Mais le désherbage de l'âme est une tâche ardue. Car il ne suffit pas d'éliminer ce qui l'étouffe du dehors, il faut encore arracher la mauvaise herbe qui croît au-dedans : guetter les pensées perverses, empêcher qu'elles ne suscitent des mouvements de jalousie, de colère, de révolte, ou, pis encore, ne nourrissent toutes sortes de scénarios-catastrophes gonflés par le déploiement - ou le dévoiement - d'un imaginaire sans cesse en alerte pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Installer une garde vigilante au seuil des pensées pour tuer dans l'œuf les divagations d'un mental toujours prompt à s'égarer. Bref, arracher l'ivraie dès qu'elle surgit, éradiquer le Mal à sa naissance.
À tout moment, au jardin, l'envahissement menace. Il faut veiller à le juguler pour laisser le champ libre aux plantes amies. Mieux vaut consacrer tous ses soins aux bonnes herbes dont le jardinier s'occupe avec bienveillance: les binant, les arrosant, les taillant, les ramant, etc. C'est à elles que revient la priorité des soins. Car il importe davantage de valoriser ses qualités, d'épanouir ses fleurs et de mûrir ses fruits, que de s'épuiser à pourfendre ses défauts, à s'acharner sur des chiendents ou des liserons qu'on n'en finit plus de déraciner.
Mais il ne suffit pas que les graines poussent, encore faut-il que rien ne les étouffe, que la terre soit aérée et le milieu favorable. Or c'est là que le bât blesse. Tout jeune, déjà, l'air est pollué par une société qui ne fait rien pour aider les âmes à grandir, mais qui fait tout, au contraire, pour les racornir, les rapetisser. Et quand regarder la nature? La mésange qui prend son bain dans une flaque? Comment prendre un peu de temps pour le consacrer au jardin, aux fleurs et aux fruits? Sans cesse il faut se défaire du bruit qui nous submerge. On songe à ses insectes perpétuellement soucieux de leur toilette; le jardinage de l'âme exige pareillement une constante toilette pour en éloigner, au moins l'espace de quelques courts instants privilégiés, le tintamarre et les parasites qui l'assaillent.
Et il en va des mauvaises pensées comme des malentendus : ne rien laisser fermenter; régler à chaud les heurts et différends. Ne point laisser tomber la nuit sur sa colère, mais pardonner sans arrière-pensées à ses proches, à ses voisins et même à ses ennemis, qu'ils soient ou non eux-mêmes prêts à accorder ou à accepter le pardon. Exercice difficile, mais pourtant indispensable.
Dès la naissance le jardin à peine semé, commence la formation. Certains recevront une "bonne éducation chrétienne"... c'est une chance pour eux, mais attention: le mieux est souvent l'ennemi du bien. A trop forcer le danger est que les graines germent vite, montent en herbe, puis se couchent et périssent. L'erreur, ici, on l'aura compris, consiste à vouloir trop forcer la nature. Une bonne éducation s'apparente davantage à la culture "bio" qu'à la culture chimique. Elle fait appel au libre jeu des forces intérieures, judicieusement orientées mais non contraintes.
Rencontre avec Jean-Marie Pelt à l'occasion de la sortie de son livre "L"évolution vue par un botaniste".