Pour nous, Occidentaux, il y a le bouddhisme du voyage, touristique, coloré, avec ses visites de temples-musées, de sites et de jardins, culminant à l'arbre d'éveil, mais qui n'est qu'une bouture de l'arbre original ; le bouddhisme esthétique des beaux livres aux pages glacées; plus savant, celui de l'appréciation de la statuaire, des fresques troglodytiques, des peintures et des thanka ; le bouddhisme monumental des vats d'Angkor, de Bamian, de Borobudur, des chörtens du Tibet, mérous d'Indonésie, dagobas de Ceylan, des stupas birmans, des pagodes de Chine, de Corée et de l'Empire du Soleil Levant; le bouddhisme des érudits, sanscritistes, philologues et sinologues ; le bouddhisme religieux et philosophique; le bouddhisme des historiens et le bouddhisme des ermites ; le bouddhisme populaire, simpliste et superstitieux; le bouddhisme monacal, exclusif et misogyne ; le bouddhisme politique et ses moines qui se donnent la mort par le feu, confirmant ainsi le vieux soupçon occidental, celui d'une religion du néant.
Tous ces aspects du divers, qui existent bien et qui sont entretenus de façon légitime par leurs tenants, les moines, les associations de dévots, les maîtres de la Loi, les universitaires, les professeurs, généralement nous hallucinent et nous font oublier que le véritable contenu de l'enseignement bouddhique concerne une réalité avant tout intérieure, sans forme, et ne dépendant d'aucun discours. De quelque façon toutes ces images du bouddhisme ressemblent à celles d'un mandala, avec ses multiples mondes terrestres et célestes, ses assemblées innombrables et ses temples fondés sur des nuages, elles nous confirment dans l'idée d'une réalité extérieure, d'une religion exotérique, alors que l'enseignement central du Bouddha porte essentiellement sur l'esprit. Notre représentation du bouddhisme est donc comme un rêve, ou, pour parler comme les sûtras, comme un mirage, comme fleurs flottant dans l'air (des images hypnagogiques ou des "mouches" dérivant sur la cornée), comme cornes de lièvres et poils de tortue.
Prajñā, la sagesse bouddhique ou perfection de sapience, ainsi, d'emblée est une pierre de touche, dès le premier contact cette pénétrante est reconnue, car elle constitue une harmonique de notre nature profonde. Après, intuitivement, il suffit d'avancer, car ce que que nous avons rencontré nous l'avons reconnu comme plus vrai que nos vérités anciennes. C'est ainsi qu'imperceptiblement notre centre de gravité se déplace, et son assise se révèle une fondation inébranlable. De fait, celle-ci, car nous avons atteint une dimension métaphysique, s'est élargie, très au-delà des limites maintenant périmées de notre moi.
Parce que le Bouddha Shâkyamuni est né il y a quelque 2600 ans dans un lointain royaume du nord de l'Inde, le Magadha depuis longtemps disparu, parce que nous avons en tête toutes ces images de moines d'Asie du Sud-Est à la tête rasée, une épaule nue, en robe safran, de lamas en robe prune, de maîtres zen japonais en robe noire, parce que ses enseignements et ses pratiques ont la réputation d'être difficiles, voire rebutants, nous pensons le bouddhisme comme compliqué, inaccessible, exotique et peut-être bien rétrograde, dépassé.
L'expression inconcevable de ce sourire [du Bouddha], il semble que si nous en comprenions pleinement la dimension intime, nous comprendrions la vérité du bouddhisme de bout en bout. Nous pressentons que si par contagion un pareil sourire pouvait éclore en nous, nous aussi connaîtrions l'illumination.
Le sourire du Bouddha, très certainement est une expression de l'éveil. Une expression de reconnaissance, intuitive et muette. Une reconnaissance qui serait aussi une libération. Une certitude tranquille, absolument complète, un accès. Le sourire du Bouddha suggère l'idée d'émanation d'une lumière intérieure, chaude et rassurante comme un feu de bois.