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EAN : 9782070128563
464 pages
Gallimard (23/09/2010)
3.5/5   2 notes
Résumé :
L'émergence au cours de la dernière décennie de nouveaux pays au rythme de croissance quatre à cinq fois plus rapide que celui de l'Europe au XIX.
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
« L'absence d'une théorie politico-économique viable tient au manque de réflexion systématique sur ce problème central qu'est la violence dans les sociétés humaines. […] le présent ouvrage propose un appareil conceptuel montrant comment, au cours des dix derniers millénaires, les sociétés ont exercé leur contrôle sur les activités politiques, économiques, religieuses et éducatives en vue d'endiguer la violence. » (P. 13)

Voilà comment, en deux phrases offertes au lecteur dès l'avant-propos, les auteurs de ce livre, grands pontes de l'Université américaine, se donnent comme ambition grandiose d'embrasser l'histoire de l'homme social, depuis la révolution néolithique jusqu'à nos jours. Lourde tâche que celle de Douglass C. North, John Joseph Wallis et Barry R. Weingast ! Autant dire que, fermé dans les mains d'un lecteur curieux de connaissances, cette somme de 450 pages prend des airs séduisants de bible des sciences humaines. Alors, peut-être aurais-je dû ne pas l'ouvrir, ce livre…

Comme le suggère le titre, le coeur de ce travail réside dans la notion de violence et, plus particulièrement dans le contrôle de cette violence mis en oeuvre par l'État à travers son réseau d'institutions. En passant rapidement sur les sociétés de chasseurs-cueilleurs, les auteurs dégagent alors dans cette perspective deux formes typiques d'ordre social, qui suffisent à donner un cadre conceptuel à la totalité des États du globe : « l'État naturel » (85 % des sociétés contemporaines) et « l'ordre social d'accès ouvert » (les 15 % restants). Ces deux formes d'organisation des sociétés se structurent autour d'un antagonisme reposant sur le couple conceptuel répartition des potentiels de violence/degré d'ouverture à l'initiative individuelle. Ainsi, le principe de l'État naturel tient dans le fait qu'une coalition dominante d'individus (qui incarne l'État) contient la violence en organisant la distribution de rentes économiques entre les puissants ; ce qui les dissuade d'avoir recours à la violence pour faire valoir leurs intérêts : la violence, certes contenue, y est donc diffuse et la liberté individuelle d'entreprendre est inféodée au bon vouloir de la coalition dominante. La situation est exactement l'inverse dans la forme de la société d'accès ouvert, dans laquelle l'accès à l'économie et à la politique est possible pour tout citoyen, alors que la violence procède d'un monopole légitime et encadré d'un État (merci Max Weber) dépersonnalisé qui est l'expression de la souveraineté du peuple (merci Jean-Jacques Rousseau). Au sein-même de ces deux idéals-types, les auteurs développent des typologies précises, établissent des caractéristiques communes, mettent en oeuvre des classifications abouties, etc. La démarche est louable, dans la mesure où, au-delà du choix méthodologique d'unifier des théories issues de différents domaines des sciences humaines, l'appareil conceptuel repose sur des articulations logiques qui, pour le moins, ne semblent pas échouer a priori à baliser l'étude des différents ordres sociaux. Mais, de toute évidence, la visée exhaustive et objective du début (peut-être utopique) a dû être abandonnée en route.

En effet, les limites conceptuelles du livre apparaissent sous les traits d'un surgissement inévitable de la subjectivité de ses auteurs – presque un aveu de faiblesse –, lorsque ces derniers, pour légitimer le passage de l'État naturel à la société d'accès ouvert autrement que par la magnanimité des dominants ou les aspirations universalistes du citoyen lambda, se voient contraints de postuler une efficacité optimale de principe du libéralisme. L'hypothèse fait ici office de vérité et les chantres du libéralisme le plus décomplexé de nous expliquer que l'ouverture économique et l'ouverture politique des sociétés sont les tenants interdépendants d'une conjoncture idéale, qui mêle prospérité et justice sociale. Les thèses développées sont tout à fait pertinentes lorsqu'il s'agit de rendre compte par exemple de la polarisation des pouvoirs parmi l'élite (sur ce point, le livre contient une analyse intéressante de l'évolution du droit foncier anglais) ou de montrer que toute rupture qui installe une société d'accès ouvert résulte d'une prise de conscience par les élites de leur intérêt à étendre leurs droits à une part plus large de la société (parce que, paradoxalement, cela permet de les garantir) ; mais, lorsqu'il est question de croyances communes et unanimement partagées en les bienfaits du libéralisme, ou du libéralisme comme source de “destruction créatrice” (merci Schumpeter) et donc, comme moteur du développement humain, le manque de rigueur dans l'argumentation est manifeste. En ce sens, le système proposé est partial.

Or, en tant qu'il repose exclusivement sur le contrôle de la violence physique, en faisant de celle-ci la grande oubliée des sciences sociales, il est également partiel. Quid de la violence symbolique qui, au moins depuis Bourdieu, est un pôle problématique majeur en matière d'étude des rapports sociaux, qui plus est des rapports régis par un cadre institutionnel ? Visiblement, c'est un champ d'étude qui n'a pas traversé l'océan Atlantique.

En définitive, cet ouvrage souffre de sa trop grande ambition. Pris comme une étude empirique du contrôle étatique de la violence physique et de l'organisation des rapports sociaux qui en découle, c'est un travail intéressant, dont les exemples historiques précis, parfois relativement exotiques, ne manqueront pas de satisfaire la curiosité du lecteur. Mais, pris dans sa dimension systémique revendiquée, c'est un double échec : à la fois sur le plan de l'objectivité et sur celui de l'exhaustivité.
Lien : http://blogqdcf.wordpress.co..
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Très intéressant ouvrage, clair et bien traduit, qui avance une analyse originale de l'émergence des pays développés en remettant en question les explications couramment admises et en partant de l'observation qu'un régime ne se maintient que s'il empêche la violence de se déchaîner en son sein.
Selon l'analyse des auteurs, la préoccupation de tout pouvoir est de donner à chaque faction capable de le menacer des privilèges qui leur fassent préférer la coopération à l'affrontement. Il s'ensuit donc que les Etats ne sont pas portés naturellement à être démocratiques.
Les premières vraies démocraties, Etats-Unis, Angleterre et France, selon eux, n'on émergé qu'au début du 19ème siècle. Elles ont été caractérisées par des institutions mais aussi par la croyance partagée, que chacun , sans discrimination y est libre de créer une organisation, politique comme économique. L'ouvrage, par des exemples historiques, montre qu'il s'agit d'une longue évolution qui, même dans ses étapes finales, ne correspondait pas aux priorités des élites de ces pays.
Le thèse se complète notamment par l'affirmation qu'une fois l'accès à la sphère politique et à la sphère économique ouvert à tous, un pays est plus fort et plus stable, la concurrence généralisée des citoyens étant le moyen le plus sûr de faire émerger au sein d'une société des solutions adaptées aux évolutions permanentes du monde extérieur.
J'en recommande la lecture, même si adhérer aux thèses des auteurs suppose(rait) d'abandonner bien des idées admises sur le développement économique, le fonctionnement des états, les apports des progrès techniques ...et bien que quelques développements historiques m'aient paru inutilement longs.
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
La compétition économique entre la Grande-Bretagne et la France influença elle aussi l'ouverture de l'accès. En 1856, la libéralisation de la loi britannique sur les sociétés permit la création de sociétés à responsabilité limitée par simple enregistrement. Jusqu'alors, certaines entreprises britanniques se formaient sur le modèle de sociétés française en commandite afin de bénéficier des avantages de la société à responsabilité limitée. Après cette date, la tendance s'inversa : c'étaient les entreprises françaises qui venaient s'enregistrer en Grande-Bretagne sous la forme de sociétés à responsabilité limitée. En réaction, le gouvernement français proposa, en 1863, une loi instaurant une nouvelle forme d'entreprise commerciale : la SARL, société à responsabilité limitée. (...) La SARL marqua un grand pas en avant vers l'accès ouvert. Les SARL, encore soumises aux réglementations restrictives établies par la loi de 1856 sur les sociétés en commandite, restaient difficiles à fonder. En juillet 1867, la forte demande de réformes conduisit à la promulgation d'une loi permettant la libre cration des sociétés anonymes par enregistrement : "Il s'ensuivit un essor immédiat de création de sociétés anonymes, qui passèrent d'une moyenne de 14 par an sur la période 1842-1866 à une moyenne de 219 par sur la période 1868-1878." Dans les dix années qui suivirent l'ouverture de l'accès aux formes sociétales, plus de 2000 sociétés virent le jour. L'accès élitaire aux organisations économiques, qui était jusqu'alors un privilège, devint un droit. La France avait enfin ouvert l'accès aux organisations économiques.
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Tous les Etats, y compris les ordres d'accès ouvert, font face à des demandes pressantes de création de rentes. Les dirigeants politiques sont tentés de créer des rentes pour renforcer leurs positions et faire barrage à leurs adversaires. Mais dans une société d'accès ouvert, ils en sont empêchés par l'ouverture et la compétition. A moins qu'un coup d'Etat constitutionnel ne vienne changer du tout au tout les règles du jeu, la création excessive de rentes par le parti au pouvoir donne à l'opposition un avantage compétitif : en termes économiques, il s'ensuit généralement des contraintes budgétaires et un déclin de la prospérité ; en termes politiques, l'opposition fait jouer le mécanisme schumpétérien pour lancer des campagnes efficaces contre le parti en place, coupable d'avoir épuisé les moyens de prospérité. L'ouverture de l'accès aux organisations favorise ce scénario, puisque tous ceux qui contestent les rentiers rallieront l'opposition dans ses efforts pour abroger les nouvelles mesures de création de rentes.
Ce scénario reflète le cercle vertueux de la compétion et de l'ouverture. Compétition politique et compétition économique se combinent : les gouvernements qui échouent à assure la prospérité et à fournir ds biens et des services publics sont sanctionnés par un ralentissement économique, une diminution des recettes fiscales, la fuite des effets mobiliers et la montée des partis d'opposition.
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Malgré les progrès réalisés par les sciences cognitives, il reste encore à déterminer l'origine des différents systèmes de croyances, leur flexibilité et leur interaction avec les organisations et les institutions. La plupart des changements qui affectent notre environnement sont sans précédent. Or les théories que nous proposent les sciences sociales sont fondées sur la conception d'un monde ergodique, répétitif et prévisible, où l'on ne peut que bricoler des solutions aux mêmes problèmes récurrents. Comment envisager les processus sociaux quand les hommes ont, au mieux, une compréhension limitée de ce qui leur arrive et sont pris au dépourvu par des expériences toujours nouvelles et des situations inédites qui appellent une prise de conscience de la nature dynamique du processus de changement auxquels ils participent ? Comment composer avec les problèmes inédits qui surgissent à l'heure où l'humanité imprime à son environnement une forme jusqu'alors inconnue ? Autant de questions dont nous mesurons l'importance, mais qu'il nous faut néanmoins nous résoudre à laisser en suspens.
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Le paradoxe du début du XIXème siècle est que des sociétés qui considéraient jusqu'alors les partis politiques et les entreprises comme dangereux, voire maléfiques, finirent par ouvrir l'accès à des partis politques de masse et à l'organisation des activités économiques, religieuses, éducatives et sociales sous la forme de sociétés ou d'associations. Il convient de réviser la thèse qui voit dans l'émergence de partis politiques concurrents et d'un accès concurrentiel aux organisations économiques au début du XIXème siècle une conséquence directe des idées du XVIIIème siècle. En Grande-Bretagne, en France et aux Etats-Unis, la transition proprement dite (les changements dans la structure des sociétés qui ont institutionalisé l'ouverture de l'accès politique et économique) a bien eu lieu au XIXème siècle, et non au XVIIIème
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Ainsi les auteurs décrivent deux systèmes économiques opposés : celui où il est possible pour chaque individu de s'élever dans la société par la création additive de richesse (ouvrir une entreprise, inventer un nouveau produit, créer une oeuvre artistique, fonder un nouveau media...), dans un jeu à somme positive, qui, finalement, produit la croissance économique au niveau global. Dans l'autre système, on ne peut s'élever dans la société qu'en parvenant à être parmi les rares à intégrer l'espace du pouvoir qui donne accès à la richesse, en pénétrant le cercle d'accès limité. Dans ces conditions, le jeu est à somme nulle ou faiblement positive, la croissance est faible, le développement de se produit pas.
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