Gallimard a regroupé deux romans dans cette Série noire de 1999 :
1) Carte blanche : J'ai été impressionné par la qualité de ce court roman ( 130 pages ). Il mêle habilement une bonne enquête, crédible et rondement menée, et surtout un contexte historique explorant en Italie la fin de la sombre période mussolinienne. Ce contexte n'est pas développé à outrance,
Carlo Lucarelli se contente d'une esquisse qu'il m'a été agréable d'approfondir par des recherches personnels. Attiser la curiosité est une qualité peu fréquente dans un roman.
Bologne, avril 1945. Rehinard, un personnage sulfureux a été assassiné dans son luxueux appartement, vraisemblablement à l'aide d'un coupe-papier. le commissaire de Luca de la Préfecture de Police est sur la scène de crime, c'est sa première affaire dans sa nouvelle affectation. Il va faire équipe avec l'adjudant Pugliese. D'emblée de Luca montre un sens de l'observation perçant et d'excellentes capacités de déduction. L'enquête ne va pas s'enliser, c'est certain, d'autant plus que sa hiérarchie lui donne carte blanche.
Plus passionnant encore que l'enquête, il y a le contexte historique italien et plus intrigant encore, il y a le passé de
De Luca. En peu de mots, par petites touches,
Carlo Lucarelli dresse le portrait de la République sociale italienne, héritière agonisante des années de pouvoir du
Parti National Fasciste, sinistre Faisceau dont le représentant à Bologne exhorte
De Luca lorsque l'enquête lui est confiée «Commissaire de Luca ! hurla-t-il, l'Italie fasciste vous regarde ! Saluto al Duce ! ». A l'époque le Duce ne peut que constater l'avancée inexorable des troupes alliées, il ne dirige même plus les territoires de ce qui est également appelé la République de Salò du fait de l'occupation implacable des nazis allemands. Les attentats des Partisans sont fréquents. le Comité de Libération Nationale a commencé à ficher ceux qui ont soutenu et collaboré avec le fascisme. Il est temps pour les notables de manoeuvrer pour changer de camp. Désormais il y a ceux qui ont peur et d'ultimes fanatiques antisémites traquant les dégénérés, les canailles et francs-maçons, le coupable du meurtre de Rehinard est parmi ces derniers, cela a été imposé à
De Luca.
De Luca n'a pas encore sa carte de la Préfecture de Police. Il a celle d'avant, celle où il avait le grade de commandant de la brigade Ettore Muti, Section Spéciale de la Police Politique. Il y a eu jusqu'à seize polices différentes à cette époque, regroupées dans une structure unique, l'OVRA, pour une surveillance et une répression politique tentaculaires.
De Luca se défend d'en avoir été un membre actif. Il n'a fait que son travail et il estime l'avoir bien fait. Il a obéi aux ordres.
De Luca a été un policier et reste un policier avant tout mais il a peur. Il voit un monde s'effondrer et il devine que le coupable qu'il va démasquer ne correspond pas à celui que les derniers irréductibles fascistes ont imaginé.
Le début de la série
De Luca est enthousiasmant. L'amateur de polar que je suis y trouve son compte avec une enquête bien construite, complexe mais pas trop, les protagonistes sont peu nombreux, parmi eux Valeria joue bien son rôle de femme fatale. le contexte historique est d'une richesse inouï, à la fois propice à embrouiller l'enquête de
De Luca et instructif pour les lecteurs qui ne seraient pas familiers de cette page noire de l'Histoire italienne.
2) L'été trouble : Début septembre 1945, la guerre est finie et l'Italie se retrouve face à elle-même. C'est l'heure des règlements de comptes, les partisans exécutent les fascistes les plus virulents, des femmes sont tondues. L'été 1945 est trouble.
De Luca a changé de nom. Il est en fuite, seul dans la campagne entre Bologne et Ravenne où il croise Leonardi, brigadier de la Police partisane. Leonardi est bavard et plutôt sympathique. Il croit reconnaître le commissaire
De Luca mais ce doit être une erreur car ce n'est pas le nom qui figure sur les papiers de cet inconnu seul, désorienté et apeuré. Peu importe, Leonardi l'emmène sur une scène de crime, une modeste famille de quatre personnes a été tuée à coups de bâton. Cet inconnu présente bien, il est sans doute ingénieur et capable de le conseiller.
La Police va être réorganisée par les Carabiniers, résoudre une affaire non politique permettrait à Leonardi de se mettre en avant et de l'aider à intégrer la future Police.
Dans sa première enquête,
De Luca était confronté aux notables italiens ( voir ICI ), il est désormais seul au milieu d'ex-partisans, des gens du peuple de la campagne italienne, des gens pauvres qui tentent d'entamer tant bien que mal la reconstruction du pays. Voler les riches pour donner aux pauvres fait partie de leur stratégie et
De Luca doit découvrir les meurtriers d'une famille.
De Luca trouve la situation totalement absurde, ce qui ne l'empêche pas de repérer nombre d'indices sur la scène de crime.
Il règne un air de normalisation en Italie, une ambiance que Carlo Lucatelli reconstitue habilement. C'est instructif, tout le monde pense à l'avenir et aspire à repartir de zéro sous l'oeil de Carnera le héros de la résistance plus craint que respecté. de nouvelles rivalités politiques apparaissent et tout le monde sait que le Maire Savioli va s'opposer à Carnera. Des fortunes disparaissent et réapparaissent ailleurs comme par enchantement. Mais c'est pour investir, pour l'avenir.
Les portraits dressés par l'auteur sonnent justes.
De Luca progresse dans son enquête et rencontre de nouvelles personnes et toutes ont envi de tourner la page et d'oublier. L'heure de la vengeance est vite passée. Même Francesca, celle que l'on surnomme la Tedeschina et qui a été tondue, a repris une vie normale.
De Luca n'a aucun moyen technique pour faire progresser son enquête. Tout repose sur sa perspicacité et ses questions rares et habiles. Il voudrait bien passer inaperçu et surtout que son passé ne refasse pas surface. Tout est psychologie dans ce roman. Plus la vérité se rapproche, plus elle attire
De Luca et plus elle effraie Leonardi. Mais pour
De Luca il n'y a qu'une seule vérité et quelle qu'elle soit elle doit être découverte. En procédant ainsi il n'estime pas faire son devoir mais seulement son métier et c'est comme cela qu'il a toujours travaillé.
Carlo LUCARELLI – Carte blanche . Titre original Carta bianca ( Italie – 1990 ). Traduit de l'italien par
Arlette Lauterbach pour la Série Noire des Éditions Gallimard, parution septembre 1999 . ISBN 9782070497867
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