Quel titre étrange , c'est la première remarque qui m'est venue à l'esprit lorsque ma libraire m'a remis entre les mains ce livre que j'avais commandé après avoir découvert des critiques enthousiastes d'ami(e)s babeliotes dont les avis me sont toujours précieux , je les en remercie au passage. Pour le titre , attendez de rencontrer Babel .....Et oui , sur " le chemin " , tout se mérite.
Bon , posons la problématique : je ne suis pas croyant , plutôt agnostique dans la mesure où, né il y a 66 ans , j'ai été baptisé , j'ai fait ma communion ( trois jours de moins à l'école ! ) et je me suis marié à l'église .Bon , à l'époque, tout le monde ou presque suivait ce" cursus" , rien de glorieux , rien d'honteux non plus....J'ai des amis croyants , d'autres pas et nous ne voyons là aucun , mais vraiment , aucun problème. Alors , moi , le côté religieux du " chemin de St Jacques" , je le laisse à ceux qui peuvent l'expliquer spirituellement , avec beaucoup de respect mais sans adhésion . Très intéressé et respectueux de notre patrimoine culturel et cultuel , j'ai visité de nombreux sites du chemin : Vézelay ,Saint Jean Pied de Port, le Puy , Conques et il m'a été donné d'observer l'attitude de nombreux pèlerins en route vers Compostelle . Leurs yeux brillants , leur enthousiasme , leurs embrassades chaleureuses m'ont toujours fasciné . Ainsi donc , " ça fait ça , le chemin ? " . A une époque contemporaine plutôt compliquée, il y a de quoi être intrigué par cette " envie de marcher vers " qui touche de plus en plus de monde.....On m'a offert et , j'ai dévoré le superbe " immortelle randonnée " de Rufin . Je me suis donc procuré le très apprécié " le vestibule des causes perdues " et j'avoue, là encore , être tombé sous le charme .
D'abord , cette auteure , elle sait écrire et le récit est limpide , vivant , les phrases sont " réfléchies " , travaillées, percutantes , l'équilibre entre récit et dialogues très judicieux . Au début , les " candidats au camino " sont plutot discrets , méfiants, réservés quant aux raisons les ayant poussés à prendre " la route " , fuient toute conversation qui pourrait les " dévoiler " . Par contre , les échanges se font plus nombreux , plus profonds , plus sincères vers la fin , moment où , la confiance , voire la complicité , puis l'osmose gagnent les différents personnages . Chacun transporte des " pierres " plus ou moins lourdes dans son sac ou encore un petit diable sur son épaule et se déleste peu à peu de son fardeau en fonction des aléas , des petits riens qui jalonnent le parcours . J'ai adoré ce cheminement qui change vraiment de tonalité à partir du " franchissement " des Pyrénées, barrage ultime vers un avenir plus serein . J'ai aimé aussi la diversité des personnages , leurs origines différentes , leur charisme ou leur côté bourru , voire amusant et toutes ces belles rencontres qui , peu à peu libèrent les "noeuds" , provoquent des réactions inattendues, une affirmation de soi inenvisageable au début . J'ai souffert à cause des ampoules ( ! ) , sous la pluie , connu avec les personnages le désespoir et l'envie du renoncement , ou , au contraire , l'euphorie due à un " petit rien " , un mot , un regard , un frolement , l'interprétation d'un signe anodin....
Ce roman , je l'ai dévoré , je m'y suis senti impliqué , j'ai partagé , j'ai ri , me suis agacé au rythme des rencontres , des chevaux sauvages , des chiens agressifs , des splendeurs du paysage . Vraiment , un livre qui doit séduire ceux et celles qui , trop souvent ,ont l'impression que le ciel va leur tomber sur la tête , que , décidément, ça ne peut arriver qu'à eux ( C'est mon cas ! ) .Et attention , encore une fois , pas de confusion avec un " feel - good " , même si , je vous l'accorde volontiers , la fin dévie un peu vers le " too much " .....
J'ai suivi les conseils d'ami(e)s babeliotes et je les remercie . Je ne sais pas si " le chemin " est une solution pour résoudre tous les problèmes du monde actuel , en tout cas , celles et ceux qui empruntent cette voie s'en trouvent transformé (e)s , rassuré(e)s , ressourcé(e)s ....C'est super , non ? À chacun de nous de trouver sa route .Je crois que c'est magnifiquement dit dans cet ouvrage , et si on veut pouvoir compter sur les autres , il faut d'abord compter " sur soi - même " pour ensuite comprendre , assister, partager .
Une très belle leçon de vie vraiment et tant pis pour les petites " exagérations sentimentales ", ce livre est un rayon de soleil pour ceux qui en manquent et ....ceux qui en ont assez aujourd'hui ....car demain est un autre jour.
Merci à l'auteure pour ce très , très bon moment .
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Vous n'êtes pas croyant et vous n'avez jamais effectué de randonnées de votre vie ? Et bien, ce livre est pour vous !
Malgré le sujet, à savoir l'histoire d'un pélerinage à Compostelle, l'histoire n'aborde qu'assez peu l'aspect religieux de cette marche.
Ici, nous avons donc des personnes qui sont toutes un peu cassées, fêlées, voire carrément au fond du trou, et qui vont peu à peu se réparer, retrouver une envie, une personne ou une raison de s'en sortir et d'aller mieux.
Dit comme ça, ça paraît un peu bateau, déjà lu, je le reconnais bien volontiers...mais j'ai dévoré cette histoire car les personnages y sont vraiment attachants, j'ai eu la sensation de les accompagner tout au long des kilomètres, j'ai senti le poids du sac à dos, j'ai ressenti la douleur constante des ampoules aux pieds, j'ai eu froid dans les cols montagneux, j'ai frissonné pendant les journées de pluie, j'ai ressenti la chaleur du soleil dans ma nuque, j'ai vu le soleil se lever, j'ai soufflé de bonheur le soir quand j'ai enfin pu m'asseoir...
Un roman qui vous fait partager ça, ça n'a pas de prix !
L'auteur écrit finement, les phrases ne sont jamais tartes, les propos sont loin d'être mièvres, les personnages ne sont ni agaçants, ni portés à la sensiblerie.
Bref, c'est un énorme coup de coeur.
Allez, je vous laisse, mes chaussures de randonnées sont toutes seules à la cave et je crois bien que je vais les emmener faire un tour en forêt !
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Chez moi, il y a un calendrier perpétuel intitulé « Sagesses du Monde » avec des photographies accompagnées de maximes, de proverbes, de citations d'auteurs. Alors qu'elle ne savait pas encore lire, ma plus jeune fille s'amusait à imaginer la phrase du jour. C'était rigolo.
On se souvient surtout de celle-ci. La photographie représentait un marcheur avec un sac à dos suivi de trois ânes bien chargés. Ma fille a fait semblant de lire et a dit : « Marcher, c'est la vérité. »
J'ai beaucoup pensé à cette phrase en lisant « Le vestibule des causes perdues ». N'est-ce pas la vérité que chaque pèlerin cherche en cheminant jusqu'à Saint-Jacques de Compostelle ? Sa vérité ?
La phrase qui accompagnait réellement cette photo correspond tout aussi bien à certains personnages de ce roman. Il s'agit d'une citation de Maurice Magre : « Quand on porte un chagrin, il faut le porter loin pour le laisser un peu s'égrener sur la route. »
Pour Babel, une hospitalera, le chemin de Saint-Jacques c'est « le vestibules des causes perdues ». Elle explique à Mara :
« Bah oui. Je n'ai pas trouvé mieux. Comme au vestibule, on y vient régler les problèmes. Sauf que ce ne sont pas des problèmes qu'on trimballe. Ce sont des causes perdues. »
Elle avait raison, Babel, se disait Mara. Et elle pensait à Clotilde, cette dame bourgeoise bien fatiguée, à Arpad le hongrois qui garde accrochée à son sac à dos une délicate chaussure de bébé, à Sept Lieues qui n'a pas l'air de savoir ce qu'il fait sur ce chemin mais qui trace à une allure incroyable malgré des godasses en fin de vie, au Breton taciturne qui s'isole chaque soir dans la lecture de son cahier bleu, à Robert le retraité, à Henrique le joueur de guitare brésilien, à Bruce professeur d'université qui a soudainement plaqué sa vie parisienne pour devenir peregrino.
Elle pensait aussi à elle, Mara. Petite brunette à l'aspect fragile, un peu paumée, un peu naufragée et qui ne demande qu'à trouver un port d'attache.
Chacun d'entre eux porte en effet son chagrin mais au fil de leur pérégrination, au fil de rencontres plus ou moins improbables, et de leur amitié naissante, leur fardeau deviendra moins lourd à porter.
« Le vestibule des causes perdues » n'a rien à voir avec un roman de spiritualité. C'est un roman qui redonne sa place à la sensibilité et à la générosité, qui redonne sa place aux relations humaines, qui redonne sa place à l' « Essentiel », avec simplicité, candeur et bonne humeur.
J'ai parfois trouvé ce roman un peu long et répétitif. Mais n'est-ce pas aussi ce qui attend tout randonneur ? Un long chemin qui use les pieds, les jambes, parfois semé d'embûches mais qui amène, sans nul doute, quiétude et émerveillement.
Pour finir, je terminerai avec ce proverbe tibétain (qui fait partie de mon calendrier, oui, oui, c'est ça, je vois que vous suivez bien) qui résume bien la fin de ce roman et que je vous laisse méditer.
« Quand tu arrives en haut de la montagne, continue de grimper. »
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Paris, un jour de pluie
Il pleut ce jour-là à Paris et l'homme marche.
Pas comme les autres, les passants, les badauds, les étudiants du Quartier Latin.
Lui marche vers quelque chose, vers quelqu'un, peut-être. Il va son chemin, sa vie tient dans ses pas. Tendu vers le haut de la rue, au-delà du périphérique, au-delà de la campagne sage. Par-delà les champs.
Il échappe au monde alentour, les voitures, les gouttes d'eau sales, où va-t-il, on ne sait pas. Il s'échappe et le lourd sac dont son dos est chargé n'y fait rien : désormais plus rien ne l'arrêtera. Son indifférence est une insolence, il attire les regards fascinés et envieux. D'autres le prendront pour un fou, un vagabond, avec ce bâton de bois comme un prédicateur, ce coquillage rose accroché à son sac.
Peu lui importe, il n'est déjà plus là.
A mesure qu'il marchait, qu'il devenait pèlerin, le chaos prenait sens, doucement, le flou se dessinait des contours. Il suivait sa route, et la lumière se faisait. Le vieil ordre des choses s'effondrait dans un éboulis de pierres blanches sous ses chaussures de marcheur. (...) Il pouvait enfin (...) déborder les murs et les frontières intimes, prendre la poudre d'escampette et de la hauteur.Vue de la crête d'une sierra, la vie avait plus de gueule. (p 324)
(Isabel surnommée Babel, tenancière d'auberge, s'adressant à Mara, pélerin)
- Je te parle du chemin. De Compostelle. En marchant jusqu'à Santiago, et surtout, en faisant l'hospitalera ici, j'ai rencontré tant d'histoires inextricables, de pèlerins emmêlés... Et pourtant, on marche, on se parle, on s'épuise, on prie parfois. On se refile des pansements, des idées réconfortantes, des pommades miraculeuses...Le chemin de Saint Jacques, pour moi, c'est le vestibule des causes perdues...
(...) Elle avait raison Babel. Sur le chemin les causes perdues s'entrechoquaient dans un tintamarre étourdissant, comme les cloches au cou des chevaux dans les Pyrénées, elles se répondaient, tintinnabulaient pour s'appeler, se retrouvaient pour ne pas se perdre. (p 343)
- N'empêche tous tes bouquins, ça ne vaudra jamais le soleil quand tu marches, comme aujourd'hui. Quand tu lis t'es enfermé, t'es pas dehors, tu bouges pas, tu marches pas.
- Pas du tout, il y a des livres qui voyagent et d'autres qui te disent de partir.
Sans crier gare, un jour, le chemin prend fin. Peut-être parce qu'il faut laisser la place à d'autres. On arrive à Lavacolla en fin de journée, ce soir on dormira au Monte do Gozo, quelques kilomètres avant Compostelle. Compostelle, si proche, mais de nouveau on craint de se perdre dans les hautes forêts d'eucalyptus, de se blesser. De ne pas y arriver. Clotilde marche avec précaution, comme dans l'Aubrac les kilomètres compent triple. En haut de chaque côte, elle se hisse sur la pointe des pieds, dans l'espoir d'apercevoir la ville. Ses pas réglés sur son coeur qui bat la chamade.
Qu'est-ce qui marche sur quatre jambes le matin, deux le midi, trois le
soir ?
Le pèlerin.
Le pèlerin qui se traîne hors de son lit à l'aube, à quatre pattes à cause des courbatures. Qui, frais, dans la journée, se passe de son bâton, avant de s'en remettre totalement à lui comme un radeau le soir.