Après mon échec à la lecture de
Jirel de Joiry, j'hésitais entre abandonner purement et simplement
Catherine L. Moore ou retenter le coup pour voir s'il s'agissait d'un accident. le format novella proposé ici, et le thème proprement différent, m'ont fait balancer vers la deuxième option.
Et ça partait mal. Dès le début j'ai reconnu ce style qualifié « d'imagination poétique et de maîtrise stylistique » dans la mini biographie de l'auteure : de la poésie que je ressens comme lancinant et insistant, poussant la palabre jusqu'à l'excessif, avec des dialogues qui développent longuement thèse et antithèse et se prolongent de chapitre en chapitre à la façon des séries télé comme Les feux de l'amour.
Et pourtant ici, ça fonctionne ! C'est même un élément clé. Cela prolonge l'attente, éloigne le moment des véritables révélations, participe à mettre les nerfs en pelote dans l'attente des divulgations mais aussi à incarner, concrétiser les deux duellistes que sont Deirdre et Maltzer.
L'histoire n'est pas vraiment dystopique – comme quoi dystopique et dyschroniques (le nom de la collection) ne sont pas synonymes. Deirdre est une vedette du spectacle dont le corps est mort dans un accident, mais dont la conscience a pu être sauvegardée et implanté sur un corps métallique de toute beauté. Elle est devenue cyborg. Deirdre parvient rapidement à s'adapter à sa nouvelle situation et n'a bientôt plus qu'une envie : remonter sur scène. Montrer ce qu'elle est, en quoi elle est restée la même et en quoi elle a changé.
Maltzer est son agent. C'est lui qui a tout mis en oeuvre pour « sauver » Deirdre. Mais ce nouveau Frankenstein regrette vite son geste. Il ne supporte pas l'idée de voir Deirdre se faire rejeter par le public car, pour lui c'est évident, jamais les foules n'accepteront cet être qui croit seulement être vivant.
Les deux personnages sont face à face, sous les yeux du narrateur Harris. Et leur longue confrontation m'a pris aux tripes jusqu'à l'action finale qui change la nature de la question de fond : il ne s'agit plus de savoir si Deirdre est encore humaine ou attirée par la « métallicité » inorganique de son corps, mais de savoir dans quelle mesure elle est devenue supérieure à l'humain.
Une très bonne novella qui m'aura happé par ce que je reproche au style même. C'est curieux mais aussi satisfaisant.