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EAN : 9782715241305
224 pages
Le Mercure de France (27/08/2015)
3.27/5   11 notes
Résumé :
Rabe marche en poète. Il sait ce qu'il devient. Il devient une langue. Il marche dans la nuit, il pense à la gloire, il aspire à la gloire. Je deviendrai quelqu'un dont on se souviendra. Je dois écrire encore mais maintenant je sais. Et il s'éloigne sur le sentier poussière. Un jour il faudra traduire cette nuit. Pour l'instant il faut la vivre. La manger et la traverser. Rabearivelo avance dans le soir, il est cette langue vivante qui traverse la nuit. Antanarivo, ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Douna Loup nous offre un magnifique livre, celui d’une amoureuse. Car elle n’aurait pu écrire « L’oragé » sans être tomber en amour pour l’île rouge, sa langue et ses habitants.

C’est un livre où souffle le vent de la liberté, liberté de femme amoureuse et liberté d’écrivain malgache, conquises non sans souffrance par Esther Razanadrasoa, dite Anja-Z, première femme malgache à publier des poèmes et des articles qui dérangent les colons français :
« quand on dit clairière dans ma langue on dit bouche de la forêt
on dit l’œil du jour et c’est le soleil et être inquiet se dit être couché sur le tranchant du couteau, poésie n’a pas attendu les livres et les lignes, le chant bien avant le chant était là à même partout. »

et liberté à conquérir par Rabe, Jean-Joseph Rabearivelo qui lui est fasciné par la langue des poètes français comme Valéry : « Écrire de la poésie dans une langue qui n’est pas natale, qui n’est pas scolaire non plus. Une langue chérie dans les livres, une langue admirée puis conquise. Il est là à présent avec cette écriture fichée dans le corps et qui le parcourt. Plus de possibilité de rompre, il y a comme une contamination, une contraction souterraine de cette langue à travers lui. Il sait cependant par conviction physique, il sait qu’elle provient d’un lieu différent. Elle ne sort pas comme le malgache, non pas de la même façon. Chaque langue une autre provenance, une autre peau pour s’épancher. Suer. »

La rencontre de Rabe et Esther, qui vont se communiquer leurs expériences, va leur permettre de grandir, de se dégager de toute soumission, de tout enfermement amoureux ou linguistique. « Rabe écoute la maîtresse Esther, toute poésie ouverte comme des voiles en plein vent. »
« La poésie, bête à apprivoiser, Rabe. Pas une princesse apparue par miracle. Non. Un ailleurs ouvert, unique, à soi. Poésie ? Ta bête étrange, soulevée, sous les masques. Rabe, j’ai lu tes feuilletons, tes poèmes, et je vois bien ta soif. Sans répit chaque jour et jusqu’au bout suis-le ton acharnement à écrire.
Rabearivelo m’a regardée puis il a dit, Esther je veux bien le faire ce pacte.
Et depuis nous sommes liés par ce choix total, réciproque et chacun est chargé de veiller à l’implacable chemin de l’autre. »

Quelle est belle cette rencontre décrite par Ouna Loup :
« Rabe et Esther se tiennent par la main.
Mifampitantana.
Ils se tiennent réciproquement la main. Il n’y en a pas un qui tient la main que l’autre donne, les deux tiennent. Les mains sont liées. La rue est sombre. Nanarivo est toute noire dans la tête de Rabearivelo. Tananarive est somnolente dans le regard d’Esther Anja. La journée a été bien pleine, ils vont se séparer à l’orée de la nuit nouvelle, ils ne se donnent pas rendez-nous, ils se disent au prochain regard, au prochain croisement du jour, de la nuit.
Rabe fait un signe de la main et s’éloigne d’un pas souverain. On dirait qu’il flotte, elle l’observe un moment, ce que je ressens pour lui n’est pas comparable. Il est excessivement beau et fragile. Et en même temps que fragile, lame de couteau, force. Il est excessivement lui-même. Je crois que c’est cela que j’aime le plus irasciblement en lui
ses racines de lui-même. »
Rabe privilègiera le français et elle, la langue Hova.

Un livre ensorcelant, passionnément coloré et vivant. Et quelle joie de découvrir un français passé au tamis de la sensibilité malgache qui lui redonne une certaine magie en lui faisant chanter des airs nouveaux !!!
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Née à Puplinge en Suisse, entre Genève et Annemasse, de parents marionnettistes, Douna Loup passe sa jeunesse de chapiteau en chapiteau depuis la Drôme où ses parents se sont installés.
Ce qui fait qu'elle voyage en Afrique et part après un bac littéraire faire du bénévolat dans un orphelinat à Madagascar. de quoi elle tire « Mopaya, Traversée du Congo à la Suisse » (je n'y peux rien cela s'appelle comme çà), (2010, Editions de l'Harmattan, 132 p.). Donc, cette traversée du Congo à la Suisse, écrit à deux mains (il est plus dur d'écrire des deux mains là la fois par un même auteur) avec Gabriel Nganga Nseka (ce sont la parole et la plume) « C'est étonnant de lire ma propre histoire dans des mots qui ne sont plus les miens. Cela me permet un recul inhabituel. [. . .] Je découvre au travers des pages de la poésie, là où je ne trouvais en moi que des plaintes. Tout semble transposé et pourtant cela reste juste ». En plus de ce voyage initiatique, on y découvre les sensations de la forêt et la chasse, qu'elle reprendra dans « L'Embrasure » (2010, Mercure de France, 155 p.). Puis surviendront la découverte d'un cadavre, d'un carnet et d'une femme flamboyante. Retour en Suisse, où, dit sa biographie, elle nettoie une banque suisse pendant trois mois. Soit c'était effectivement très sale, soit c'est la coutume en Hélvétie de laver et la banque et l'argent. Donc, Genève ou plus exactement à Puplinge, puis dans région nantaise. L'appel du grand large quand le Léman ne suffit plus.

« l'oragé » c'est un peu le retour de Madagascar à Genève, puis la campagne à coté de Nantes. Retour après un certain succès « Ce n'était pas facile de passer de la discrétion la plus totale à cette mise en lumière ». Tout commence par les années malgache et la découverte de deux poètes des années 20, soient Jean-Joseph Rabearivelo et Esther Razanadrasoa.
Pour le premier, né Joseph-Casimir Rabe (1903-1937), on trouve, presque complètes de ses oeuvres. Il se voulait être le « contemporain capital » de son pays. Son journal, « Les Calepins bleus », sa correspondance et d''autres textes autobiographiques révèlent tous « l'âpre et parfois capiteuse nudité de cette quête » jusqu'à son suicide au cyanure. Fils d'un pasteur protestant, qu'il n'a jamais connu, sa mère était cependant descendante d'une famille très noble de la grande île, puisque comptant le souverain Ralambo, qui a régné sur le royaume de Madagascar de 1575 à 1610. Depuis, la famille est ruinée, et le jeune Joseph-Casimir commence tout de même ses études chez les jésuites. Dont il est renvoyé, et doit apprendre le français tout seul. Il a cependant des bases, et se décrit lui-même comme ayant « la taille de Napoléon, la taille des grands hommes ». Ainsi que « J'ai le front dévasté que j'aime à comparer à celui que telle estampe donne de Baudelaire ». Il change même de nom pour se faire appeler Jean-Joseph Rabearivelo, pour avoir « les mêmes initiales que Jean-Jacques Rousseau ». On a les antécédents que l'on se trouve et se donne.

Ceci dit, il écrit des poèmes dont un recueil « Traduit de la Nuit » a une certaine reconnaissance. On le republie (2007, Editions Sépia, 80 p.) et ses oeuvres complètes sortent en deux volumes (2010, 2012, Editions du CNRS, 1278 et 1792 p.). le premier volume comporte son journal « Les Calepins Bleus » et le second sa poésie complète ainsi que ses critiques.
Quant à Esther Razanadrasoa (1892-1931), elle signe de son nom de plume Anja-Z, en hommage à sa mère. Son oeuvre, entièrement écrite en malgache et très confidentielle, a été publiée « Rasolihanta », (1931, Jean Paoli et Fils, Antananarivo, 20 p.). Jean-Joseph Rabearivelo traduit une partie de son oeuvre, hommage à son égérie qui absorbe des produits dangereux et abortifs. Il la considère comme « l'une des figures les plus sympathiques de la presse malgache ».
Retour à « l'oragé » dans lequel Douna Loup leur rend un bel hommage à tous deux. Jean-Joseph « auteur du premier poème en vers français écrit par un Malgache », et à Esther « première femme malgache à écrire et publier ».
Début des années 30 à Antananarivo, qui n'est encore que Tananarive, « une ville est encore au contact du mufle des zébus ». « Manga feo » qui signifie « la voix bleue » en malgache, ou la voix qui s'empare des mots écrits, puis soulignés au crayon. Douna Loup connaissait l'oeuvre de J.J. Rabearivelo, qu'elle simplifie en J.J. Rabe. Puis de là, à son égérie, il n'y a que quelques mots. « C'est Esther qui m'a donné le courage ensuite d'oser aborder la figure de Rabearivelo ». A cette époque, Madagascar c'est tout d'abord la Grande Ile que l'on appelle aussi « l'île Rouge » de par la couleur de la latérite qui colore ses plateaux, la ville Antananarivo « le jour se lève haut sur la ville, il a une odeur d'épave, une salière ouverte divulgue son salé, le jour éclate, la ville en masse rouge apparaît cerclée de rizières ». La partition de l'ile en deux peuples, les Vazimbas (ceux de la forêt) et les Vézos (ceux de la côte, principalement ceux des côtes Ouest et Sud. La colonisation française débute en 1862, avec un premier Consul de France à Madagascar et le règne de la reine Ranavalona Ire. le pays prospère, malgré une colonisation parfois sévère, marquée par une importante participation forcée des soldats locaux à la Grande Guerre. C'est cette période pendant laquelle les poètes revendiquent un peu d'indépendance face aux exactions colonialistes.

C'est surtout un chant d'amour à deux voix et elle explique « J'avais envie de réinventer Rabe et Anja-Z dans leur liberté, de les dire ainsi, libres ». C'est aussi la découverte, et le passage, de la toute jeune littérature malgache, à laquelle elle ajoute, lors d'un séjour suivant Johary Ravaloson dont on peut lire « Antananarivo, ainsi les jours » (2010, Publie.net, 65 p.).

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L'écriture de ce livre est absolument incroyable: les mots s'épousent et se rejettent, et le lecteur assiste à une performance poétique. La langue malgache ajoute à la beauté du texte. Nous sommes à Antananarivo, en 1920. Des personnages se croisent et s'aiment, dans une liberté qu'ils se sont offerte. Chaque page est une découverte, et Madagascar apparaît dans sa beauté et sa misère. Un peu difficile à suivre parfois tant la langue de Douna Loup nous emporte, au détriment du récit, à mon avis.
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Passionnés tous les deux par les mots, ils se côtoient, vivent presqu'ensemble ainsi qu'avec leurs relations, amours, poètes ou non.

L'auteur a su ressusciter toute l'ambiance de Madagascar, de la langue malgache et de la poésie. Elle joue avec les mots, les phrases, les consonances et les allitérations afin de faire chanter son roman.

Parfois un peu dur à suivre à cause du style particulier, ce roman est néanmoins une jolie prouesse littéraire !
Lien : https://girlkissedbyfire.wor..
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Vohirana est une cousine lointaine, une cousine même pas de sang, une cousine d’un été seulement. Un nom, un village. Leurs mères s’y retrouvaient. Leurs mères étaient des amies proches.
(...) Assise sur le sofa dans la chambre d’hôtel, Esther regarde Vohirana et Vohirana regarde Esther, elles devraient se gêner, baisser les yeux, fuir, abandonner ce dévisagement mais elles se tiennent l’une l’autre à ce regard et préfèrent aux bruits le silence des yeux.
(…) Esther dit à Vohirana je vais te montrer ma Tana, ruelle rouge, place d’ombre sous les manguiers, noir charbon des cahutes de toile, horizon de rizières, le palais de la reine, les églises, et lorsqu’elles sont bien fatiguées elles s’assoient sur un mur.
Elles essayent de sonder ensemble le présent palpable mais échappant, il est ses toits rouges sur les collines, il est cette ville-masse de rues et de verdure, cette ville éparse et ses couleurs splendides, elles s’y mirent, elles sont proches, leurs bras se touchent.
p 92-93
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On existe différemment avec chaque être pense Esther, c’est ce qui est merveilleusement riche. Les lieux créés par la rencontre de deux êtres sont uniques et tous dissemblables.
(...) Avoir le choix ce n’est pas choisir le noir ou le blanc, c’est trouver une couleur en soi.
C’est créer le blanc qui nous correspond ou le noir qui nous répond. Le créer. Chaque fois différent. Le créer, ne rien accepter qui soit tout fait, tout préparé, tout prémâché. Notre devoir est de recréer notre vie, si l’on veut qu’elle soit nôtre. Il nous faut la mâcher. p 199
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Ce même matin de janvier 1923 les pluies lavent Tana, la ville coule, bave il y a de la boue à Andravoahangy, du charbon flotte dans un seau, il y a un ruisseau sur les escaliers, des fleurs de bougainvillier en petits bateaux, il y a de l’eau qui tombe, on la voit sur nos têtes, nos ombrelles, nos toits, nos têtes, nos marchés, nos maisons, nos églises, il y a de l’eau qui teinte la ville de terre rouge et qui vient remplir le ventre en attente des rizières, le ventre carré et piqué de riz des rizières, les germes verts des rizières s’agitent, la pluie gave, remplit, pénètre, coule sur nos têtes, la pluie mord comme une bouche douce, une bouche douce qui embrasse toutes et tous, personne ce matin de janvier ne peut échapper à la pluie, les quelques chiens de la capitale aboient, un enfant sort sous la flotte il fait flotter un petit bâton, Esther traverse la rue pour atteindre la rive, le trottoir d’en face. Esther monte dans son bureau, ses cheveux sont mouillés, ses yeux brillent, elle est sortie d’un sommeil liquide pour rejoindre des rues liquides, il lui faut rassembler les flux, se mettre en ordre pour commencer. Le travail.
Mais elle rêve. p 126
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Epigraphe
Sans choisir les mots figurent. Petits projectiles qui remuent dans les plis de la tête, qui échappent à la mort du dire, colliers de sons sans protection qui volent à la limite du vide. Les hommes les regardent et leur parlent des sources, des plantes, des fruits, des animaux, des doigts qui attrapent la robe, d’une main douce sur les jambes, des lèvres qui se caressent, des enfants qui poussent comme les ramures, des cailloux à surmonter et qui s’amoncellent sur le palier, de la force des rats qui trônent, des veilles devant les petits qui roulent la tête, le front ceint de lances, des efforts pour tenir debout.
Isabelle Sbrissa
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Je fais face au paysage des vieilles rizières, et je cherche au lointain comme un point. Confrontée à cette vue que depuis mon enfance je connais en miroir, tout m’apparaît à vif et si la mer est loin qui m’a tant de fois soulevée sur les côtes de Majunga, elle ne me manque pas. Elle est là de partout.
Elle se soulève ici dans toutes les eaux calmes. La mer, l’océan. La mer. Dans la terre des rizières, je la sais je la sens.
J’ai aimé ces quatre ans de proximité à la mer. La mer pour moi est un ailleurs surpuissant. Je suis fille des hauts plateaux, une petite merina du centre. Mais les rizières que l’on voit s’élaborer ici en taches vertes, ces étagères à grains qui sont tellement nôtres et terriennes, ne seraient pas si elles n’avaient traversé l’océan. Car nos ancêtres indonésiens se sont embarqués sur des boutres !
Ces rizières contiennent du voyage dans leur ventre froid et liquide. Le riz que nous mangeons aussi. Le ciel que nous humons, tout ici doit se rappeler la forme de l’île que nous habitons et donc cette frange où la terre s’arrête et où frictionne l’océan.
La forme de notre île nous est trop étrangère. Et cette eau qui l’entoure un monde bien lointain dans notre vie du centre. Pourtant des fruits arrivent et que l’on mange tous, des objets, des vanilles, des coquillages. Et une fois qu’on la sait elle bat de partout, l’artère bleu profond. J’ai aimé la connaître, c’est un nouveau savoir qu’elle me donne de moi. p 49-50

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Videos de Douna Loup (11) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Douna Loup
avec Laure DES ACCORDS, auteure, Au bord du désert d'Atacama (Le Nouvel Attila), Douna LOUP, écrivaine, Boris, 1985 (Zoé), Maria POBLETE, autrice, La dictature nous avait jetés là (Actes Sud Junior), animé par Sonia DÉCHAMPS, éditrice, journaliste
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