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Bérénice Constans (Illustrateur)
EAN : 9782714309242
82 pages
José Corti (07/09/2006)
3.75/5   4 notes
Résumé :

Les proses-poemes réunis ici ont en commun, par-delà la diversité des thèmes et de la manière, le souci de s'accorder à l'esprit des formes créées par Bérénice Contans. Emané de la pénombre toute féminine de l'inconscient, le tracé, comme le texte, porte jusqu'à la transparence de l'expression son épaisseur de fantasmes, sa mémoire des mythes, sa rêverie sur les obsc... >Voir plus
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Tous les nouveau-nés sortent du corps maternel.
Par les battants ouverts de la porte noire, ils glissent leur tête, et tout le reste du corps s’ensuit, gluant comme poisson. Ils ont mal d’avoir déchiré l’œuf de tendresse qui les retenait, et ils hurlent. Les nourrices applaudissent. Les jeunes filles de la maison jouent du tambourin. La mère sur sa couche reste écartelée. Elle a le sexe ouvert jusqu’aux entrailles et plus loin encore jusqu’au gosier qui gémit.
Moi, Io, je suis née de mon père Inachos, le fleuve glauque, et de sa semence mêlée à l’écume d’une vague. Je n’ai d’abord été qu’une petite fleur blanche et fluide, emportée par le tout-puissant roulis du désir — une petite corolle d’eau très claire, clapotante et chantonnante, déjà toute prête aux extases de la vie.
Je portais en moi tout ce qu’il faut de limpidité et d’opacité pour devenir une femme quand le moment serait venu. En attendant, insouciante fille des eaux, j’étais promise à jouer parmi les nymphes et les naïades. Elles, sur la rive, moi dans le fleuve d’où je ne sortais jamais.
Je ne me connaissais que par la nudité de mon corps d’enfant, transparente au soleil, moirée de lumière et d’ombre, la nuit, selon les phases de la lune. Ma chevelure aussi, qui me couvrait les reins, passait, avec les heures du jour, de la blondeur dorée à l’ébène le plus pur. Des berges ruisselantes, entre les racines des arbres, je cueillais les fleurs de mes couronnes, de mes colliers et bracelets. Les libellules se posaient sur mes lèvres.
Mon père m’avait appelée Io. C’était le bruit que faisaient ses baisers sur ma peau, jour et nuit, dans l’incessante douceur du temps.
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Puis vint le jour, en vérité nuit de lune à son plein, où coula mon premier sang de femme.
Une fleur toute rouge jaillit soudain de la noire corolle au bas de mon corps et, comme la semence de mon père, se mêla au courant.
Je contemplais, en grand émoi de chair, ce qui sortait de moi. Comme les devineresses, les prophétesses et les artistes de tous les temps, je scrutais le dessin que formait mon sang au fil de l’eau. J’aurais voulu y lire les promesses de mon avenir. Mais le sens m’échappait. Je voyais seulement une traînée d’ombre que la vague nonchalante ramenait sur elle-même, sans échappatoire, pareille à un approximatif tracé de cercle.
Je voyais aussi de minuscules poissons, plus sombres que mon sang, se presser dans mon flux qu’ils absorbaient goulûment. J’éprouvais l’heureuse impression d’être la nourrice de la vie.
Jamais je n’avais connu bonheur plus certain et plus intime. Du bout des doigts je flattais ma fente comme pour la féliciter d’être ce qu’elle était avec tant de générosité.
Au soir du troisième jour, la source était tarie, les poissons avaient disparu dans des eaux plus profondes. Alors je sortis du fleuve paternel et fis mes premiers pas sur la terre ferme.
Le plaisir de mes pieds s’empara de mon corps tout entier et remonta jusqu’à ma bouche. Je me mis à chanter. C’était ma vraie naissance, toute mêlée à ma joie d’être femme. J’étais si heureuse que je m’accroupis dans l’herbe pour uriner.
Ce matin-là, d’un jour magnifique aux confins du printemps et de l’été, je suis sortie très tôt : je voulais, depuis la rive, voir le soleil se lever sur le fleuve.
Je n’avais à moi, pour ce moment de contemplation, que la nudité de mon corps sans apprêt — ma chevelure fastueuse, encore toute sombre des vestiges de la nuit, la touffe très noire de mon sexe pour signature de ma beauté.
La rive était basse à cet endroit et consistait en une brève prairie close par des fourrés de buissons et d’arbustes. C’était la saison des nids. Des myriades d’oiseaux invisibles chantaient et pépiaient. L’espace était saturé de leur fête et de leur plaisir.
La lumière s’épandait, s’épanchait, conçue pouvais-je croire, comme moi, dans la profondeur des eaux. Elle sourdait du fleuve et sa grâce irrésistible occupa bientôt tout l’espace céleste, terrestre et aquatique. Il me semblait qu’à cette heure, j’étais le seul témoin du mariage des éléments, tandis que le feu du soleil empourprait la nature sans fin.
C’est alors que le dieu surgit soudain devant moi, comme échappé du noyau solaire, dans la splendeur de son corps d’homme.
Il m’appela par mon nom : « Io ! » murmura-t-il et cette syllabe unique, qui fait que je suis ce que je suis, coulait dans sa bouche comme une source.
Mon souffle lui répondit : « Seigneur ! » et toute mon attitude lui disait que j’appartenais à son désir et qu’il pouvait user de moi selon son goût, sans réserve.
Non seulement le soleil poursuivait son ascension dans le ciel, mais il était là pour moi seule, j’étais à hauteur de son épaule et tout mon être aspirait à céder, à s’ouvrir et se blottir.

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Le dieu n’était pas bavard. Il n’avait surtout pas à me donner d’explications. Mais le regard qu’il m’adressait, plein d’admiration, de désir et de résolution devait me suffire. Mon ravisseur s’était emparé de moi. Je souhaitais seulement qu’il jouît de sa possession et que l’instant durât autant que moi.
Il me saisit par la main et m’entraîna dans la forêt. À travers les feuillages s’agitait la poussière d’or du soleil montant. Les arbres très serrés et touffus à cet endroit formaient la figure même du jaillissement. Je voyais à présent le sexe du dieu se dresser. Il appartenait à la forêt comme à son corps. La fête serait celle de toutes les espèces mêlées et érigées. Je doutais seulement d’avoir la chair assez profonde, et de porter en moi tout le feu et toute l’eau qu’il faudrait, pour la magnificence du désir universel.
Notre couche serait d’humus et de mousse. Elle formait, à elle seule, une clairière très close. J’attendais un geste du dieu pour m’allonger. Mais mon désir de tout savoir et d’aller jusqu’au bout, jusqu’au point d’irréversion, fut piqué au vif lorsqu’il me fit seulement me pencher en avant, debout, les reins tendus, toute ma fente exposée à sa vue et à son appétit, comme sont les femelles pour les mâles.
Sa main de tout-puissant me parcourut alors depuis la tête et le long du dos jusqu’aux cuisses, et remonta sous mon ventre jusqu’à mes seins. Ce ne fut qu’une immense, une prodigieuse, caresse. Tout mon corps, comme pétri, se transforma et mon âme s’enfonça dans une infinitude de chair dont elle saisissait l’ébauche sans percevoir l’achèvement. Mes bras et mes jambes munis de sabots de corne s’appuyaient énergiquement sur le sol. Ma croupe s’était élargie et je la devinais somptueuse, à l’abri d’un appendice caudal que je pouvais librement manœuvrer. J’avais des flancs rebondis, tendus par une échine d’amoureuse, apte à toutes les étreintes. Mes seins avaient migré vers le bas de mon ventre et s’exhibaient à l’ombre de mes cuisses en mamelles plantureuses couronnées de manières de phalles flaccides dont la seule présence appelait la main pour en soutirer la substance. Mais je n’avais plus de mains. J’avais, par contre, une tête volumineuse, toute en mufle et ornée d’une lyrique paire de cornes. Si je voulais parler, je poussais de longs et caverneux meuglements.
J’en poussai quelques-uns, certes, et déchirants, et véhéments et exultants lorsque le dieu, me couvrant par-derrière, plongea en moi son sexe de géant et me posséda comme jamais, je crois, taureau n’eût pu le faire, car sa sagesse aguisait son désir et son amour insufflait en moi son immortalité.
Inondée de jouissance au-dedans et recrue de plaisir jusqu’aux naseaux, Io Io, jeune vache que j’étais, incertaine de mon corps mais souveraine de ma vulve, j’entendis à peine, comme un sifflement de serpent, l’aigre voix de femme qui appelait du fond du ciel et réclamait son bien.
Le dieu posa son bras sur mes épaules comme il eût fait d’un harnais et d’un licol et me guida sur son propre chemin, vers les hauteurs et les lointains.
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Je me suis demandé ce que je serais devenue, au fond de moi-même, si, ayant d’abord mis au monde un petit veau, j’avais repris ensuite ma forme et mon être de femme. Mais mon divin amant, le plus attentionné des dieux à mon égard, eut le tact de ne pas m’infliger une telle épreuve. J’enfantai un beau petit garçon, et je lui donnais le doux nom d’Épaphos — bruit des baisers mouillés que je laissais sur sa peau tandis qu’il tétait mes seins. Beaucoup de noms, dans notre langue, ont rapport aux œuvres de la bouche et au souffle, comme si l’enfant, conçu dans l’amour et par le sexe, trouvait dans les parties plus élevées du corps et dans ses plus nobles fonctions, l’achèvement spirituel que lui apporte sa nomination.
Le moment se déroulait à l’embouchure d’un grand fleuve étalé comme un miroir quasiment infini pour refléter le bleu du ciel. Pas un humain ne se trouvait à proximité pour m’aider dans le travail des couches. Je dus tirer le petit corps hors de moi, comme un gros phalle languide et fangeux, et de mes dents, à la façon des premières femelles, couper le cordon qui le liait à ma chair — et toute la suite, que l’on peut imaginer, jusqu’au moment où j’engageai entre ses lèvres le bout considérable de mes seins.
Ainsi, longtemps, le temps passa.
Avec mes dents, j’appris à l’enfant la ténacité. Avec mon cœur, la réceptivité à toutes les métamorphoses. Avec mon nombril, sur lequel il aimait poser son doigt, la fidélité à soi-même. Avec tout mon corps de femme, avec mes seins et mon sexe, le désir et la volupté.
Le moment venu, et comme j’étais recrue d’expérience et de plaisir, je l’envoyai chercher fortune vers le sud. Un jour, il construirait Memphis et deviendrait roi d’Égypte.
Et moi, comme si j’étais restée petite fille en mal de son père, je me coucherais dans le lit du grand Nil jusqu’à ce que mon fils et ses enfants et petits-enfants et tout leur peuple viennent chercher mon corps parmi les eaux profondes et le limon et que leur vénération me réveille à la vie, sous le nom d’Isis, tout sonore du sifflement de l’air salubre, qui est, dans leur langue, le même que Io : le baiser.
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Le dieu avait d’abord posé sa main sur ma tête, dans un geste de protection et de bénédiction. Puis il l’avait glissée dans mes cheveux. Et elle avait suivi leur cours jusqu’à mes reins. Je sentais son poids léger et sa douce façon d’appuyer, juste au-dessus de ma croupe.
Nous marchions ensemble le long du fleuve. Je laissais la main du dieu suivre les courbes de mon corps. J’aurais aimé être liée davantage afin qu’elle me délie et moins creuse que je n’étais afin qu’elle me plie et me déploie et m’ouvre à moi-même jusqu'au cœur. Tantôt elle reposait sur mes hanches, tantôt elle remontait jusqu’à mes seins qu’elle effleurait, comme du plus impondérable des souffles. Une braise obscure ardait au bas de mon ventre. J’étais assoiffée et attendais la pluie.
Pas de paroles entre nous, pas de phrases galantes, pas de déclaration d’amour. Nous respirions ensemble et le silence était plein. Je n’avais pas de mots pour dire : « Je suis à vous, Seigneur, faites de moi ce qu’il vous plaira. »
Je n’avais jamais vu un sexe d’homme. Je le regardais avec tant d’admiration que je cessais de voir autour de nous la beauté du monde en plein midi. Il me semblait aussi que je mourrais de bonheur si je venais à le toucher.
Notre désir approchait du zénith. Toute ma chair priait en moi, implorant le suspens du temps.
Mais soudain du fond du ciel dévoré de lumière, une voix d’orage éclata, tonnante et tonitruante, une violence inouïe de mots déchaînés et cinglants — voix de femme, de déesse, d’épouse en colère, dont je ne saisissais pas les paroles.
La main du dieu desserra son étreinte. Tout mon corps se prit à trembler.
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Vidéo de Claude Louis-Combet
Otto Rank (1884-1939), la volonté créatrice : Une vie, une œuvre (1997 / France Culture). Diffusion sur France Culture le 3 avril 1997. Par Bénédicte Niogret. Réalisation : Jean-Claude Loiseau. Avec Pierre Bitoun, Claude-Louis Combet, Alain de Mijolla, Aimé Agnel et Judith Dupont. Avec la voix d’Anaïs Nin. Textes dit par Jean-Luc Debattice. Otto Rank, né Otto Rosenfeld le 22 avril 1884 à Vienne et mort le 31 octobre 1939 à New York, est un psychologue et psychanalyste autrichien. D'abord membre du premier cercle freudien, secrétaire de la Société psychanalytique de Vienne et membre du « comité secret », l'évolution de ses recherches lui vaut d'être exclu de l'Association psychanalytique internationale en 1930. Il est considéré comme un dissident du mouvement international. Otto Rank est originaire de Vienne, issu d'une famille de la moyenne bourgeoisie juive. Fils de l’artisan d’art Simon Rosenfeld, il est contraint, dans un premier temps, de travailler lui-même comme artisan et de renoncer aux études supérieures. Il prend le nom de Rank à l'âge de dix-neuf ans, en référence au bon Dr Rank de la pièce d'Ibsen, "La Maison de poupée". Il lit à vingt ans "L'Interprétation des rêves" de Freud et écrit un essai que le psychanalyste Alfred Adler transmet à Freud. Il devient dès lors un psychanalyste du premier cercle et, en 1906, devient le premier secrétaire de la Société psychanalytique de Vienne et à ce titre, l'auteur des transcriptions des minutes de la société viennoise (conférences et d'échanges), de 1906 à 1918. En 1924, il publie "Le Traumatisme de la naissance", s'intéresse à ce qui se trouve avant le complexe d'Œdipe et propose une vision différente de celle de la psychanalyse d'orientation freudienne. Sigmund Freud l'analyse brièvement jusqu'à fin décembre 1924 puis le rejette ; Rank se trouve exclu des cercles psychanalytiques freudiens. En 1926, Rank s'installe à Paris, devenant l'analyste d'Henry Miller et d'Anaïs Nin, avec qui il a une courte liaison. Il voyage en Amérique, où il rencontre un certain succès. Il est invité notamment à la société de Rochester pour la Protection de l'enfance en danger où travaille alors Carl Rogers. Il est exclu de l'Association psychanalytique internationale le 10 mai 1930. En octobre 1939, il meurt à New York à l'âge de 55 ans, des suites d'une septicémie.
Sources : France Culture et Wikipédia
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