On ne dira jamais assez le calvaire que c'est de porter un nom trop connu : quand vous vous appelez Armstrong, il faut sans cesse expliquer comment vous faites pour marcher sur la Lune en gagnant cinq fois le Tour de France et tout ça sans quitter votre trompette !
Arthur Miller c'est pareil : toute sa vie il s'est défendu d'avoir écrit « Tropique du Cancer » et « La Crucifixion en rose » sur l'air de « In the mood » ! Plus sérieusement, je me demande s'il ne souffrait pas plus d'être considéré comme Monsieur Marylin Monroe, que comme l'immense dramaturge qu'il était (le plus grand de sa génération avec
Tennessee Williams).
Car oui,
Arthur Miller (1915-2005) est un géant de la littérature américaine. Auteur de plus d'une vingtaine de pièces de
théâtre, il écrivit aussi pour le cinéma (« Les désaxés » (« The Misfits »), le film mythique de
John Huston (1961) avec Clark Gable, Marylin Monroe et Montgomery Clift), il est l'auteur également de plusieurs, romans, essais et articles divers.
Mais l'essentiel de sa notoriété (en plus d'être le mari de Marylin Monroe, ce qui, il faut le reconnaître, n'est pas à la portée de tout le monde), c'est le
théâtre. Dans son abondante production, on retiendra essentiellement quatre pièces, qui ont eu un succès universel : «
Ils étaient tous mes fils » (1947), «
Mort d'un commis-voyageur » (1949), «
Les Sorcières de Salem » (1952) et «
Vu du pont » (1955).
«
Les Sorcières de Salem » est une pièce double : c'est d'une part l'évocation d'un fait réel qui s'est passé à Salem (Massachussetts, pas loin de Boston) à la fin du XVIIème siècle. D'autre part, c'est une allégorie transparente sur les méfaits du maccarthysme, cette « chasse aux sorcières » d'une intolérance inégalée qui, et en dépit de toute justice ou de toute légalité, fut exercée non seulement contre tous les communistes, mais également contre tous les sympathisants de gauche, et ce, dans tous les milieux (autre exemple de l'ouverture d'esprit de l'Oncle Sam, à qui nous devons également le génocide des Indiens, la ségrégation raciale, le Ku-Klux-Klan, Hiroshima et tous ses conseils éclairés au monde sur la démocratie et le vivre-ensemble) (réflexion toute personnelle qui n'engage que moi, les Américains ont quand même fait de bonnes choses, Star Wars, par exemple – avant Disney, faut pas exagérer, non plus).
En 1692, à Salem, colonie puritaine des descendants du Mayflower, la jeune Abigaïl Williams, perverse et manipulatrice, devient la maîtresse de
John Proctor. La femme de ce dernier, Elizabeth, la chasse de la maison. Abigaïl prépare une vengeance terrible qui entraînera dans la tragédie toute la communauté. Elle se livre à un rituel de sorcellerie, et quand celui-ci est découvert, elle se pose en victime et accuse ses accusateurs. La pièce décrit alors l'hystérie collective qui s'empare de la communauté, attisée par la malignité des uns, l'obscurantisme puritain des autres, et marquée par l'impuissance des esprits « raisonneurs » qui cherchent à calmer le jeu et rétablir la vérité.
«
Les Sorcières de Salem » est une pièce d'une tension insoutenable : le spectateur assiste impuissant à ce débat entre le bien et le mal, et où le bien … est bien mal. L'auteur dénonce à gros boulets, la rumeur, les fausses informations, la crédulité, l'emprise de la religion (et du clergé) sur des esprits malléables, surtout il dénonce le fait d'invoquer un motif général pour assouvir des rancoeurs personnelles (ce qui fut le cas avec le maccarthysme). En parallèle il souligne le courage et la volonté pour quelques individus de faire face à l'obscurantisme et à la malveillance organisée, par la raison, la compassion et l'amour.
Très précisément datée dans le temps : 1692 pour le procès des sorcières, 1950 pour le maccarthysme, la pièce a pour principal intérêt de nous rappeler la vigilance (et c'est encore plus vrai aujourd'hui), sur la manipulation des esprits, sur la confiance limitée qu'on peut avoir dans les élites qui n'hésitent pas à abuser de leur pouvoir, sur la rumeur (écrite, parlée, et aujourd'hui informatisée) enfin sur sa propre capacité à résister à ces pressions multiples…
Une oeuvre très forte, toujours d'actualité.
A signaler une adaptation de
Jean-Paul Sartre, portée au cinéma en 1957 par
Raymond Rouleau, avec
Yves Montand et
Simone Signoret. Un film honorable, mais Rouleau est plus un metteur de scène de
théâtre que de cinéma. La pièce sur scène doit être extraordinaire.