« Les Monstres, adiaphoriques et insensibles au malheur qu'ils infligent, se repaissent des tremblements du coeur, du corps et de l'Âme de leurs victimes. »
Lionel Laffitte livre un témoignage atypique sur la maltraitance. Ouvrage autobiographique, le « je » est pourtant un grand absent ici : l'auteur se désigne d'abord comme l'Enfant, puis l'Adolescent, le Jeune Adulte et enfin l'Adulte. Cette dépersonnalisation sert peut-être de mise à distance des faits rapportés. Mais je l'ai plutôt ressentie comme une façon de porter un regard extérieur sur des périodes passées de sa vie.
Les autres membres de la famille sont désignés de manière claire mais pudique – pas de polémique ici : le Monstre, le Vieux Monstre, la Femme Soumise, la Vieille Femme Soumise, la Femme Dragon.
On est dans une famille ordinaire, sans difficulté financière et qui n'habite pas dans le nord de la France... du coup on évite les clichés.
Ce livre m'a paru un peu abrupt dans un premier temps, car les scènes se succèdent sans autre lien que les protagonistes. Après deux ou trois situations, je me suis dit que le ton était un peu sec. Mais en réalité pas du tout ! C'était une déformation liée au contenu de ces scènes de vie, parce que l'écriture, elle, est riche.
Lionel Laffitte, un peu poète sur les bords, use de nombreux adjectifs, de mots précis et d'un vocabulaire parfois recherché.
« Comme une terre labourée par un socle de trop grande taille qui la dénude et épuise son énergie vitale sous les attaques des pluies et des vents, la vie intérieure de l'enfant, blessé dans son corps et son coeur, s'effrite ici et bientôt s'effondrera sous les assauts répétés du Monstre forcené. Son coeur mort de Monstre projette de sombres vibrations toxiques, tue l'oxygène environnant. Une lumière fade et grise emplit l'espace. »
Au fil du livre, on voit se dessiner une intention, celle de cerner et d'éliminer la colère et la violence.
Il ne s'agit pas d'une analyse, encore moins d'une psychanalyse, même si quelques causes de cette violence sont évoquées ; elles relèvent de la reproduction du schéma familiale. Il y a de la pédagogie noire dans ces familles, comme celle que dénonçait
Alice Miller dans "
C'est pour ton bien".
L'auteur nous raconte donc en quelques phases marquantes son parcours de vie, lors duquel il a refusé de se soumettre au déni familial de cette violence que l'on se transmet de générations et générations. En abordant cette thématique traitée par
Edouard Louis dans "Pour
en finir avec Eddy Bellegueule", mais aussi de manière plus nuancée par
Jean-Louis Ezine dans "Les Taiseux",
Lionel Laffitte apporte sa pierre qui pourra permettre à des personnes de se construire ou de se reconstruire après une enfance ou un moment de vie destructeur.
« Le Monstre, lui, s'en est allé en considérant encore et toujours que les déséquilibres de l'Adulte, son fils, ont une origine génétique. Dans le déni le plus complet, il a fabriqué une raison qui le dédouane entièrement. L'ennemi, le coupable c'est le gène déficient. »
Pour cela, le livre est utile, en plus d'être positif et beau.
« Je te montrerai les beautés du monde,
Et des Hommes le coeur rayonnant.
J'éloignerai de toi les âmes immondes
Qui s'acharnent à détruire le vivant. »
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