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EAN : 9782823620276
160 pages
Editions de l'Olivier (18/08/2023)
3.78/5   94 notes
Résumé :
"Georgette était notre bonne, mais le mot était imprononçable". Georgette veille sur les rituels qui scandent la vie de la narratrice et de son frère : le bain, les repas, le lever et le coucher, les fêtes, les voyages. Elle est aussi la seule à savoir comment se débarrasser des serpents et des scorpions. Georgette est une seconde mère. Elle est indispensable. Mais socialement, elle demeure une fille, c'est-à-dire une domestique.
Telle est la contradiction pr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (30) Voir plus Ajouter une critique
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Si vous voulez de temps en temps croquer une douceur en littérature qui vous ferait plaisir , qui vous ferait sourire, sans vraiment vous casser la tête tout en lisant une prose de qualité , eh bien ne passez pas à côté de Georgette, même si l'histoire est finalement poignante.

Georgette c'est la bonne, la nourrice….elle va se marier et quitter la famille de Déa, la narratrice alias l'auteure , une famille franco-syrienne ( cette connotation changeant un peu le contexte 😊), alors qu'elle a treize ans. Pour elle ,elle était une mère, un père,
Mais,
« Je ne sais pas qui elle était vraiment.
Je ne sais pas ce qu'elle pensait de nous….
Je sais ce qu'elle était pour moi. Je ne sais rien d'autre d'elle…. »
Or la triste vérité,
« Elle était une domestique et tu étais une enfant de la bourgeoisie. »
Pourtant la narratrice a aimé cette femme, a été aimée d'elle durant les treize premières années cruciales de sa vie, d'où ce livre émouvant en hommage à une personne qui a fait partie de sa vie , de son quotidien, et l'a apparemment fortement marquée affectivement.

Des passages délicieux sillonnent ce court roman écrit avec amour:
« La raclette : son instrument roi. Georgette lavait le sol de la terrasse à grande eau et le raclait à la perfection. Plus tard j'ai essayé d'imiter son mouvement, la grâce et la puissance, la régularité de métronome avec laquelle l'instrument déplace parfaitement les torrents d'eau, la magie de cette eau brunie qui emporte avec elle la saleté, de cette raclette qui laisse derrière elle la pierre heureuse et chatoyante au soleil, frémissante sous un voile d'humidité. Georgette raclait le sol de manière communicative ; je crois que parmi toutes les tâches que ses mains accomplissaient, celle-là lui apportait une grande satisfaction. »
« Toutes les semaines Georgette appelle longuement sa mère et ses frères et soeurs restés à Hassaké, et on l'entend parler achouri pendant des heures. Cette langue est un mystère pour nous, nous n'en saisissons pas le moindre mot. Georgette parle à toute vitesse, avec animation, elle parle plus librement qu'avec nous. »

Et puis Georgette est l'héroïne de plusieurs anecdotes aux divers variantes 😊, «  Georgette et le scorpion », «  Georgette et le serpent »……et surtout elle est un des personnages des films amateurs de la mère à qui le père a offert une caméra peu après la naissance de Déa et qui s'acharnera à filmer sa famille jusqu'aux 18 ans de Déa. le livre épouse en vingt-six séquences en super 8, ces souvenirs émouvants , substituant les mots aux images, évocation nostalgique d'une enfance lointaine.

Et finalement si Georgette était restée ?
« Restée pour faire quoi ? Georgette, comme Wahidé, appartient à un monde en voie de disparition. Je n'ai pas de regrets pour ce monde, pour ses lois. Ce n'était pas viable, c'était socialement inacceptable, ce n'était même pas vraiment nécessaire. »

Ces personnes qu'on emploie chez soi et vivent avec nous peuvent devenir vraiment un membre de nos familles, si on les affectionne, les traite correctement matériellement et moralement, et Georgette était apparemment l'une d'elle du moins à ses débuts, mais finalement l'était-elle vraiment ? Car « Georgette vivait en effaçant ses traces», et ……
Entre rêves et souvenirs Déa Liane nous raconte avec tendresse et amour le récit subtil et déchirant d'une contradiction présente au coeur de son histoire, celle de Georgette, une seconde mère, indispensable mais socialement, une fille, c'est-à-dire une domestique. Un bel hommage à Georgette, si jamais elle aurait pu avoir l'occasion de le lire !
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Difficile, pour une adolescente de 13 ans, de comprendre et d'accepter qu'une seconde maman qui faisait partie intégrante du foyer familial et avait pris soin d'elle dès sa naissance quitte la maison pour se marier et, peut-être, fonder une famille à son tour. En même temps, comment ne pas avoir honte de trouver que ce nouveau tournant, dans sa vie et dans celle de Georgette, lui semble aberrant ? L'amour qu'elle avait prodigué au long de ces années pouvait-il prendre fin ? Comment imaginer que Georgette était rémunérée pour être auprès de son frère et elle ? Une domestique, une fille comme ils disent au Liban. Alors la honte n'est-elle pas plutôt là, dans le fait d'avoir eu une domestique ? Que cette vie, impliquée dans toutes les taches quotidiennes, soit restée en marge dans les films amateurs que la mère aimait tant tourner ?
Du départ de Georgina, Dea Liane ne se souvient plus du déroulé mais se rappelle de l'absence de larmes de sa part qu'elle ne se pardonne pas. Les larmes de Georgette, sincères, disaient toute la peine de s'arracher à l'amour qu'elle avait donné aux enfants de ce foyer qui n'était pourtant pas le sien mais qu'elle considérait comme tel.

La mère filmait, parfois, rarement, c'est Georgette qui tenait la caméra. Dea Liane écrit ici les images, les gestes du bain donné par Georgette, le biberon que la petite prenait, bien calée dans ses bras, le premier Noël en France, les vacances… de ces séquences, l'autrice scrute les moindres attitudes de Georgette pour lui donner la vedette qu'elle n'a jamais dans les films de la famille.
« Je fais le point sur elle, elle qui est toujours dans les marges du cadre, cachée derrière nos corps, planquée derrière son rire rauque et offert. [...]. Je plisse les yeux et j'essaie de distinguer dans l'image pixellisée les contours de son univers ; d'entendre dans les paroles grésillantes les limites de sa condition. »
Entre ces épisodes de vie tournés au Liban, en Syrie, en France, Dea Liane se demande ce que pensait Georgette, creuse dans sa mémoire mais n'y trouve pas suffisamment de traces de tous ces moments passés auprès de sa seconde mère.
Mais surtout, elle sait que cette situation, cette présence, n'aurait jamais dû être. Elle écrit sa douleur, et, en toute franchise, partage sa culpabilité avec le lecteur. Cet écrit, tout en dénonçant cette « domesticité traditionnelle » est un soulagement pour elle, ne pas laisser dans l'oubli cette réalité, cette relation ambivalente, tout en honorant Georgette, tout en l'aimant.

Des passages au Liban, ce roman-confession montre aussi, dans la bourgeoisie, les différents visages de la présence, banale, des « filles » à demeure. « Nommer les rapports de domination, le mépris de classe, le racisme ordinaire. Oser parler d'esclavage. »

Au premier abord, l'écriture décrit, nettement, précisément, les images, les souvenirs. Je pensais que ce style allait tenir à distance l'émotion mais il n'en est rien. L'affection portée à Georgette se ressent ainsi que la force du lien invisible tissé entre elles deux pendant treize années. La perte de cette relation et l'envie de reprendre contact ébranlent le lecteur.
Un premier roman vibrant qui donne, dans toute sa lumière, le premier rôle à Georgette.
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«Toutes les vies contenues dans sa vie à elle»

Dans son premier roman la comédienne Dea Liane rend hommage à se seconde mère, la bonne qui l'a accompagnée durant ses treize premières années en Syrie, au Liban et en France. Un roman initiatique qui touche au coeur.

Quand on a 13 ans et que l'on a toujours vécu avec la même personne, que cette dernière s'est toujours occupée de vous, qu'elle vous aime et vous aide, il est compréhensible que l'annonce de son départ provoque un terrible choc. C'est ce qui arrive à la narratrice. Depuis sa naissance, Georgette était à ses côtés. Mais Georgette n'est qu'une employée et malgré l'affection qu'elle éprouve pour la jeune fille, elle vit sa vie. L'annonce de son mariage prochain marque tout à la fois son envie de créer une nouvelle famille et l'abandon de celle qui l'emploie.
Après l'incompréhension vient l'envie, sinon le besoin, de rendre hommage à celle qui aura été comme sa seconde mère.
«Georgina K. est née près de Hassaké, en Syrie, le 13 novembre 1960. C'est une région très pauvre, la région des premiers chrétiens, les Assyriens, qui parlent un dialecte descendant de l'araméen. Elle a grandi dans une fratrie de treize enfants. Elle a commencé à travailler comme domestique dans des familles à l'âge de treize ans. Elle n'a jamais appris à lire ni à écrire.» de cette biographie parcellaire, on comprend combien la vie de la jeune femme au sein d'une famille bourgeoise tient davantage de l'exploitation que de l'émancipation. Au fil du temps Georgette s'attache pourtant à ses employeurs et plus encore à leurs enfants. Elle va trouver normal de les suivre dans leurs différentes demeures, en Syrie puis en France. Discrète et effacée, elle vit à l'ombre de cette famille, apparaissant ici et là, comme dans le grand film familial que réalise sa mère après avoir reçu une caméra en cadeau. de décembre 1990 à janvier 2008, «les vingt volets de la saga familiale sont fichés et rangés dans un classeur. Il existe des épisodes pour toutes les années sauf une: 2003, l'année du départ de Georgette. le dernier épisode filmé est celui de mon dix-huitième anniversaire.»
L'originalité de ce premier roman tient justement à sa construction originale, détaillant cette cinématographie dans laquelle on voit les relations de la famille avec Georgette qui apparaît dans le champ au gré des demandes de la mère avant de se faire assistante et, plus rarement, de jouer son rôle de mère de substitution.
Dea, au fil des films, interroge la condition de cette pièce rapportée qu'elle aime tant, va chercher les indices qui lui permettront de croire que son amour est partagé. Elle ira même, au moment de coucher cette relation particulière sur le papier, jusqu'à rechercher la Georgette d'aujourd'hui, désireuse de renouer un contact perdu si violemment. Mais je vous laisse découvrir le résultat de cette démarche, soulignant plutôt le charme mélancolique de ces souvenirs en super 8, avec les images tremblantes, aux couleurs passées qui soulignent le côté nostalgique de cet émouvante évocation de l'enfance.


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Georgette c'était la présence rassurante et indispensable de l'enfance de Déa, la narratrice, petite fille issue d'une famille libano syrienne exilée en France. Georgette, la nounou, la seconde maman, celle qu'on n'aurait jamais osé appeler la bonne. Georgette la consolante, l'énergique, toujours au travail et toujours présente pour les enfants, Déa et son grand frère. Et puis du jour au lendemain Georgette est partie et Déa s'est retrouvée seule. Devenue grande, elle essaie de dénouer les liens complexes entre Georgette et sa famille et de reconstituer son histoire.

Georgette est un petit livre de même pas 200 pages mais c'est aussi une histoire bouleversante qui vous restera longtemps en tête. Déa Liane raconte son histoire et avec beaucoup d'honnêteté et de franchise tente de faire le point sur l'histoire de ces femmes vouées à sacrifier leur propre vie pour élever des enfants qui n'étaient pas les leurs et dont elles pouvaient être séparées à tout moment. le roman est construit comme une série d'instantanés, de courtes scènes qui vont nous donner à voir de petits pans de l'histoire de cette famille. le père, accaparé par son travail et ses voyages d'affaires, souvent absent, la mère qui met en scène sa famille et passe son temps caméra à la main pour immortaliser les bons moments et les scènes clés et puis Georgette, Georgette qui dans la petite enfance de Déa et son frère était finalement celle qui les nourrissait, les rassurait, les berçait, apaisait leurs cauchemars et leurs peurs. Georgette dont la position dans la famille n'était pas clairement définie tant aux yeux des enfants elle semblait avoir toujours été là et faire partie du noyau familial alors que pourtant quelques scènes clés viendront rompre l'illusion et la remettre à sa place d'employée, de domestique, de "fille" comme on disait à l'époque, bref la bonne.

Le ton adopté par l'autrice est très juste, elle n'essaie jamais d'enjoliver les choses mais ne se place pas non plus dans une posture faussement compatissante. de chapitre en chapitre, elle va simplement reconstituer son histoire et celle de Georgette à l'aune de ce qu'elle comprend maintenant devenue adulte. C'est tantôt très drôle (Georgette super héroïne chassant les scorpions qui menacent les enfants), tantôt ironique quand on sourit de la maman s'évertuant à mettre en scène sa vie pour laisser des souvenirs impérissables à la caméra et puis au fil des pages, à travers à la fois la nostalgie de cette époque et tout ce qu'on devine en filigrane de l'injustice sociale et de la position compliquée que tient Georgette, le livre devient franchement bouleversant. Georgette a mis sa vie en sourdine pour se dévouer à cette famille qui n'est pas la sienne, elle n'a d'ailleurs pas vraiment connu d'autre vie ni eu le choix, elle les suit lors de leur exil en France, sans parler un mot de français et en abandonnant ses racines. Et puis du jour au lendemain l'illusion va se rompre, Georgette va rentrer au Liban et le lien qui l'unissait aux enfants sera définitivement brisé.

C'est un très beau roman que ce Georgette, écrit d'une plume douce et évocatrice, pleine de tendresse et d'humour. Un livre qui redonne une voix à ceux que l'on n'entend jamais, ceux qui ont longtemps fait partie du paysage sans qu'on s'interroge sur leur présence, leur vie ou leurs souhaits. Une belle réussite pour un premier roman et un titre à découvrir !
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« Nous étions ses enfants et comme toute mère, elle n'avait pas tempéré son amour pour nous. Sa situation était née d'une nécessité économique, d'un déséquilibre social. Mais une fois à l'intérieur, Georgette n'a pas posé les limites de sa condition, elle s'est laissé prendre, elle a pris le risque. »

Pour certains c'est une nounou, pour d'autres une bonne, une employée de maison, une jeune fille aidante ou encore une ben't au Liban. Pour Dea Lane, c'est tout simplement Georgette, cette autre mère qui a marqué son enfance et finalement sa vie.

Jusqu'à ce jour de 2003 où le départ est rapide, brutal, douloureux. Devenue adulte, il reste alors à Dea les souvenirs du « Film familial » patiemment réalisé par sa mère, les mots à coucher sur le papier pour rendre hommage, et qui sait, la perspective d'un contact, si longtemps après…

De la Syrie à la France en passant par le Liban, Dea Lane nous ouvre dans Georgette le livre d'une enfance heureuse et insouciante, passée sous le regard bienveillant et protecteur de Georgette, sa deuxième mère.

C'est intime et délicat, fait de fragrances, de fulgurances, d'odeurs et de réminiscences. Une petite gorgée de bière au parfum oriental qui ramène chacun vers sa propre enfance, le temps de quelques pages…
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critiques presse (6)
LaCroix
16 novembre 2023
Dans son premier roman, Dea Line observe ses souvenirs d’enfance avec un regard d’adulte, et rend hommage à celle qui aura été pendant treize ans une seconde mère.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LeMonde
07 novembre 2023
En évoquant avec minutie et sobriété les gestes, les attitudes et le regard de Georgette, Dea Liane lui rend un hommage inquiet, redoutant que son propre bonheur ait pu passer par le sacrifice de celui à qui elle le doit.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LaLibreBelgique
26 octobre 2023
Georgette, "deuxième mère" de la primo-romancière et actrice Dea Liane, qui signe un bien bel hommage à celle qui prit si bien soin d’elle.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LeFigaro
07 septembre 2023
Il y a beaucoup de tendresse dans ce livre, au sein duquel l’auteur fait d’une Georgette fantomatique son personnage principal.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LesEchos
01 septembre 2023
Un livre débordant d'amour et de tendresse d'une petite fille pour cette femme, la domestique de sa famille syro-libanaise.
Lire la critique sur le site : LesEchos
Marianne_
29 août 2023
Dea Liane fait face au mystère, elle place la subalterne en pleine lumière.
Lire la critique sur le site : Marianne_
Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Georgina K. est née près de Hassaké, en Syrie, le 13 novembre 1960. C’est une région très pauvre, la région des premiers chrétiens, les Assyriens, qui parlent un dialecte descendant de l’araméen. Elle a grandi dans une fratrie de treize enfants. Elle a commencé à travailler comme domestique dans des familles à l’âge de treize ans. Elle n'a jamais appris à lire ni à écrire.
Je demande à ma mère de me donner des détails sur l'arrivée de Georgette dans notre famille. Ce n’est que maintenant, pour écrire ce livre, que je pose des questions sur sa rencontre avec mes parents, sur ce qui avait précédé leur rencontre. Georgette n’en parlait jamais, et il m’a longtemps paru impensable qu'elle ait pu travailler pour une autre famille que la nôtre.
Ma mère raconte. Sa cousine à Damas lui avait parlé d’une fille qui travaillait chez le ministre syrien de la Défense et qui voulait partir. Georgette vivait dans cette famille avec sa sœur, Les enfants avaient grandi et quitté la maison, elle s’y ennuyait. Georgette aimait beaucoup les enfants. Quand elle est arrivée chez nous mon frère avait un an, ma mère avait repris son travail. Georgette avait vingt-huit ans.
Ma mère se souvient que durant les premiers mois Georgette partait souvent, elle retournait chez elle, dans sa famille, elle y allait puis elle revenait. Comme si elle se méfiait de quelque chose. Ou comme si elle hésitait. Ma mère dit: «Elle était un peu lunatique. On sait pas pourquoi elle partait. Elle était très perturbée jusqu'au moment où elle s’est attachée sentimentalement à... à nous et... et puis voilà, elle est restée.»
Ma mère m'apprend que les premiers temps, en Syrie, Georgette échangeait tout ce qu'elle gagnait contre de l'or. Elle donnait ensuite cet or à sa mère, qui le lui gardait «pour plus tard». Sa mère était «comme une banque». Elle me raconte aussi que Georgette allait parfois avec des hommes lors de ses week-ends libres.
Ma mère précise qu’elle ne lui «commandait» jamais. p. 68-69
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(Les premières pages du livre)
Quand nous disions Georgette c’était comme dire maman. Georgette n’est pas un prénom, c’est un qualificatif nouveau et inédit, le nom d’une relation indicible. C’est impossible de répondre à la question : qui est Georgette pour vous ? Georgette c’est Georgette, tout simplement.

Georgette était notre bonne, mais le mot était imprononçable.

Un jour – j’ai treize ans – ma mère m’annonce avec délicatesse que Georgette va se marier, qu’elle va bientôt nous quitter. Que maintenant nous sommes grands, qu’à son tour elle va fonder sa propre famille. Quelque chose se révolte en moi à cette idée. Il me semble – c’est terrible à avouer – que Georgette ne peut pas se marier, ni avoir d’enfants. L’idée est aberrante. La phrase – « Georgette va se marier » – est aberrante. L’image n’est pas crédible. Impossible de me représenter Georgette, notre Georgette, avec un homme, couchant avec un homme, enceinte, mère de sa famille. Tout cela je le ressens mais je ne dis rien, bien sûr que Georgette doit vivre sa vie, je veux y croire, mais déjà il me semble entrevoir un mensonge.

Avant ce moment-là je n’avais jamais envisagé que Georgette puisse partir. Elle était là quand je suis née, elle avait toujours été là. La perspective de nous retrouver à quatre m’angoissait. Nous avions toujours été quatre plus une, et en réalité nous avions été quatre plus un. Quatre – ma mère, Georgette, mon frère et moi – plus mon père. Il y avait des couples : mon frère et moi, ma mère et mon frère, ma mère et moi, ma mère et Georgette, Georgette et mon frère, Georgette et moi. Je crois pouvoir dire que Georgette et moi était l’un des duos privilégiés ; j’étais sa préférée, sa partenaire de chambrée. J’étais celle qu’elle avait vue naître. J’étais la deuxième-née et j’étais la fille ; deux critères qui me condamnaient à demeurer dans l’ombre de mon frère. Georgette aussi était du côté de l’ombre. Elle se battrait pour moi.

Le jour où il a fallu se dire adieu. Nous sommes dans notre appartement de Bsalim au Liban, où nous passons tous nos étés. C’est l’été 2003. Celui entre ma cinquième et ma quatrième. Je regarde fixement par la vitre du salon, qui donne sur la baie de Beyrouth. J’ai le trac, j’essaie de trouver une contenance dans cette contemplation prolongée de la mer. Il fait très beau et très chaud. Je crois que mon père attend de conduire Georgette quelque part en voiture. Je ne sais plus si je lui dis au revoir dans l’appartement ou si je les accompagne.

L’image qui me reste : une bande bleu foncé surmontée d’une bande bleu clair et le vacillement du paysage sous la chaleur. La sensation de quelque chose dans mon dos à quoi je ne veux pas faire face. La gêne immense devant l’impossible : dire adieu à sa mère. Le sentiment que la situation ne me permet pas d’exprimer ma douleur, mon incompréhension. Être brutalement ramenée à cette réalité après treize années de vie commune et d’intimité partagée : cette personne ne fait pas partie de notre famille, c’est une domestique, nous l’avons payée pour ça.

Je suis mortifiée. Comment dire mon amour à Georgette, comment parler d’amour alors que nous n’avions jamais dit les mots ? L’amour était dans le soin quotidien, c’était sa seule façon de s’exprimer dans un cadre qui n’autorisait pas les mots d’amour. Ma mère pouvait nous prendre dans ses bras et nous dire je t’aime, nous lui faisions des cadeaux aussi laids qu’attendrissants pour la fête des Mères ; Georgette m’aidait à faire ces cadeaux, elle tressait mes cheveux pour l’occasion, elle me portait à bout de bras pour la photo, et le soir elle me lavait.

Au moment de se dire adieu, donc, aucun souvenir précis, juste la certitude que Georgette devait rire tout en parlant, comme à son habitude, de son rire rauque et lumineux. Je crois qu’elle a pleuré aussi. Et moi naïvement j’ai dû penser quelque chose comme : « Pourquoi pleure-t-elle alors qu’elle va se marier ? »

Je ne me suis pas autorisée à pleurer. Elle seule était sincère à ce moment-là, et j’en pleure aujourd’hui chaque fois que j’y pense. Je pleure à la pensée de ma lâcheté, de ma honte. Je pleure d’être passée à côté de la vérité de ce moment, d’avoir accepté sans broncher les termes de ce départ, d’y avoir souscrit. De ne pas avoir été à la hauteur.

Georgette ne s’en était pas tenue à son rôle de bonne. Nous étions ses enfants, et comme toute mère elle n’avait pas tempéré son amour pour nous. Sa situation était née d’une nécessité économique, d’un déséquilibre social. Mais une fois à l’intérieur Georgette n’a pas posé les limites de sa condition, elle s’est laissé prendre, elle a pris le risque. Elle n’a pas été prudente. Elle était notre mère aussi – elle était notre père aussi. Nous avions tout simplement deux mères – ou deux pères. Les apparences étaient respectées mais tout le reste dénonçait cette vérité, tous les gestes, tous les regards, tous les cris, tous les jeux.

Alors voilà. Un jour, ils disent : stop, retour à la réalité, dites-vous adieu, Georgette a mieux à faire ailleurs, son travail est terminé, merci Georgette et belle vie.

Il n’avait jamais été question d’un travail entre nous. Entre eux – entre adultes – peut-être. Mais nous ?
Les larmes de Georgette ne sont pas passagères. Georgette a vécu sa maternité, a aimé ses enfants. Elle a sa place parmi nous. Elle pleure parce qu’elle en est subitement arrachée, parce que ce qui était un emploi est devenu toute sa vie, parce qu’elle sait qu’il n’y aura pas de vraie famille, ni de vrais enfants, ni de vraie vie. L’accepter serait discréditer toutes les années passées auprès de nous, comme si cela n’avait pas été la vraie vie pour elle. Peut-être sait-elle déjà que rien de plus véritable ne l’attend ailleurs. Non, il n’y aurait rien de cela, sinon d’autres familles dans lesquelles elle n’aurait plus la force d’apporter tant d’amour ; il y aurait ce rapport cru de domesticité, la sensation permanente de gagner son pain sans broncher.

Le bain
Intérieur jour / Damas
03/04/1991
Le bain est une fête.

Nu, assis dans l’eau, le bébé rit aux éclats, tape des mains. À gauche du cadre, Georgette rit aussi. Pendant quelques minutes le bébé sera tout entier entre ses mains. Le bébé, la toute petite fille, est à l’aise avec elle, ne pleure pas avec elle, elle s’amuse, elle s’abandonne. Avec les autres, elle reste coite, l’air absent, elle est désorientée. Avec Georgette, non, l’enfant est libre, spontanée. Avec la mère aussi. Elle et la mère sont sa garde rapprochée. Elle et la mère.

Les grandes mains brunes de Georgette soulèvent l’enfant hors de l’eau. L’enfant se laisse faire, les yeux écarquillés, joyeux, l’air un peu abasourdie. Le geste est vif, presque brusque. Elle n’a pas peur du bébé, cela fait plus d’un an qu’elle soupèse ce petit corps. Depuis qu’il est né, depuis le jour où la mère est rentrée de la maternité. Elle retourne le bébé contre son bras, attrape un broc rempli d’eau claire et le renverse au-dessus de sa tête. Le visage du bébé est ébahi par le torrent qui s’abat sur lui, il faut agir vite, il ne faut pas le laisser s’impatienter et prendre froid. Lestement, deux ou trois grandes rasades d’eau. C’est vite terminé, en un mouvement le corps minuscule est enroulé dans une serviette.

Le visage de l’enfant réapparaît emmitouflé, tout contre son visage à elle. Elle fait durer cet instant, cette soudaine proximité, elle tapote tendrement le corps du bébé avec l’extrémité de la serviette.

La mère la rappelle à l’ordre, lui indique d’allonger d’abord l’enfant sur la table à langer, de ne la sécher qu’ensuite. La mère l’appelle affectueusement Joujou. Elle la guide, lui indique les étapes, les mains de Joujou sont ses mains, ses gestes tendres sont les siens. Joujou suit les indications sans aucune résistance. Une fois le bébé allongé, elle le chatouille en riant. La mère zoome sur le bébé hilare et luisant, satisfaite d’arriver à capter les images de ce rire partagé.

Le bain est une fête, toutes les trois aiment ce moment. Elle, la mère, et l’enfant.

Je ne sais pas.
Je ne sais pas qui elle était vraiment.

Je ne sais pas ce qu’elle pensait de nous. Ce qu’elle pensait de mon père, de ma mère, de mon frère. Ce qu’elle pensait de moi.

J’ai grandi dans la certitude de son amour pour moi, de son amour pour nous, mais je n’en suis pas absolument sûre. Personne ne pourrait dire à quoi pensait Georgette.

Je ne sais pas ce qu’elle pensait de sa situation. Si elle se posait la question du choix. Si elle avait des regrets.

Je sais ce qu’elle était pour moi. Je ne sais rien d’autre d’elle.

Je la cherche dans les souvenirs, si peu nombreux au regard des treize années passées côte à côte. Passées dans ses bras. Ma mémoire de cette vie avec elle est si maigre, je suis parfois effrayée de la quantité d’heures vécues ensemble et tombées dans l’oubli. Je sens que le temps presse, c’est maintenant ou jamais, et je suis soulagée quand je vois ces morceaux de mémoire inscrits sur le papier. On pourrait croire que j’écris à propos d’une personne morte. Le plus fou dans cela, le plus insupportable : savoir qu’elle est là quelque part, qu’elle respire pendant que j’écris, mais qu’elle n’existe plus dans nos vies. Comment on disparaît d’une vie. Quelle valeur donner à cette relation. Comment contredire ce que disent ces années de silence et d’absence : elle était une domestique et tu étais une enfant de la bourgeoisie.

Je porte en moi cette foi comme un diamant : il y avait autre chose. Nous nous aimions.

Et alors, me dit la petite voix cruelle. Et alors ? Ça revient au même.

Depuis quand l’amour est-il une justification ? Un joker ? Un alibi ?

Et cette vérité comme une pierre dans la poitrine : il aurait mieux valu que rien de tout cela n’ait lieu. Il aurait mieux valu que Georgette n’entre pas dans nos vies, que Georgina K. ne devienne jamais Georgette, ne devienne jamais ce prénom lancé à tout-va dans une grande maison. Il vaudrait mieux q
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Peu de temps après ma naissance, mon père a offert une caméra à ma mère. Dès lors, elle nous filme au quotidien, elle filme tout, les premières journées d’école, les réunions familiales, l’heure de la sieste, le bain, les annıversaires, les voyages, l’arrivée du piano, le jardinage, les châtaignes dans la cheminée.
Dans ces films soigneusement numérotés et répertoriés et classés par année, il y a des personnages principaux et des personnages secondaires. Ma mère signe le scénario et la réalisation ; elle filme en début de séquence à travers des pochoirs colorés, elle fait des plans larges de paysage avant de doucement glisser vers le décor intérieur et les visages, elle choisit pour nous les costumes appropriés; parfois elle attend les moments de spontanéité pure pour capter quelque chose du réel, d’une heure de paix, et elle nous surprend sa caméra à la main. Elle filme quand quelque chose d’important va se passer, elle filme aussi quand rien ne se passe. Nous savons dès notre plus jeune âge que la caméra peut surgir à n'importe quel instant. Nous y sommes préparés, nous choisissons de l’ignorer ou de jouer avec.
Dans ces films c’est un trio d’acteurs qui mène l'intrigue. Mon frère, moi, et Georgette. Georgette comme nous sait qu'elle tient un rôle devant la caméra, elle doit jouer son rôle mais aussi assurer la fonction de première assistante; parfois elle ajuste le décor, elle nous place dans la lumière, elle lance une improvisation. Ma mère derrière la caméra s'adresse à elle qui est au plateau. Ma mère lui dit: «Joujou, tourne-la vers moi», ou bien «Donne-lui une bouchée de poulet». C’est alors que la main de Georgette surgit dans le champ, la main qui relève la mèche, la main qui porte la nourriture à la bouche, la main qui essuie la goutte qui pend au nez.
Ma mère écrit cette fiction. Le Film de la famille est son grand œuvre, elle en est fière, tout comme je suis fière d'inscrire sur les fiches de renseignements à l’école qu'elle est «mère au foyer». p. 46-47
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Georgette est notre Super héroïne mon frère et moi. Nous sommes fiers d'évoquer sa force invincible auprès de nos amis, nous nous sentons protégés nous savons que Georgette pour mettre une raclée à n'importe qui. Si l'occasion s'était présentée nous n'aurions pas dit : "mon père va te casser la gueule " mais "Georgette va te casser la gueule" !
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"Il vaudrait mieux qu'il n'y ait aucune Georgette, nulle part. Il faudrait abolir la domesticité traditionnelle. Nommer les rapports de domination, le mépris de classe, le racisme ordinaire. Oser parler d'esclavage. Il faudrait détruire l'ambivalence. Je dois être impitoyable envers cette histoire, impitoyable envers moi-même."
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