Il y a quelques années lorsque j'ai redécouvert Berserk, le travail de
Kentaro Miura a été une révélation pour moi. Depuis que j'ai commencé à lire des mangas, ce n'est pas le premier artiste que j'apprécie que je vois mourir, mais c'est le premier où ça me touche autant car il laisse une oeuvre inachevée et puissante derrière lui. Alors même si c'est pour un moment éphémère, j'ai eu envie de le retrouver avec
Dur-An-Ki un projet auquel il a participé au départ, même s'il fut ensuite mené par les artistes de son Studio. On y retrouve tout ce qu'il aime et que j'aime moi-même : des personnages charismatiques riches de plusieurs épaisseurs et une histoire pleine de profondeur et d'humanité inspirée de la mythologie, ici, antique et de l'Histoire des grandes heures de la Méditerranée.
L'objet est cependant singulier. On nous propose de retrouver dans ce volume unique tout d'abord les six chapitres sortis du projet, puis dans un second temps les croquis et le scénario d'une autre histoire qui a inspiré celle-ci qui n'a plus grand-chose à voir avec le projet d'origine au passage ^^! Si c'est louable, j'avoue ne pas avoir trop vu l'intérêt du second pan car au final c'est une idée qui n'a jamais été concrétisée et qu'en plus, c'est assez basique par rapport à l'oeuvre dessinée proposée ici.
De cette oeuvre,
Dur-An-Ki, nous avons eu droit à 6 chapitres, les seuls à avoir été publiés et que Miura ne faisait que chapeauter, puisque c'est son studio qui est aux manettes, cependant son aura est palpable. Dès les premiers pages, ils nous plongent dans une histoire faite de mythologie, de mystères et de secrets, dans un monde antique soigné, proche et loin de nous à la fois, où la magie côtoie le réel, un peu comme dans Berserk et vision des contes médiévaux. le dessin est un peu froid et figé mais parfait pour ce récit qui se veut porté par la mythologie et des figures qu'on a plutôt l'habitude de voir en statues qu'en vrai. On a ainsi l'impression d'être un peu coincé dans une autre dimension faite de dieux, de faunes, de nymphes et autres créatures féeriques et célestes. C'est magnifique.
Pour cela, le
Studio Gaga s'inspire fortement de la mythologie grecque, de ses héros et de ses dieux, qu'ils citent expressément dès les premières pages, mais également de mythes religieux comme l'Arche de
Noé représenté plus à demi-mots ou encore de l'Histoire des peuples entourant la Méditerranée dont la vie nous apparaît peu à peu au détour des chapitres.
L'héroïne / le héros est un être singulier, ni garçon ni fille, ni humain ni divin, il semble faire le lien entre tous ces lieux et aspects, le tout avec beaucoup de mystère. Recueilli(e) par un couple âgé en pleine montagne, iel va s'y ébattre comme notre petite Heidi, entouré des bêtes de son pâturage et avec l'aide pleine d'entrain du dieu Pan. Mais cette vie coupée du monde va être chamboulée par la rencontre d'un groupe de jeunes garçons venus chasser dans la forêt qui va avoir besoin de son aide. Se liant à eux, Usum va voir ses horizons s'élargir d'un coup !
Le titre a vraiment une aura toute particulière faite de la naïveté de l'enfance, avec ce héros vierge de tout qui va à la rencontre de jeunes garçons encore tout naïf avec qui iel va vivre plein d'aventures. C'est hyper rafraîchissant, rappelant des récits d'enfance plein d'action et de bons sentiments. S'y ajoute une dimension plus mystérieuse avec ses origines, sa raison d'être ici et la vive intelligence dont iel fait preuve à plusieurs reprises pour toujours inventer la bonne machine correspondant à la situation du moment. J'ai adoré cet aspect de l'oeuvre même si j'y ai perçu, je pense, plusieurs anachronismes faits pour nous faciliter la compréhension... Enfin, l'oeuvre se triple d'une dimension historique qui ne peut que me plaire dès qu'on découvre le village dont sont issus ses garçons et l'identité de l'un d'eux. On sent que tout cela bouillonne sous ces dehors de village tranquille fait pour nous montrer le passage de la vie pastorale à la vie urbaine dans les premiers temps de l'humanité. Cela confère vraiment une aura particulière au titre.
Tout cela est rendu par un dessin extrêmement fouillé, riche dans ses décors, mais également ses costumes drapés, ses postures et ses expressions. Tout est réfléchi et pensé, on le sent, pour conférer à cette composition la puissance narrative nécessaire à un conte mythologique et historique. Si le dessin des enfants est vraiment plein de charme, de rondeur et de candeur enfantine, je suis moins fans des adultes plus "mastoc" et figés, notamment les hommes de pouvoirs dont on sent toute la lourdeur et l'incapacité à bouger jusque dans le design qu'on leur a choisi. Quant aux passages mythologiques, ils sont empreints de légèreté et de poésie. C'est juste sublime, du grand art, comme c'était le cas dans les derniers tomes de Berserk.
Ce qui m'amène à ma déception, en revanche, du second pan de ce volume, les pages du projet original. Celui-ci, intitulé "Amazones" n'a vraiment que peu de choses à voir si ce n'est l'ambiance antique. Mais surtout, il a l'air d'être une redite de récits déjà connus avec des personnages mythologiques vus et revus comme Achille, Penthésilée ou Ménélas, ce qui ne m'inspire pas. le fait de l'avoir inclus dans un récit qui était alors un isekai, genre dont on nous a trop abreuvés, n'arrange rien. du coup, cela ne m'a pas du tout intéressée de lire le scénario, les dialogues, les idées, etc. Par contre, voir les esquisses des personnages, ça oui c'était beau, même si à nouveau peut-être un trop classique et dans le canon pour du Miura. Heureusement cependant qu'il n'y avait pas que ça dans ce volume sinon j'aurais été déçue.
Oeuvre inachevée
Dur-An-Ki est en plus un objet singulier, tout comme l'avait été
La forêt millénaire de
Jiro Taniguchi où les éditeurs avaient également fait le choix de publier tout ce qui était disponible autour de ce projet. Cependant ici la frustration est grande après cet abandon car il y avait ici une histoire à gros potentiel pour moi qui suis fan de mythologie et d'histoire antique. Sous le trait du
Studio Gaga et avec l'aura de Miura, on tenait quelque chose. Berserk a été repris depuis et se poursuit dans le magazine d'origine avec la supervision d'un ami proche de Miura ainsi que les dessinateurs de son studio, j'aurais aimé qu'il en aille de même ici et si des auteurs souhaitent se pencher sur ce type d'univers, ils sont les bienvenues, tant cela semble oublié dans ce qui parvient jusqu'à nous en France.
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