La chose essentielle qu'il faut savoir sur ce livre, c'est qu'il n'a pas été écrit par un écrivain, mais par un psychiatre, qui a alors défrayé la chronique en dénonçant "l'extermination douce" des malades mentaux par la famine dans les asiles pendant la deuxième guerre mondiale, concept développé par Max Lafon au début des années 80.
Je ne dis pas qu'un psychiatre ne peut pas être un bon écrivain, mais tous ne le sont assurément pas, et c'est le cas de
Patrick Lemoine.
Il a, selon moi, commis l'erreur cardinale de vouloir faire un roman historique alors qu'il aurait dû s'en tenir à un document. D'ailleurs, c'est son unique incursion dans le romanesque, il a écrit par ailleurs de nombreux essais, ce qui est un symptôme.
Il avait de quoi en faire un beau sur le sujet, à n'en pas douter, car de par son poste à l'asile de Bron, l'un des établissements les plus touchés par ce fléau, il avait accès à une documentation de première bourre, ça se voit, et il avait les compétences pour la décrypter.
De plus, en 1998, l'excellent "L'hécatombe des fous" d'Isabelle von Bueltzingsloewen n'avait pas encore été écrit, donc il y avait "la place", comme on dit.
Hélas, faute de réelles compétences de romancier, il tombe dans de nombreux écueils du genre, comme le plaquage de documentation hors-sujet parce qu'il avait vraiment envie de placer ce document-ci ou ce document-là, les digressions à peu près dénuées d'intérêt et d'enjeu, des personnages qui s'intéressent tout à coup à des sujets éloignés de leurs préoccupations naturelles (toujours pour plaquer de la doc), des changements de narrateur sans préavis, des absurdités (genre la fille qui parle de ses amis résistants dans les lettres qu'elle écrit à son fiancé... déporté à Buchenwald !)...
À ce propos, on voit qu'il est pointu sur les asiles, mais qu'il aurait dû s'en tenir à ça, car le gars qui échappe au service militaire comme "chargé de famille" en 1936 alors qu'il travaille seul à 300 km de sa famille, ça ne risquait pas d'arriver en pleine montée du fascisme, alors que ledit service militaire venait d'être remonté à deux ans.
Pour autant, ce livre est si riche en documentation sur un sujet si peu exploité que je n'ai pas envie d'être trop sévère avec lui. J'ai pris le parti de le lire comme un document, et de ce point de vue, il n'y a pas grand chose à redire tant qu'on se limite aux asiles, à la manière dont ils étaient gérés, et à la famine qui les a décimés durant ces années noires.