« Si on ne crie pas vive la liberté
avec humilité
on ne crie pas vive la liberté
en riant,
on ne crie pas vive la liberté .
Si on ne crie pas vive la liberté
avec amour,
on ne crie pas vive la liberté .
Vous, fils des fils, vous criez
avec mépris, avec rage, avec
haine
vive la liberté ,
donc vous ne criez pas vive la
liberté !
Il y a une liberté véritable et
une liberté mensongère ,
mieux vaut être les héros de la
liberté véritable. »
Journal intime - Diario
Au crépuscule désolé
Il pleut et on n'entend aucune voix
Qui résonne dans les champs,
Mais un silence mortel
Sur les talus sombres et dans les aubépines, ou dans quelques
Prairies perdues. Pendant un moment.
Puis tu sais que le triste envoûtement
Qui t'assaillit ne doit
Rien au crépuscule qui maintenant tombe
Et s'assombrit tristement dans le ciel limpide
Quand, entre le murmure de l'eau en pure perte
On entend un clocher sonner la dernière
Heure du jour. C'est amour
Qui, loin des champs,
De talus à peine verdoyant
Et du soir même,
Conduit les sens, qui trompe
La pluie mélancolique.
Et si ma mère ferme
Soudain les persiennes, voici le soir
Qui chante de ses pluies si lointaines
Sur le toit de la grange,
Et ce rien de joie
Ce ravissement bien vain
S'est lui aussi perdu.
Ce n'est qu'aimer qui compte, et ce n'est que connaître,
Non pas d'avoir aimé, non pas d'avoir connu.
Car la vie d'un amour qui s'est éteint angoisse.
L'âme a cessé de croître.
Plus pure ici, dans sa calme
terreur - quand les soirs profonds
tremblent aux derniers bruissements, poétiques,
de simple vie - est la rencontre de l'angle des toits
de la ville avec l'obscurité du ciel.
Et des murs décolorés, de stériles
plates-bandes, de maigres corniches, mêlent leur mystère,
gai et familier, au mystère
dont le cosmos les imprègne. Mais ce soir
une averse s'abat soudain sur les inconscientes
rêveries du promeneur, et glace
son élan à travers la chaleur du cher
espace profané...
La place, comme une immense entrée, de pas sonores
parce que rares, de voix transparentes
parce que tranquilles, au milieu de splendeurs
d'humble pierre - entre ses angles
éteints ne tressaille plus; et, solitaires,
les voitures des puissants ne crissent plus
en efleurant le flanc du jeune paria
qui enivre la ville de ses sifflotements...
Une foule blême emplit l'air
d'irréelles rumeurs. Une estrade est là
au-dessus d'elle, couverte de drapeaux,
dont la lumière brune fait du blanc
un linceul, ternit le vert, noircit
le rouge comme de sang séché. Barbe d'épi sinistre végétal, vacille, cireuse,
en leur milieu la petite flamme fasciste.
La douleur, inattendue, me rejette
en arrière, comme si je ne voulais pas voir.
Mais avec des larmes qui décolorent
autour de moi le monde si vivant, le soir
sur la place, avance comme
désincarné au milieu de cette foire
d'ombres. Et je regarde, j'écoute. Rome
autour est muette : c'est le silence, à la fois,
de la ville et du ciel. On n'entend
pas de voix sur ces cris; cette chaude semence
que mai fait germer même dans la fraîcheur
nocturne, un lourd et ancien gel l'écrase
sur les murs précieux, devenus triste
comme dans lâme d'un enfant
angoissé... Et plus augmentent ici
les cris (et dans les cœurs la haine), plus vide
se fait autour le désert
dont l'habituel, le paresseux murmure
ce soir s'est perdu...
Sexe, consolation de la misère !
La putain est une reine, son trône
est une ruine, ses terres un bout
de pelouse merdeuse, son sceptre
un petit sac verni de rouge :
elle aboie dans la nuit, sale et féroce
comme une antique mère : elle défend
ses possessions et sa vie.
PIER PAOLO PASOLINI / UNE VIE VIOLENTE / LA P'TITE LIBRAIRIE