Ce que j'aime dans les plaidoiries c'est que, pour fonctionner auprès des jurés, elles utilisent autant les arguments que les sentiments. Il en ressort souvent des textes forts - desquels on peut toujours débattre, mais pour lesquels on éprouve facilement de l'intérêt. "
Le droit d'emmerder Dieu" est la publication de la plaidoirie qu'avait écrite
Richard Malka, l'avocat de
Charlie Hebdo, pour le procès des attentats.
.
« Non, les religions ne sont pas faites que de paix et d'amour, elles sont ce que les hommes en font. »
.
On y retrouve bien sûr toute l'émotion qui a entouré les événements en cause. Mais elle est surtout encadrée par de solides arguments de droit, de raison, ainsi que par la présentation de faits peut-être inconnus par certains d'entre nous. Des faits qui en tout cas, entremêlés au droit et à la question de nos libertés, pèsent lourds dans la balance.
.
« Les religions ont structuré l'humanité en lui apportant une morale, mais elles peuvent aussi conduire au pire ».
.
La question fondamentale de ce procès, au-delà de celle de la punition des crimes et du dédommagement des victimes, c'est la question de nos libertés. Par cette plaidoirie,
Richard Malka rappelle que l'expression par le dessin et la caricature n'est qu'un prolongement de la liberté d'expression, tout comme la liberté de la presse.
.
« Il n'y a que l'arbitraire qui puisse maintenir une différence entre la plume de l'écrivain et le crayon du dessinateur ».
Or, nous explique-t-il,
« Ils savent que c'est la liberté-mère et que sans elle, aucune autre ne peut exister ».
.
Alors, il tente de répondre aux questions que chacun peut se poser un jour : Pourquoi est-elle une liberté fondamentale, quand elle est susceptible de déranger chacun d'entre nous un jour (on peut tous en être la cible) ? Pourquoi amputer la liberté d'expression du droit de caricaturer reviendrait à la vider de son sens ? Pourquoi est-il impossible, dans le pays des droits de l'Homme, de maintenir le droit de caricaturer tout en l'encadrant par l'interdiction de blasphémer ?
.
« C'est Clémenceau, qui, à l'Assemblée, répondra à l'évêque d'Angers invoquant la blessure des catholiques outragés : "Dieu se défendra bien lui-même, il n'a pas besoin pour cela de la chambre des députés." »
.
Richard Malka met tout son coeur et sa raison à répondre à ces questions, nous offrant son point de vue de professionnel du droit et de défenseur de nos libertés. Ses arguments, riches d'exemples afin de marquer son public constitué de non-juristes, mettent en lumière les contradictions entre nos revendications d'être toujours plus libres, et notre volonté de limiter la liberté des autres, de ceux qui nous dérangent un peu trop, tels les caricaturistes.
.
« Je lis tous les jours des tribunes (…) et même une ancienne candidate à l'élection présidentielle qui nous disent qu'il faudrait abandonner les caricatures et le droit de critiquer librement les religions.
Mais comment prétendre cela avec un soupçon d'honnêteté intellectuelle ?
Il y a quelques semaines, en Autriche, il y a eu un attentat. Or, il n'y a pas de
Charlie Hebdo en Autriche, il n'y a pas de caricatures en Autriche. C'est un des derniers pays européens à disposer d'une législation pénalisant le blasphème. Il n'y a pas de laïcité en Autriche ni de passé colonial. Et pourtant ils ont eu un attentat islamiste. Alors qu'est-ce que doivent abandonner les autrichiens ? A quoi doivent-ils renoncer ? »
.
Rappelons que chaque liberté est malgré tout encadrée (interdiction des injures, propos racistes, etc…), et que toutes les religions sont (et doivent être) traitées sur un pied d'égalité : L'auteur rappelle ainsi en quoi ce serait un non-sens d'interdire le blasphème pour une seule religion.
.
« Ce serait la première marche de l'idolâtrie et du fanatisme »
« Il y a l'égalité pour tous et le même traitement pour toutes les religions. Les religions doivent faire l'objet de la satire »
.
Il est effrayant de constater à quel point, dans notre pays où les libertés semblent une évidence, on ne se rend pas toujours compte des conséquences de les laisser grignoter petit bout par petit bout. Car, la population actuelle les ayant toujours connues, nous ne pouvons imaginer une réelle régression où l'on nous ôterait nos libertés chéries. On se bat pour nos libertés immédiates dont la privation rend la vie inconfortable sur le moment - les restrictions de sorties liées au covid par exemple - mais pas pour celles dont la privation paraît avoir des conséquences moins concrètes sur le moment. Pourtant, cette menace demeure à nos portes, plus proche que jamais.
.
Par exemple,
Richard Malka rappelle à ce titre que rétablir l'interdiction de blasphémer revient à rétablir l'autorité de la parole de dieu(x) qui pourra alors interdire toutes les libertés voulues sans pouvoir être contredite par la population. Les exemples concrets fournis par l'auteur marqueront les esprits qui ne veulent pas avoir à les subir. Tels furent pourtant les paroles de certains politiques et auteurs durant la crise des attentats…
.
« Curieusement, les 72 pays au monde où l'homosexualité reste une abomination sont à peu près les mêmes que ceux où le délit de blasphème continue à exister. »
.
Pour vous faire une idée plus précise des propos de l'auteur, je vous invite à lire les extraits et citations de ce livre, publiées sur Babelio. Mais mieux encore, lisez cette plaidoirie en entier, forgez votre propre opinion et, si elle est différente ou nuancée, savourez le fait de pouvoir l'exprimer : Profitez-en tant que c'est encore permis, tant que babelio ne décide pas de publier uniquement les critiques positives qui ne dérangent personne ; tant que vous avez encore «
Le Droit d'Emmerder Dieu » - ou même la plaidoirie de l'auteur de ce livre, le livre lui-même et, pourquoi pas, les opinions de tous ses lecteurs. Si vous n'êtes pas d'accord dessinez-le, dites-le, plaidez puis écoutez, convainquez ou laissez-vous convaincre. Mais ne tuez point.
.
« Les croyances ne peuvent jamais exiger le respect. Seuls les hommes y ont droit. Aucune croyance, aucune idée, aucune opinion ne peut exiger de ne pas être débattue, critiquée, caricaturée.
Parce qu'à défaut, on n'accepterait plus de vivre qu'entre personnes pensant la même chose. Et tout débat, toute controverse serait estimée « offensante ». C'est le chemin de l'obscurantisme. Les idées, ça se confronte et ça se débat. »