquablement écrit, cela se lit comme un roman , les personnages sont attachants, émouvants . On plonge dans la culture des Pomaks, ce peuple autochtone de religion musulmane au comportement laïque.
Une très belle découverte.
Merci à Babelio et aux éditions Marchialy pour leur confiance.
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"Aucune plante psychotrope n'a été utilisée dans la réalisation de ce livre ; seulement un sentiment d'émerveillement."
C'est bien un sentiment d'émerveillement qui persiste suite à la lecture de ce récit de voyage de Kapka Kassabova, reçu dans le cadre d'une masse critique privilégiée et offert par les éditions Marchialy dont je salue le travail.

L'auteure qui vit désormais en Ecosse est retournée dans sa Bulgarie natale, dans une vallée fluviale isolée entre les Rhodopes occidentaux et le Parc National du Pirin.
Dans ces montagnes magnifiques, à l'écosystème préservé, on ramasse 742 plantes médicinales différentes pour les vendre partout dans le monde.
Kapka Kassabova raconte dans une prose poétique d'une grande qualité, son expérience d'un système symbiotique où la nature et la culture se mélangent depuis des milliers d'années. Pour cela, elle puise dans des matériaux issus de l'anthropologie, de la psychologie, de l'histoire, de la mythologie, de la botanique et de l'alchimie, tout en les tissant ensemble d'une manière si habile et subtile que le récit distille en continu des connaissances inattendues.

Les lecteurs intéressés par l'herboristerie seront sans aucun doute fascinés par ce livre qui dispense de nombreux conseils et des recettes innombrables pour se soigner avec les plantes. Avis aux naturopathes, herboristes, radiosthesistes, guérisseurs, phytotherapeutes et tout autre adepte de médecine alternative.
Alors que je suis totalement ignorante en matière de plantes, le plaisir de la découverte a été à peine estompé par des descriptions parfois trop longues des propriétés d'une fleur. Il faut reconnaître à l'auteure un indéniable talent pour nous mettre en contact avec cette végétation abondante et précieuse.

Mais ce récit est bien davantage qu'un guide botanique.
L'auteure est allée à la rencontre des plantes, mais aussi de paysages d'une grande beauté qui ont gardé les traces d'une histoire bien mouvementée.
Elle aborde donc, au fil de ses rencontres, la mythologie et les différents cultes religieux, le Moyen-âge et les bâtisseurs, l'empire ottoman, les deux guerres et la dictature communiste. Et elle ne craint pas d'ouvrir son propos à l'histoire de l'alchimie ou à celle des sorcières, nombreuses dans ce pays d'abondance de potions magiques.
"En Grande-Bretagne les plantes sauvages sont toujours associées à la figure de la" sorcière ", car dans la mentalité collective phytophobe, l'usage des plantes est assimilé au terrible destin des sorcières tombées aux mains de l'Eglise."

Le récit serait peut-être moins digeste sans les nombreuses personnalités rencontrées au cours du voyage. Dans ces montagnes isolées, les habitants sont souvent pauvres mais possèdent de grandes qualités humaines et la volonté de partager leurs connaissances. Kapka Kassabova a rencontré de nombreux travailleurs non qualifiés qui sont payés misérablement pour ramasser les plantes, les champignons et les légumes qui seront vendus à prix d'or sur les marchés occidentaux.
Elle a aussi croisé des personnes qui ont fait des études mais qui sont employés comme main-d'oeuvre bon marché dans les pays européens plus riches.
L'un d'entre eux confie : "L'occident a fait de nous des récureurs de chiottes bardés de diplômes."
Et puis, parmi toutes ces personnalités, certains sont devenus des amis : cueilleurs, guérisseuses, bergers.

Elixir est une exploration des liens profonds entre les personnes, les plantes et la nature. Dans cette région de la rivière Mesta, il semble plus facile que partout ailleurs de se reconnecter à la Terre et de repenser notre façon de vivre les uns avec les autres.
En tous cas, personne ne pourra résister à la recherche d'images pour mieux visualiser ces paysages grandioses et faire naître l'envie de voyager dans ce pays.

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critiques presse (1)
LeMonde
08 janvier 2024
Autant qu’aux recettes, comme celle du cocktail au fusain, la saveur de ce livre tient à cette histoire qu’évoque l’autrice par touches légères, et aux personnages singuliers dont elle raconte les vies cabossées.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (57) Voir plus Ajouter une citation
La lune semblait pétrie de beurre baratté. Je sentais la sève monter dans les pins, comme le sang afflue vers l'épiderme. Aux phases de pleine lune, tout ce qui est là est doublement là.
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Les différents âges de la femme se présentent et s'enfoncent dans la vapeur. Leurs corps s'évanouissent peu à peu. Des corps qui ont donné la vie, subi le bistouri, trimé des décennies derrière leur machine à coudre, planté et déplanté des potagers, émigré, puis sont revenus, qui ont encaissé les coups puis l'abandon de leur mari et de leurs enfants, épuisés, immobiles sur des lits étriqués avec pour seule compagnie le vacillement du téléviseur dans le coin de la pièce et les souvenirs d'amours anciennes. Sous le verre crasseux du dôme, avec ce goutte-à-goutte incessant, ces réminiscences glougloutantes, ce savoir que renferme le corps se propageait par vaguelettes à travers chacune de nous, comme si nous ne formions qu'un seul et unique organisme. Plic, plic, plic. Dans le bassin des dames, nous sommes jeunes et vieilles à la fois.
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Le soleil couchant illuminait le mur du Pirin. L'air était si doux que j'aurais pu le boire, comme une potion. Un après-midi, l'air se troubla et revêtit une teinte sépia, la montagne se fit plus lointaine, et l'atmosphère poignante, comme si nous avions été parachutés dans le passé sans préambule.
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Entrer dans leur entrepôt, c'était comme pénétrer dans un temple. La première chose qui vous saisissait, c'était l'odeur. Un parfum chargé, celui d'une terre grouillante de lombrics, de racines qui susurraient, de bourgeons fripés qui ressuscitaient au contact de l'eau, de pétales séchés qui vous faisaient tourner la tête avec leur phéromones, et de baies luisantes l'air tout à fait anodin quand vous les fouliez aux pieds dans la forêt, mais capable de vous intoxiquer ou de vous sauver la vie, selon la dose ingérée. Un parfum d'être végétaux, antiques et immuables. Un parfum qui disait : "Arrête-toi et ôte tes chaussures", ou encore "Viens, entre donc, entre donc".
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Les fibres organiques s'entremêlaient avec les paillettes industrielles. Des tabliers en laine peints par des aïeules avec des pigments de mousse se superposaient avec des tissus colorés à la teinture chimique achetés 2 dollars dans un bazar. Leurs visages étaient ceux de couturières. Des femmes qui avaient rapiécé les vies qu'on leur avait volées, un fragment après l'autre.
Et à présent elles cousaient en plus les vêtements de tout le monde, ici même aux Bouleaux, afin que le reste du continent puisse les acheter le samedi - jour de labeur pour la couturière - dans les rues branchées des grandes villes, ornés d'étiquettes destinées à justifier leur prix exorbitant, enveloppés dans du papier de soie, puis déposés dans des sacs ornés de lettres dorées en relief que les acheteurs rapportaient à la maison tels des chasseurs-cueilleurs fous ayant oublié depuis belle lurette l'art de la chasse et de la cueillette et ne sachant plus que consommer.
Chaque fois que je vois une étiquette de vêtement "Fabriqué en UE", le visage d'une femme des Bouleaux m'apparaît.
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