Blues pour Julie

Pierre Pelot est ce que l'on a coutume d'appeler un “auteur prolifique”. Il a écrit plus de 180 romans, dont beaucoup de livres de science-fiction. Il est remarquable que le lecteur ait quelque chose à retirer de chacun de ses ouvrages
.

Un des plus fascinants est sans conteste Blues pour Julie.

Il s'appelle Dague, Joël Dague. Il est venu trouver Vignault, l'écrivain, parce qu'il veut écrire l'histoire de Julie. Ils se sont connus tous trois dans ce village du Jura, où habite toujours Vignault, alors qu'ils étaient enfants, dans les années 40. Parler de Julie la Plus Jolie, écrire sur elle... Vignault accepte, conscient que « ce serait un combat ».

La toile de fond du récit est parfaitement prosaïque : c'est le village du Jura où habite Pelot-Vignault, avec ses habitants. Mais le livre est empreint de fantastique. La deuxième guerre mondiale est décrite comme une invasion par des extraterrestres : « Ils étaient venus d'un autre monde, et possédaient des armes folles : des armes aux pouvoirs inimaginables – des armes et des pouvoirs qui avaient fait leur office ». Il y a cette vieille femme qui porte continuellement un masque de plomb, le passé et le futur qui s'entremêlent sans cesse, et la réalité qui se délite autour de Julie...

Dague et Vignault vont travailler ensemble à l'histoire de Julie. Dague rend régulièrement visite à Vignault et lui parle de Julie pendant que l'écrivain prend des notes. Autour de Dague, le décor vacille parfois, perd de sa consistance. Il donne l'impression de ne pas évoluer dans le même plan temporel que Vignault. Celui-ci s'en rend compte le jour où Dague lui parle des arbres de la place du village qu'il a sous les yeux, alors qu'ils ont été abattus depuis plusieurs années.

Un jour, Jo Dague a su qu'il était né en prison. Que tous les vivants étaient en prison mais qu'ils n'en savaient rien, tant qu'ils faisaient ce que tout le monde attendait d'eux. Puis, il s'aperçut qu'il possédait la faculté de créer des mondes imaginaires dans lesquels ils pouvait évoluer. Il décida alors de retrouver Julie, qu'il avait aimée, et perdue. Elle aussi savait qu'elle était prisonnière, mais ne pouvait s'échapper. Il résolut de la sauver, avec l'aide de Vignault. « Vignault lui ressemblait étrangement, au point que Jo se demanda très sérieusement s'il s'agissait d'une projection de lui-même, ou lui-même, réellement, dans un futur réel... »

Julie est malheureuse et se débat dans un quotidien sinistre. Elle aurait voulu d'une autre vie, pas se marier avec le “sinistre con” parce qu'il faut bien se marier. « Ma mère était folle », affirme Mathilde, sa fille. « Elle était là, mais en même temps... ailleurs, je ne sais pas. » Elle et son père ne se rendent pas compte qu'ils ont eux-mêmes construit, sans en avoir conscience, les murs de la prison de Julie.

On retrouve dans Blues pour Julie le thème de la schizophrénie, que Pelot a également traité dans Mais si les papillons trichent*. Il affectionne les personnages révoltés, qui sortent du rang et refusent de se couler dans le moule qu'on tente de leur imposer. Parfois, leur seul moyen d'évasion est la folie ou le suicide.

Julie garde l'espoir que Dague viendra la délivrer. Il lui a envoyé un messager : une farouche jument grise. Seule Julie, qui lui a donné son prénom, peut l'approcher. Mais le cheval trop sauvage sera victime de la barbarie des hommes.

Écrire le récit de la vie de Julie sera une véritable épreuve pour Vignault. Chaque fois qu'il approche une vérité dans son enquête, les paysages se dérobent, les murs des pièces s'évanouissent, des personnages changent de rôle. L'écrivain créateur fait connaissance avec la difficulté de se confronter aux souvenirs réels, avec la douleur de prendre pour sujet de livre une femme qu'il a bien connue.

Pierre Pelot a dit avoir écrit là son roman le plus personnel : « Il n'est peut-être pas facile d'entrer [dans cette histoire], pas plus qu'il ne m'a été facile de la modeler... »


* paru sous le pseudonyme de Pierre Suragne