« Puis il déclara que les diverses formes de l'intelligence pouvaient se réduire à deux formes principales : la première, l'intelligence assimilative, celle qui agit comme une éponge et absorbe immédiatement tout ce qui s'offre à elle, qui avance, confiante, et trouve naturelles, évidentes, les relations et analogies établies auparavant par d'autres, qui est en harmonie avec le monde et se sent dans son élément quel que soit le domaine de la pensée. (…) C'est l'intelligence des « talentueux », ou « capables », qui se comptent par milliers. (…) C'est l'intelligence qui s'accommode le mieux de la vie, et c'est aussi, somme toute, celle des grands savants et humanistes. Elle ne cède qu'à deux dangers : l'ennui et la dispersion. (…)
Quant à l'autre forme d'intelligence, elle est beaucoup plus rare, plus difficile à rencontrer ; elle trouve étranges et souvent hostiles les enchaînements de la raison, les arguments les plus habituels, ce qui est su et prouvé. Rien pour elle n'est « naturel », elle n'assimile rien sans éprouver en même temps une certaine réaction de rejet : « C'est écrit, d'accord, se plaint-elle, et pourtant ce n'est pas comme ça, ce n'est pas ça. » (…) deux dangers la guettent aussi, beaucoup plus terribles : la folie et le suicide. »
C'est cette constatation émise par un professeur devant deux de ses élèves les plus brillants que tout le livre de l'argentin
Guillermo Martinez va mettre en scène. Notre narrateur va illustrer cette intelligence talentueuse, applicative et répétitive alors que le jeune Gustavo au contraire va tenter d'ouvrir des voies nouvelles à sa raison à contrario et sans appuis sur celles existantes.
Ce livre est d'une incroyable efficacité. Etonnant par la justesse de ses analyses et par cet affrontement de deux intelligences si différentes. Roderer se marginalisant progressivement pour se retrouver seul face à ses interrogations et spéculations, le narrateur traversant au contraire une vie de travail plus classique, l'obligeant même à participer à la défaite de la guerre des Malouines.
On ne peut que donner son empathie au courageux et tenace Roderer tant son adversaire semble sûr de lui et suffisant. Sur un style neutre mais bien assis, les deux personnages de ce roman se forgent une véritable réalité à nos yeux de lecteur et l'on se prend à leur duel intellectuel comme on apprend beaucoup sur nos façons de penser le monde. Roderer cherchant avec raison à sortir de la binarité usuelle pour trouver un autre dimension à nos intellects.
Un roman brillant, intelligent, très intelligent et qui marquera mon esprit.