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Marc Mécréant (Traducteur)John Nathan (Préfacier, etc.)
EAN : 9782070394784
372 pages
Gallimard (23/01/1996)
3.68/5   156 notes
Résumé :
Recueil de 4 nouvelles, publié en 1977 : Gibier d'élevage (1958), Dites-nous comment survivre à notre folie (1969), Agwîî le monstre des nuages (1964), Le jour où Il daignera Lui-même essuyer mes larmes (1972).

Deux faits d'expérience personnelle marquent de leur empreinte les quatre nouvelles qu'on va lire : d'une part, la guerre et la défaite (Kenzaburo Oé avait dix ans quand, le 15 août 1945, l'Empereur d'essence divine s'est adressé à son peuple ... >Voir plus
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L'interpellation désespérée de Kenzaburô Ôé est à la fois inclusive et exclusive : parce qu'on ne sait pas qui à qui s'adresse ce titre « Dites-nous comment survivre à notre folie », et parce qu'on ne sait pas qui est désigné par cette deuxième personne du pluriel, tout doute semble permis jusqu'à ce que l'on comprenne que, derrière cette interpellation, se cache un étrange paradoxe qui demanderait à cette « folie » de devenir guérisseuse. Mais ce n'est pas tout, car la richesse des thèmes évoqués par l'écrivain excède souvent ses intentions et donne à ses récits un mouvement de progression graduelle dont on ne peut jamais deviner par avance l'achèvement.


« Dites-nous comment survivre à notre folie » est le titre d'une des nouvelles qui compose ce recueil composé de trois autres textes. Il est le plus dense, et peut-être celui dans lequel Kenzaburô Ôé s'est le plus investi personnellement. Narré par un homme obèse –qui ne le sera plus par la suite mais qui continuera à garder ce qualificatif- souffrant de relations paternelles et maternelles morbides, si inauthentiques qu'elles virent souvent au grotesque théâtral, l'introduction de la nouvelle se construit progressivement pour faire éclater enfin son sujet primordial : celui de l'enfant handicapé. Kenzaburô Ôé, lui-même père d'un enfant handicapé, semble profiter de la marge de liberté laissée par l'écriture pour décrire des relations si intenses –dans les bons comme dans les mauvais sentiments- qu'elles virent au pathologique. le mot n'est pas mal choisi : dans l'oeuvre de l'écrivain, le corps et la vie spirituelle sont étroitement enchevêtrés. Il n'existe pas un sentiment, pas une angoisse, pas un désir qui ne finisse par se matérialiser à travers les proportions d'un personnage, d'un détail particulier de sa physionomie ou de ses maladies. La fusion du père et du fils est ici décrite de cette manière ; la relation est si intense qu'elle excède le stade des liens abstraits et devient parasitisme voire cannibalisme


« Dans un ouvrage sur les poissons, il était tombé sur un article consacré au célatius ; le mâle de ce poisson, qui vit en eau profonde près des côtes du Danemark, est minuscule et reste constamment collé comme une verrue au ventre de la femelle, laquelle est énorme. Et l'obèse s'était pris à rêver que lui-même était un célatius femelle croissant dans les profondeurs marines avec son fils enchâssé dans son corps, comme le petit célatius mâle ; et cette rêverie était si douce qu'il lui était douloureux d'en être arraché. »


Cet enfant handicapé est également évoqué dans une autre nouvelle du recueil : « Agwîî le monstre des nuages ». Cette fois, le lien ne sera pas matérialisé puisque l'enfant est mort. Variation autour du thème : comment la relation pourra-t-elle prendre forme malgré tout ? Peut-elle évoluer malgré l'absence d'un de ses membres ? Et si oui, au prix de quelles tortures, de quelle culpabilité de la part du membre restant ?


L'enfance est décidemment un monde à part, qu'elle soit constitutive ou qu'elle continue à enseigner l'homme adulte sur lui-même, par le biais des derniers éléments de sa génération. Ainsi, « Gibier d'élevage » s'inspire de l'enfance de l'auteur, qu'il a passée reclus dans un village cerclé par d'immenses forêts. Dans ce lieu de vie quasi-autarcique, où réclusion et promiscuité catalysent les énergies les plus inquiétantes des habitants, un soldat noir américain, rescapé d'un accident d'avion, se lève parmi les débris de la machine. Terreur, fascination et curiosité acharnée se mêlent dans les réactions des habitants face à cet homme avec lequel ils ne peuvent pas communiquer. Parce qu'il ne parle pas, parce qu'il se contente d'être sans vouloir affirmer sa force face aux japonais, parce qu'il leur est physiquement étranger, il perd son statut d'homme et devient à peine davantage qu'un animal évolué. On peut le torturer, personne ne peut comprendre ses mots ; on peut le tuer, sa mort ne causera de tort à personne. Jouet humain tombé du ciel, puissant de corps mais relié à la vie par une existence sans substance, d'une faiblesse animale, il est l'élément perturbateur du village. Il vient le sortir de sa léthargie ancestrale, au prix de doutes et de tensions qui n'avaient jamais pu prendre forme jusqu'alors. Les relations entre les villageois se matérialisent en se concentrant sur ce seul homme, étranger à tous les autres.


Dans la dernière nouvelle de ce recueil, au titre aussi énigmatique de « le jour où Il daignera Lui-même essuyer mes larmes », les conséquences historiques de la Seconde Guerre mondiale –et notamment les bombardements de Nagasaki et d'Hiroshima- prendront forme sur la seule personne du narrateur à travers son développement d'un cancer du foie. A la manière d'un Fritz Zorn, Kenzaburô Ôé projette dans ce cancer tous les sentiments dévastateurs qui ont été les siens au cours de son existence. Plus seulement considéré comme une excroissance morbide, le cancer devient personnage significatif à part entière, aussi bien intégré au corps du narrateur que son enfant handicapé dans la nouvelle qui donne son nom au recueil. le cancer semble lui donner enfin la possibilité de s'exprimer avec une rage et une passion qui virent au tragique, si grandiloquents qu'on n'oserait jamais penser que se glisse là la moindre once d'exagération.


La défaite du Japon face à l'Occident lors de la Seconde Guerre mondiale, les bombardements nucléaires, l'enfance isolée à la campagne, la complexité des relations familiales, la maladie, la déchéance du corps… la seule évocation de ces thèmes suffit à donner une idée de la densité des propos de Kenzaburô Ôé. Densité qui ne devient jamais lourdeur, car l'écrivain les traite principalement par le biais de leurs manifestations corporelles. le corps permet d'exprimer la complexité des processus psychologiques et devient également support d'écriture. En usant de ses difformités monstrueuses et grotesques, de l'absurdité de sa composition et de son rythme propre –incontrôlable, anarchique mais aussi fabuleusement foisonnant-, Kenzaburô Ôé permet aux émotions et aux sentiments de s'exprimer avec intensité et pertinence.


« Il en était fermement convaincu : son foie, appelé à se muer bientôt définitivement en une sorte de bloc de pierre, fonctionnait comme un véritable haut-parleur au-dedans de lui et, tout en répercutant à plein volume les notes les plus hautes, expulsait de la musique émanée de ses viscères les dissonances produites par des causes essentiellement organiques. »


On retrouve cette musique inquiétante tout au long de la lecture des quatre nouvelles qui composent ce recueil. Musique grave et austère, mais qui se perd parfois dans des digressions fantastiques et d'autant plus monstrueuses qu'on ne connaît jamais par avance le stade ultime de leur développement…

Lien : http://colimasson.over-blog...
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« Dites-nous comment survivre à notre folie » est en fait un recueil de quatre nouvelles :

- Gibier d'élevage
- Dites-nous comment survivre à notre folie
- Agwîî le monstre des nuages
- le jour où Il daignera Lui-même essuyer mes larmes.

* « Gibier d'élevage » a fait l'occasion d'une parution dans la collection Folio 2€ (j'y ai déposé là-bas ma critique)

* Comment ne pas voir dans « Dites-nous comment survivre à notre folie » un récit hautement biographique. le protagoniste voit sa vie bouleversée par la naissance de son fils. Mais le jour tant attendu de cette venue au monde, son univers s'écroule subitement. Son fils présente une grave anomalie et sera handicapé mentalement. Dès lors, il va se couper du monde tout en essayant de communiquer avec son fils simplement en lui tenant la main. Petit à petit, il va s'exclure du reste de la société pour pouvoir rester au plus près de son fils, quitte à approcher dangereusement la folie. Beaucoup d'amour et de tendresse dans cette nouvelle, mais une certaine rage apparaît contre l'incompréhension et la gêne qu'engendre la vision d'un handicapé. le regard des autres pèse lourd sur ce père et son fils qui n'ont comme seuls plaisir et communion de se tenir la main, de faire de la bicyclette et de manger un bouillon d'os aux nouilles avec un pepsi-cola.

* « Agwîî le monstre des nuages » est certainement l'une de ses nouvelles les plus personnelles. Un homme, musicien d'exception, s'écarte du monde social, s'enferme petit à petit dans un univers à lui, proche de l'autisme. Son problème : il discute avec un énorme nuage que seul lui est capable de voir et de ressentir. On pourrait le croire fou, mais est-ce réellement de la folie que de communiquer avec des êtres extérieurs...parce que Agwîî serait en fait la simple image de son fils mort dès sa naissance. Depuis, il s'est créé un imaginaire dans lequel il semble incapable d'en sortir, un nouveau monde dans lequel il peut communiquer avec son défunt fils.

Agwîî, c'est la plus belle et la plus émouvante des 4 nouvelles. C'est celle qui me donne envie de poursuivre le chemin de l'auteur pour comprendre et expliquer la folie tel qu'il la ressent, lui qui y est confronté au quotidien. C'est celle qui me fait comprendre que je ne suis au final pas grand-chose, qu'il y a autour de moi des êtres que je ne vois pas et qui pourtant mériteraient qu'on les regarde et qu'on veille sur eux, des forces ancrées dans l'imaginaire mais qui pourraient se révéler bien réelles lorsqu'on y croit fermement.

* « le jour où Il daignera Lui-même essuyer mes larmes » : le narrateur passe ses journées allongées sur un lit d'hôpital. Il est atteint d'un cancer et va mourir d'ici quelques jours, quelques heures même. Il en est persuadé comme il l'est d'être malade malgré toutes les contradictions de son médecin. Les autorités médicales et infirmières le prennent pour un fou ; mais qui sont tous ces gens qui pensent mieux savoir ce qui se passe à l'intérieur de son propre corps ?
Lien : http://leranchsansnom.free.fr/
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Pour avoir lu et apprécié quelques livres de littérature japonaise, "Dites-nous comment survivre à notre folie" m'a littéralement tapé dans l'oeil, pour son titre d'abord parce que la folie, je la sens s'insinuer dangeureusement tout autour de moi, et peut-être en moi aussi, allez savoir. Et par l'illustration de sa couverture, qui dénote bien l'atmosphère de ces nouvelles. Vaporeuses comme la légèreté de ces petites fleurs. Déroutantes comme le regard en coin de ce jeune garçon.

Quatre nouvelles qui m'ont toutes perturbées en fait. Les sujets traités ? le style ? Je ne sais trop.

- Gibier d'élevage : relate la relation d'enfants envers un Noir emprisonné dans une cave d'une des maisons du village, la "mairie" ne sachant quoi en faire et attendant les ordres d'en haut.

- Dites-nous comment survivre à notre folie est l'histoire d'un obèse et de son fils handicapé mental, du lien qui les unit et de la découverte par le père que son garçon n'a pas nécessairement besoin de lui pour vivre.

- Agwûû le monstre des nuages : ma préférée. le narrateur obtient un emploi : servir de "nounou" à un prodige de la composition musicale qui s'est retranché dans son monde, affublé d'un ami imaginaire.

- le jour où il daignera... Un homme parle à son cancer ou à son infirmière. Lecture abandonnée car je n'ai rien compris.

Trop intellectuel pour moi.
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"Dites-nous comment survivre à notre folie », le titre m'avait frappé, mais ce recueil de quatre nouvelles de l'écrivain japonais Kenzaburo Oé est resté longtemps à m'attendre sur une vague liste de livres à lire. Ce n'est qu'après le décès de l'écrivain cette année et surtout après avoir écouté la très intéressante émission que France Culture lui a alors adressée ("Kenzaburō Ōe, écrivain abandonné ?" du 29/03/2023) que je me suis enfin décidé enfin à le lire.

Ces nouvelles publiées entre la fin des années 1950 et le début des années 1970, narrent des histoires fictives mais non sans liens avec la biographie de l'auteur.

Le livre s'ouvre sur « Gibier d'élevage », un récit à hauteur d'enfant (l'auteur a lui-même 10 ans à la fin de la guerre) qui aborde la séquestration d'un soldat ennemi, un noir américain dans un petit village japonais pendant la seconde guerre mondiale. Durant la captivité du militaire se tisse une relation paradoxale qui mélange fascination, racisme et une forme d'affection mêlée de méfiance. Un texte marquant et réussi.

Vient ensuite, « Dites nous comment survivre à notre folie » qui donne son nom à l'ouvrage : un texte touchant et un brin mélancolique qui parle du lien entre un père et son fils. La détection d'une anomalie de vision du fils et l'indépendance relative de ce dernier grâce à de nouvelles lunettes va briser le lien de dépendance qui liait de manière fusionnelle le père et l'enfant. Une nouvelle poignante qui ne peut que rappeler le lien de l'auteur avec son fils handicapé de naissance.

« Agwîî le monstre des nuages » raconte ensuite l'histoire d'un étrange job étudiant : un jeune homme est embauché pour accompagner et surveiller un compositeur dérangé. Dans un style très prenant, Oé nous parle de la frontière entre raison et folie, réalité et mirage, vie et mort. Un sans-faute.

La dernière nouvelle, « le jour où il daignera », est la plus longue mais aussi la plus difficile d'accès. Plus cryptique que les précédentes (mêlant souvenirs de la guerre et réalité déformée), je m'y suis globalement ennuyé pendant une cinquantaine de pages avant d'en cerner véritablement les enjeux et de pouvoir l'apprécier. Contrairement aux trois premières j'en garde un gout mitigé.

Les nouvelles de ce livre nous décrivent réalité dure, crue, grotesque, drôle et triste à la fois. Des thèmes récurrents comme la relation à la mère (immanquablement dure et autoritaire) et au père (absent ou incapable), le rapport au handicap, à la dépendance et le glissement vers la folie jalonnent le livre. Ce fut mon premier livre de l'auteur mais cela ne sera pas le dernier : l'écriture est limpide et j'ai beaucoup aimé la manière dont Oé nous raconte ses histoires à la première personne avec des protagonistes et des sentiments souvent équivoques mais qui n'en sont que plus intéressants. Pour les amateurs de podcasts : n'hésitez pas à vous faire une idée via l'émission de France Culture citée plus haut qui vous donnera un intéressant aperçu de cet auteur.
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Dites nous comment survivre à notre folie" est peut être le livre le plus bouleversant que j'ai lu." Ce n'est que maintenant que je suis sur le point de le finir, que le sens du titre m'apparaît pleinement, sans que je puisse pourtant l'exprimer ou l'expliquer. Ce sont quatre nouvelles, complètement différentes les unes des autres, dont le fil conducteur apparaît au fur et à mesure ,bien qu'il soit d'emblée évident qu'il s'agit de ....la folie.....mais tout au long , on se rend compte que c'est trop réducteur de s'en tenir à cette réponse. Dans la première nouvelle, racontée par un petit garçon, vers la fin de la guerre, dans un village isolé du Japon, il s'agit de l'"arrivée" d'un soldat noir américain dans ce village, en fait capturé après le crash de son avion. Il est retenu prisonnier dans le village, en attendant que les autorités de la "ville" décident de son sort. le petit garçon découvre un nouveau monde d'émotions, les siens, ceux de son père, son petit frère, les villageois. Ils les perçoit et décrit avec les yeux et les connaissances d'un pré-adolescent qui s'éveille à la vie de manière presque animale, où les sensations sont primitives, charnelles, voire parfois érotiques. ici, on "découvre" que les enfants ont une "psyché, une vision et une analyse très pointues et personnelles de ce qui les entoure. Ils ne sont pas émotionnellement passifs. Dans la seconde, le personnage principal, se retrouve dans un état d'esprit inédit, qu'il semble accepter avec plaisir, peut être après l'avoir longtemps recherché, et qui est le résultat d'un incident plutôt traumatisant( il a failli être "jeté" dans la fosse aux ours polaires dans un zoo). de là, l'"obèse" ( c'est comme ça qu'il est présenté tout le long de la nouvelle), évoque plus ou moins chronologiquement sa vie depuis sa relation désastreuse avec sa mère, son père disparaissant brusquement, mais surtout le chamboulement de sa vie après la naissance de son fils, handicapé mental. Il y est question d'un lien plus qu'intense entre le père et le fils, lien construit par le père,tant physiquement que mentalement jusqu'à l'aliénation , perçu uniquement par le père.....jusqu'au dénouement final....libérateur? . La troisième nouvelle est l'histoire d'un jeune homme qui raconte son premier job d'étudiant comme "garde" d'un musicien célèbre qui a un ami imaginaire, une sorte de poupon-kangourou. Ce dernier rend visite au musicien, à des moments précis, et le jeune homme est chargé de s"assurer que cette "apparition" ne pousse pas le musicien à se comporter de manière scandaleuse. L'ambiance est un peu similaire à celle des oeuvres de Haruki Murakami, une sorte de flottement dans un entre deux mondes, et c'est ce flottement, cette indécision entre croire et ne pas croire qui "perturbe le narrateur. Dernière nouvelle....la plus longue, la plus bouleversante, la plus intéressante, le bouquet final du livre, qui l'éclaire. C'est l'histoire d'un homme de trente cinq ans, alité dans une chambre d'hôpital, qui attend de mourir d'un cancer du foie. Au début, il est très difficile de comprendre de quoi il s'agit. Il raconte- ou pas- des souvenirs, -ou pas- de sa vie, crées ou réels, à une sorte d'exécutrice testamentaire, chargée de retranscrire mot à mot, ce qu'il considère comme une "chronique du réel". On apprend qu'en fait il ne souffre d'aucun cancer....l'écriture, avec le récit devient à chaque chapitre un peu plus conventionnelle, et on comprend petit à petit que cet homme, âgé de dix ans vers la fin de la guerre, a vécu des événements plutôt tragiques, qu'il a peut être transformés et expliqués à sa manière, déformant ainsi le sens réel de ce qui s'est passé ce 15 août 1945.J'ai toujours eu un peu peur d'entamer un livre de Oé, les sujets qu'il aborde ne semblent pas "faciles", mais pourtant, il y rend l'accès aisé, sans les simplifier, bien au contraire. L'impression à la fin de la lecture qu'il y a plus à creuser, à voir, à sentir.....à" ressentir" persiste longtemps. On se sent spirituellement grandi, et l'étroitesse de point de vue du quotidien, la notre, celle des autres devient insoutenable. Les descriptions - des lieux, ambiances mais surtout des sensations et des états d'âme- sont saisissantes, particulières, inédites pour moi, obligeant à lire très attentivement. Lecture dont il est très difficile de revenir.....une douleur exquise.
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Citations et extraits (49) Voir plus Ajouter une citation
A l’approche de la naissance de son fils, tout son corps avait été parcouru d’étranges spasmes dus à l’attente et à l’anxiété, au point qu’il ne pouvait rester une minute tranquille. A y repenser depuis, il avait le sentiment d’avoir compté sur la venue eu monde de se fils pour commencer une nouvelle vie, soustraite à l’influence de l’ombre de son père mort. Mais quand, très amaigri alors, il avait questionné fébrilement le docteur à sa sortie de la salle d’accouchement, l’autre lui avait répondu d’une voix neutre :
« Ton petit présente une grave anomalie. Même si on l’opère, je crains qu’il ne meure ou qu’il ne reste idiot - l’un ou l’autre. »
A cet instant, quelque chose en lui s’était brisée, irréparablement. Puis la présence de ce bébé voué à mourir ou à rester idiot avait très vite colmaté la fracture, comme le cancer s’installe à la place des cellules détruites et continue à proliférer.
[...]
Au jour limite pour déclarer le nouveau-né, il s’était rendu à la mairie de son quartier, où l’employée lui avait demandé quel prénom il voulait donner à l’enfant ; mais il n’avait encore aucunement réfléchi à la question. A ce moment l’opération était en cours, et l’enfant allait être sommé de choisir entre la mort et l’imbécillité : une telle existence mériterait-elle de recevoir un prénom ?
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Mère ! Cela remonte à la fin de mes années de lycée. C’est du jour où vous m’avez surpris en train d’essayer de me suicider que vous avez en somme pourri en moi la force morale de sauter comme un être neuf dans un monde tout neuf. […] C’était exactement comme si je m’étais fait prendre en train de me masturber ; comme si vous m’aviez dit : « Regarde un peu là ce singe qui se masturbe comme tu fais » et fourré sous le nez un singe en chair et en os en train de faire ça, un magot nain et répugnant, pelé, déformé par l’âge, dont seul le membre estropié, blessé au cours de batailles pour la suprématie aurait sans conteste conservé vigueur charnelle et conscience… Il vous était bien facile alors, puisque j’étais à votre merci, de m’accabler de honte, n’est-ce pas ?
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[Au zoo]
« « Tu m’entends, Eeyore ? Voir, c’est se saisir d’un objet en faisant travailler seulement l’imagination ! Eeyore, même si tes nerfs optiques étaient comme ceux de tout le monde, à moins de consentir à faire jouer ton imagination devant les grosses bêtes, eh bien, tu ne verrais rien du tout. Parce que, vois-tu, Eeyore, les sujets que le hasard met ici sous nos yeux n’ont rien à voir avec ceux que nous sommes habitués à rencontrer dans la vie quotidienne et que nous saisissons sans être obligés de fournir un effort d’imagination ! […] Eeyore, ce que tu viens de voir à l’instant, cette espèce d’énorme souche grise, c’était le bas d’une patte d’éléphant ; mais que sa vue ne t’ait pas frappé assez vivement pour que tu te dises : « Je vois un éléphant », il n’y a rien là que de naturel ; car pourquoi faudrait-il qu’un petit insulaire oriental possède de naissance la faculté d’imaginer les éléphants d’Afrique, hein Eeyore ? Maintenant, quand on sera rentrés à la maison, si on te demande : « Eeyore, as-tu vu l’éléphant ? » oublie toute cette histoire de souche d’arbre grise, fabuleusement grotesque ; ne pense qu’aux éléphants, si faciles à fréquenter, des croquis de ton livre d’images, et réponds seulement : « Eeyore a vu l’éléphant ! » Il reste que la souche grise, c’est l’éléphant réel, c’est vrai ; mais en définitive, de tous ces gosses normalement constitués qui grouillent dans le zoo, il n’est pas un seul –tu m’entends ?- qui, à partir de cette forme grise, de cette souche, et d’après la seule observation, fasse suffisamment travailler son imagination naturelle pour arriver à identifier l’éléphant réel ! »
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Une fois, très tard dans la nuit, avec sa petite tondeuse rotative, il s’acharnait à sectionner les poils de ses narines pour rendre aussi net de végétation que l’est celui d’un singe ce nez qu’à la verticale de deux jambes bien vivantes, il ne promènerait plus par la grisaille des rues mornes, quand tout à coup –évadé peut-être du service de psychiatrie de ce même hôpital, à moins qu’il ne s’agît simplement d’un fou passant là par hasard- un personnage anormalement petit et maigre, mais avec, barbue à souhait, une face de pleine lune pareille à celle du bonze Bodhi Dharma, s’assit sur le bord de son lit et, la bave aux lèvres, lui cria :
« E toi, qu’est-ce que tu es au juste ? Qu’est-ce que tu es ? QU’EST-CE QUE TU ES ? »
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Quand il avait commencé à s’apercevoir que le cancer se développant dans la cavité de son corps avec l’exubérance du malt en fermentation, il avait pris conscience qu’il se libérait peu à peu de toutes ses entraves, par le seul jeu de la nature et de son pouvoir. Et pour cela il n’avait nul besoin de se forcer à accumuler refus sur refus ; il lui suffisait de rester tranquillement allongé : même pendant son sommeil, le cancer qui l’habitait et lui ouvrait la voie de la liberté poursuivait imperturbablement sa croissance. Souvent, lorsque sa tête était brûlante de fièvre, non seulement ce qui, de la réalité, entrait dans le champ de son regard, mais aussi les formes créées par son imagination, lui apparaissaient comme voilés de brume, dans un espace au sein duquel son cancer prenait l’aspect d’hyacinthes ou de chrysanthèmes jaunes dont une faible lueur violette baignait les corolles épanouies. Dans ces moments-là et jusqu’à ce que la fatigue atteignît le centre de son cerveau, il respirait avec une concentration particulière et, rassemblant dans ses narines toutes ses puissances de sensation, il s’efforçait de percevoir l’odeur d’hyacinthe ou de chrysanthème de son cancer.
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