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EAN : 9782916488479
576 pages
La Louve (05/10/2011)
4.75/5   4 notes
Résumé :
Cet ouvrage livre une correspondance d’environ 300 lettres de Gaston de Lévis, élu en 1812 à l’Académie Française. Cette correspondance est exceptionnelle à plus d’un titre. Gaston de Lévis écrit à son épouse Pauline entre les années 1784 et 1795. Outre l’œuvre littéraire tout à fait remarquable que constituent ces lettres, il s’avère qu’elles sont aussi - et même surtout - une source historique rare : écrivant de Paris, de Versailles, puis de toute l’Europe, Gaston... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Lettres de Gaston de Lévis. ( Lu en juin.)

Gaston de Lévis, duc et pair de France, qui entrera à l'Académie Française en 1812, épousa Pauline d'Ennery en 1784. Les époux étaient très jeunes et furent contraints à de longues séparations entre 1784 et 1795. Pendant plus de dix ans, ils échangèrent une correspondance nourrie. S'il ne reste rien des lettres de Pauline, la postérité est riche de celles de Gaston. En quelques 300 lettres, l'homme n'a de cesse de célébrer son amour pour sa belle épouse, mais surtout de se faire le témoin actif de l'Histoire en marche. « Quand la distance et la durée de la séparation sortent vraiment du temps ordinaire de la vie, le duc, tout en continuant à s'épancher sentimentalement, transforme ses lettres en de véritables reportages à l'intention de sa femme, devenant ainsi un témoin de premier plan de l'Histoire. Son talent littéraire fait alors de sa correspondance un document exceptionnel » (Introduction). Entre amour et Histoire, les lettres de Gaston de Lévis à Pauline « se révèlent un remarquable témoignage de première main sur la période révolutionnaire, rédigé sans les arrière-pensées d'un auteur, sans la distorsion du défenseur d'une cause, sans la recomposition qui préside aux mémoires » (Introduction).

Le recueil de ces lettres s'articule en plusieurs époques et sont numérotées. « Portent ainsi une numérotation propre la correspondance du voyage de Prusse et de Russie (juillet 1784- janvier 1785) et les lettres de l'émigration : lettres adressées à Tournai (décembre 1790-mai 1791), à Londres (juin-septembre 1791 puis mars-juillet 1792), lettres de la campagne de Champagne (août-octobre 1792), de l'expédition avortée à partir de l'île de Wight (décembre 1793-janvier 1794) et de l'expédition de Quiberon (juin-juillet 1795) » (Introduction).

Gaston de Lévis a une charge de capitaine dans l'armée et il assure des fonctions diplomatiques dans les cours d'Europe, en Prusse et en Russie. Alors que Pauline réside dans le château d'Ennery, Gaston est à Versailles ou à Paris. de là, il raconte la vie de la Cour, les intrigues politiques et les remous qui annoncent la Révolution. « En tant que seigneur d'Ennery et grâce à la recommandation de Monsieur, Gaston de Lévis est nommé grand bailli de Senlis en janvier 1789. C'est dans le cadre des bailliages et des sénéchaussées qu'on va réunir les représentants des trois « ordres », noblesse, clergé et tiers état, chargés de rédiger les cahiers de doléances et d'élire les députés aux États généraux. C'est donc le duc de Lévis qui préside du 11 au 24 mars l'assemblée de son bailliage en même temps qu'il dirige les débats de l'assemblée de la noblesse » (Introduction). À une époque où tout bouge et où l'ordre séculaire vacille, les lettres de Gaston de Lévis, comme celles des Poilus, auraient pu commencer par « Je vous écris du front ». L'homme ne manque jamais d'être en première ligne, par devoir et par honneur.

Fidèle à la famille royale, favori de Monsieur (le futur Louis XVIII), Gaston est un aristocrate, pas un révolutionnaire, bien qu'il soit attiré par les idées nouvelles et farouche ennemi du despotisme. Devant les soulèvements de 1789 et des années noires, son discours se fait paternaliste et triste. Ainsi écrit-il, au soir de la proclamation de la Constitution, et alors que les puissances européennes menacent : « Pauvre peuple, tu te réjouis, tu danses et des maux innombrables sont près de fondre sur toi, des forces étrangères s'apprêtent à ravager tes campagnes et à noyer tes villes dans le sang, à eux des Français ne craindront point de joindre leurs coupables efforts et ce seront tes plus cruels ennemis. L'hydre de la fiscalité s'apprête à te dévorer et, pour comble d'horreur, la famine hideuse te menace de sa gueule affamée. Tremble, peuple insensé, et vois l'abîme ouvert sous tes pas. Mais non, danse, la prévoyance du malheur est un malheur de plus. »

Quand la Révolution bat son plein, Gaston de Lévis envoie femme et enfants loin de France. « Partez tout de suite, je le désire, je le veux. » (Lettre du 14 ou 15 juillet 1789) Des Pays-Bas à l'Angleterre, l'aristocratie française bat en retraite. Les époux utilisent un code pour parler de certaines affaires politiques et personnages. Pour se protéger, la duchesse de Lévis devient un temps Mme Grillon en Angleterre. Certains exilés, comme Pauline, ont bien des difficultés à mener un train de vie diminué et le spectre des difficultés financières pointe le bout de son nez. Les lettres de Gaston s'agrémentent alors de gronderies domestiques. Entre les grandes lignes de l'Histoire, les épitres relatent les misères du quotidien et les blessures de guerre du militaire séparé de sa famille.

Si l'Histoire française et la grande Révolution sont l'intérêt principal de ce recueil de lettres, l'histoire personnelle et amoureuse de Gaston est un fil rouge qui guide le lecteur. Gaston de Lévis ne manque pas de faire sentir toute l'impatience dans laquelle il attend les réponses et le retour auprès de sa Pauline. Les lettres sont lourdes de sensualité et de tendresse, de respect et de délicatesse : elles célèbrent un amour durable tout en se désespérant de ne jamais traduire pleinement le sentiment qui les sous-tend. « Plaignons-nous à cette pauvre langue française qui a si peu d'expressions pour l'amitié. Si c'était moi qui l'eus inventée, j'aurais choisi pour une union commençante « je vous aime », quand les sentiments auraient été plus vifs, j'aurais dit « je vous adore » et puis quand on aurait été au point où nous en sommes (je veux dire, où j'en suis), alors j'aurais trouvé une expression plus forte, plus énergique et qui n'aurait jamais été employée qu'à ces extrêmes. En attendant que quelqu'un rende ce service à la nation, je vous embrasse, ma Pauline, bien tendrement. Et voilà encore de ces manières de parler communes à trop de choses et que je n'aime pas. N'écrirais-je point à ma soeur de même qu'à vous « je vous embrasse » et cependant si j'avais le bonheur de vous embrasser, vous sentez que c'est bien différent d'un baiser de soeur. »

Tout est bon pour chanter l'amour, même au plus fort des remous historiques : les descriptions des paysages redoublent le lyrisme. L'amour est badin et parfois un brin boudeur. Amoureux ardent, Gaston est également jaloux et inquiet : la distance accroît les craintes d'un mari soupçonneux. « Mon amour, tu me plais par toutes tes qualités, sous tous les points de vue et je ne troquerais pas tes moments d'humeur contre les caresses d'une autre. Après cela, ais-les, si tu oses. Tu vois que tu ne risques rien, tu tiens mon secret, je serai fâché mais toujours amoureux et jamais rien n'aura la force de rompre le lien qui attache nos coeurs. Seulement, quand ils sont absents, ils sont plus susceptibles, et sais-tu pourquoi ? C'est que le lien qui les unit est plus tendu et par conséquent est prêt à leur communiquer aussitôt les moindres impressions dont il est frappé. » Mais si les reproches et la tendresse se disputent parfois la page, l'Histoire continue de couler sous la plume de Gaston.

Gaston de Lévis a plusieurs visages. On a vu l'époux éperdu et le père de famille soucieux. Il est habitué des villes de garnison comme des cours somptueuses. Homme d'armes, il l'est aussi de lettres, mais sans prétention aucune. Il se pique de politique : « Je crois mes idées belles et neuves, au moins ce dont je réponds, c'est qu'elles ont un air de grandeur qui pique, on peut les accuser d'être gigantesques, mais certes point d'être plates » et entretient des liens étroits avec Mirabeau. Dans ses lettres, Gaston de Lévis se fait chroniqueur. Ses voyages lui permettent des études sociales, géographiques ou politiques. Il ne manque pas de s'étonner, en bon Parisien, des moeurs des autres pays. Gaston dresse des portraits dignes des Caractères de la Bruyère. L'homme a de l'humour, de l'esprit et est capable de récits cocasses, comme la description d'un duel qui vire à la bouffonnerie. Il a assisté à la bataille de Valmy du haut de son fameux moulin et son récit rend toute la saveur d'une rencontre militaire aux allures de pétard mouillé. Sa main n'hésite ni ne rature. Son écriture est alerte et vive : l'Histoire est dans l'encrier, prête à couler au bout d'une plume agile.

La richesse et la précision des notes de bas de page rendent la lecture aisée et vraiment plaisante. Je ne me suis pas ennuyée un instant aux côtés de Gaston et je vous souhaite autant de plaisir à lire ces lettres de l'Histoire vécue de l'intérieur.
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« Ma Pauline, ce fut sur cet heureux rivage
Que l'amour resserra le noeud qui nous engage
Et ta bouche timide en ces aimables lieux
Par un aveu charmant sut combler tous mes voeux.
Oui, je l'ai cru sincère et veux toujours le croire,
Il est cher à mon coeur, présent à ma mémoire,
Et pour jamais, Pauline, un tendre souvenir
L'a gravé dans mon âme en lettres de plaisir. »

Qui pourrait croire que celui qui écrit ses tendres vers à sa bien-aimée n'est pas un poète romantique mais bel et bien un homme politique, Gaston Pierre-Marc de Lévis, député de la noblesse aux États Généraux, qui, faisant preuve de courage, s'est engagé auprès des armées coalisées ? Ces mots sont envoyés à sa chère femme, Pauline d'Ennery, avec qui il entretiendra une correspondance qui l'aidera moralement à tenir, éloigné d'elle pendant cette période troublée. Et lorsque l'on sait que le jeune marié sera forcé de partir avant que le mariage ne soit consommé, on peut facilement s'imaginer la force de ces missives. Cette correspondance s'étale sur une dizaine d'années mais le couple pourra – heureusement – se voir de temps en temps, ce qui donne aux lettres une certaine diversité.

Cette prose épistolaire est riche d'enseignement pour nous qui, quelques siècles plus tard, avons toujours peine à nous imaginer ce qu'a pu être ce mouvement si important qui a marqué à tout jamais L Histoire pour en devenir un tournant. Car lorsque Gaston est loin de Pauline, il lui raconte tout en détail afin qu'elle puisse s'imaginer ce qu'est en train de vivre son mari. Et lorsque celle-ci part en Angleterre, en 1790, la chronique historique de Gaston prend corps. Ces lettres sont intimes, bien évidemment, mais il ne faut pas croire pour autant qu'elles dégoulinent toutes d'un amour enfiévré. La distance rend les choses difficiles, l'impatience également. Certaines sont plus dures, la jalousie prenant le pas sur l'amour. Lorsque Gaston doit émigrer à Bruxelles, en 1792, il s'imagine que Pauline ne l'attendra pas. le doute s'immisce, ce que la jeune épouse prend mal. Même si, malheureusement, nous n'avons pas la correspondance de cette dernière, on peut comprendre, par les réponses de Gaston, que le couple subit les assauts du temps et de la séparation.

Gaston profite de ses lettres pour parler également de politique. Il croit dur comme fer aux nouvelles réformes, à ce nouveau monde qui se profile. Il reste intéressant à ce titre de voir les idées de la noblesse à l'orée de ce changement.

Enfin, le ton est résolument moderne. Outre les sentiments, on assiste ici à une écriture fine, élégante, ponctuée d'humour ici et là. Ne serait-ce les dates, on ne devinerait jamais que ces lettres datent du XVIIIe siècle. Cette correspondance est une véritable pépite, une mine d'or pour tout un chacun. Elle ravira ainsi l'amateur de prose épistolaire, l'Historien passionné ou, tout simplement, le curieux, passionné par la belle littérature.

Et si j'étais vous, je serais déjà chez mon libraire !
Lien : http://www.lydiabonnaventure..
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Ce livre paraîtra le 08 octobre (et pas avant ! Ah, je sais, il va falloir se montrer patient(e)s) chez cet éditeur que je ne présente plus, Jean-Louis Marteil (La Louve Éditions). Comment ça vous ne le connaissez pas ? Mais allez vite sur son site ou je vais me fâcher !

Bref, la gentillesse légendaire de cet homme passionné par L Histoire et la Littérature étant de notoriété publique, il m'a donné à lire ces lettres que Gaston de Lévis écrivit à Pauline, son épouse, en ces temps troublés. Et là, j'avoue avoir eu un véritable coup de coeur ! J'étais tellement absorbée par ces écrits que j'en oubliais presque que j'étais au XXIe siècle et que le petit monde autour de moi existait et, accessoirement, criait famine. Bref, vous l'aurez compris, j'étais plongée dans cette correspondance qui ne ressemble à aucune autre. Un style à tomber, de l'humour, un document historique de première....

Bon alors, j'espère que vous avez couru noter les références de ce livre sur votre agenda / calendrier / palm / portable / frigo (???) de manière à être les premiers à l'acheter avant qu'il n'y ait une rupture de stock. Car j'en mets ma main à couper, voilà un évènement qui va faire du bruit !

Pour en savoir plus, cliquez sur le lien ci-dessous.
Lien : http://www.lalouve-editions...
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« Ecrire la Révolution » rassemble quelques 300 lettres que Gaston de Lévis a écrit à son épouse Pauline entre 1784 et 1795.
L'intérêt de l'ouvrage est de délivrer le témoignage d'un acteur et observateur de la période ultime de l'Ancien Régime et de la Révolution.
Aristocrate, militaire, Gaston de Lévis épouse Pauline d'Ennery en 1784. Il a 20 ans, elle en a 13. Pour son instruction militaire, Gaston de Lévis part en Prusse puis en Russie. Dans ses lettres à Pauline, il raconte les péripéties du voyage, décrit les paysages, commente les moeurs des habitants, approfondit ses goûts pour les affaires militaires…
Garde du corps de « Monsieur », frère du roi et futur Louis XVIII, Gaston de Lévis en devient le favori. La vie de cour l'éloigne de Pauline qui demeure au château d'Ennery.
En 1789, le duc de Lévis préside l'assemblée de son baillage et celle de la noblesse lors de la rédaction des cahiers de doléances. Il est favorable aux réformes, et partisan d'une monarchie constitutionnelle. Il participe aux Etats Généraux (5 mai 1789), l'accélération des évènements en cet été 1789 montre son inquiétude sur le sort de sa famille qui est à Paris.
Ainsi les lettres soulignent les préoccupations du duc, son souci d'éloigner sa famille de Paris puis de France. Il gère les affaires domestiques, il s'alarme des dépenses de son épouse. Face aux évènements, il donne son sentiment,il prévoit la guerre.... Les évènements de 1792 le déterminent à s'exiler et s'engage dans l'armée autrichienne lors de la campagne de Champagne (automne 1792). Il s'exile et rejoint sa famille en Angleterre. Néanmoins, il participe à l‘expédition militaire contre -révolutionnaire de Quiberon (en juin-juillet 1795), où, blessé, il s'échappe in-extremis.
Les lettres s'arrêtent en 1795. Elles expriment d'abord les sentiments entre époux, le duc déplore son éloignement, la charge de ses fonctions officielles qui l 'éloignent de sa famille …Les propos intimes révèlent des élans de doute, de jalousie, mais seules sont connues les lettres du duc, celles de Pauline sont absentes. le style de Gaston de Lévis est alerte, la rédaction paraît aisée. Cultivé, il émaille ses lettres de remarques personnelles qui animent les propos.
Une introduction de 93 pages, rédigée par Claudine Pailhès, présente, avec intérêt, les familles et le parcours de Gaston de Lévy . Les annotations en bas de pages complètent judicieusement les nécessaires références aux évènements, acteurs des temps révolutionnaires... Au final, une publication des Editions La Louve à saluer.






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Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
Extrait de l'introduction de Claudine Pailhès :

Les lettres de duc de Lévis à sa femme sont toutes des lettres intimes. Il écrit quand ils sont séparés mais la distance et la durée influent sur le contenu. Quand la distance est courte – entre Paris et Versailles ou entre Paris et un des châteaux d'Île-de-France où ils séjournent – ce sont des mots brefs, touchant la vie quotidienne ou les affaires, parfois des digressions plus longues sur les choses de l'amour. Quand la séparation est plus longue – les temps de garnison –, les lettres s'allongent elles aussi et le duc décrit à sa jeune femme son environnement du moment, lui offrant des tableaux souvent pittoresques des lieux et des gens. Quand la distance et la durée de la séparation sortent vraiment du temps ordinaire de la vie, le duc, tout en continuant à s'épancher sentimentalement, transforme ses lettres en de véritables reportages à l'intention de sa femme, devenant ainsi un témoin de premier plan de l'Histoire. Son talent littéraire fait alors de sa correspondance un document exceptionnel.

En 1784 déjà, il nous transporte au cœur de la mosaïque des États allemands, à la cour de Prusse et même dans la chambre de Frédéric II, à Berlin, à Prague et sur les bords de la Néva et du Dniepr au long de pages remplies de vie, d'intelligence et d'humour.

Mais la correspondance atteint des sommets dans le temps de la Révolution. Pauline est partie aux Pays-Bas dès la fin de l'année 1790, elle gagnera l'Angleterre au début de l'été suivant, Gaston reste à Paris. Un an plus tard, il émigrera à son tour, il participera à la campagne de Champagne, puis il ira rejoindre sa femme en Angleterre. Il la quittera encore, et reprendra donc la plume, lors de l'expédition manquée de l'île de Wight puis lors du débarquement de Quiberon. Durant ces longues, très longues séparations, d'autant plus longues qu'on peut toujours les craindre définitives, Gaston de Lévis écrit beaucoup. Il écrit parce que l'écriture est son refuge dans la solitude, parce qu'elle est le lien qui le rattache à celle qu'il aime et parce que c'est le seul moyen de lui faire partager ses états d'âme, sa perception des événements révolutionnaires et ses interrogations, ses doutes sur l'attitude à prendre, de lui faire partager aussi son quotidien, un partage dont ils ont besoin tous les deux. Il l'informe au jour le jour des petits événements de sa vie et des grands événements de l'Histoire. D'où un très vivant tableau du Paris des années 1791-1792, des séances de l'Assemblée nationale aux émeutes en passant par les soirées de théâtre, et d'extraordinaires récits du retour de Varennes, de la fête de proclamation de la Constitution, de l'invasion des Tuileries, de la bataille de Valmy, du désastre de Quiberon...

Ce n'était pas l'objet premier de ces lettres, mais elles se révèlent un remarquable témoignage de première main sur la période révolutionnaire, rédigé sans les arrière-pensées d'un auteur, sans la distorsion du défenseur d'une cause, sans la recomposition qui préside aux "mémoires". Bref, un magnifique cadeau fait à l'Histoire.
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Quand un jeune homme quitte les plaisirs et le séjour enchanté de la capitale pour l’insipide uniformité de la vie de garnison, les regrets l’empêchent de faire beaucoup de remarques sur la route qu’il parcourt. Ainsi, quand on quitte une personne à laquelle on est véritablement attaché, qui réunit les qualités du cœur à tant d’autres, enfin, vous, Pauline, jugez s’il est possible de faire un journal bien exact. Pour moi, je sais bien que sur le chemin de Paris à Metz, j’ai vu des arbres, des maisons, la Marne, de mauvais chevaux et voilà tout. N’attendez donc pas une relation de mon voyage jusqu’en Lorraine. Je l’ai fait avec aussi peu d’attention que celui de Paris à Versailles. Cependant, quand je suis arrivé à Metz, il a bien fallu sortir de cette espèce d’apathie pour faire les visites d’usage, présenter partout mon jeune camarade, l’installer dans son appartement, aller ensuite au chapitre, à Frescati, voir madame l’abbesse qui a toujours pour moi trop de bontés pour mon mérite, mais pas trop pour ma reconnaissance ; au bout de trois jours, refaire sa malle et repartir ; n’avoir dans ce temps qu’un malheureux quart d’heure pour écrire à sa Pauline ; en vérité, ce n’est pas la peine d’en avoir une comme la mienne pour aussi peu en profiter.
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Me voici à plus de cent lieues de vous, ma chère amie, il y a bien du temps que je vous ai quittée et je n’ai pas encore de vos nouvelles. Jugez si je suis content : des chemins raboteux, de mauvais chevaux, une poussière aveuglante, une chaleur étouffante et point de Pauline, pas même une petite lettre à relire et à baiser ; pour toute ressource, quelques cheveux sous glace. Encore, j’ai été obligé de les serrer ; avant-hier j’ai pensé perdre ma bague, je ne veux plus la compromettre, elle est dans ma cassette au moins pour trois jours. Il faut bien se punir de son étourderie, c’est cependant la seule que j’aie à me reprocher depuis mon départ. J’ai presque toujours été aussi grave que je l’étais avec monsieur Lefebvre sous les platanes d’Ennery ; pour cette fois, c’est bien une gravité de tristesse. Je n’ai rien trouvé d’intéressant sur une route que j’ai faite plusieurs fois et le journal ne commencera, s’il a lieu, qu’en sortant d’ici. Je n’ai point trouvé à Metz le Chabot de votre amie, il est resté apparemment avec elle, qu’il est heureux et qu’il le serait davantage s’il fût resté pour Pauline, mais elle est à moi et je ne dis même qu’aux gens bien sûrs tout ce que je pense d’elle, car il faut faire le moins d’envieux qu’on peut.
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Les Alsaciennes sont en général jolies, sans être d’une figure bien régulière ; leur manière de se mettre est assez piquante, elles ont des justes lacés par devant et leurs cheveux partagés en tresses reviennent former une espèce de toque. Cette coiffure vient sans doute de l’usage où elle sont de porter sur la tête les fardeaux les plus lourds et les plus embarrassants. J’ai souvent vu une laitière porter ainsi une douzaine de petits pots de crème dans un grand panier et tout cela de la meilleure grâce du monde. Cependant, cette habitude contractée de trop bonne heure fait que presque toutes ont le col trop court et peut-être, Pauline, nos petits enfants verront-ils ces paysannes d’Alsace comme ces peuples dont parle Gulliver, qui avaient les yeux aux épaules. En attendant, vous saurez que la société est ici fort agréable ; c’est la franchise allemande égayée par la vivacité française, mais la mauvaise compagnie est bien plus commune que la bonne. En revanche trouve-t-on une quantité de professeurs, de maîtres en tout genre, de pensions pour contenir les jeunes gens de tous les pays qui viennent y finir leur éducation. Les professeurs de droit public d’Allemagne, qui sont ordinairement chanoines de St Thomas, sont fort estimés, mais j’aime encore mieux mesdames les chanoinesses leurs femmes et je me rappelle avec plaisir madame Reiseisesness qui était aussi aimable que son nom l’est peu.
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(...) Voilà des nouvelles de famille. Vous prétendez que je n’en sais ou plutôt que je n’en dis pas de société. En voici une qu’heureusement l’on vient de me raconter chez ma sœur. Le petit Gravescure, votre ami, était ce soir au théâtre de Monsieur dans une loge fermée de colonnes seulement, excepté du côté du théâtre où la séparation est une grande glace, sa vue est à peu près aussi longue que sa taille ; en arrivant dans cette loge, il voit sa ridicule figure dans la glace, se salue, et dit au duc de Laval tout bas : « Quel est donc ce seigneur qui vient de me faire la révérence, il a l’air bien noble ». Cela vous divertira d’autant plus que la dernière réflexion n’est partie, à ce que l’on présume, que lorsqu’il a reconnu la méprise. (...)
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Vidéo de Gaston de Lévis
Vidéo sur les lettres de Gaston de Levis à son épouse, Pauline.
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