Face à l'église Saint-Quiriace, croulante et
bancale, moussue, noirâtre, moisie, rongée par
le vent, la pluie, la grêle et le feu du ciel, la
maison de Mademoiselle Thérèse repeinte à
neuf de blanc et de jaune, brille dans cette gri-
saille universelle comme un tabernacle qui
abrite la gloire de Monsieur Mouton.
Gros comme un petit dogue, Monsieur Mou-
ton, que sa fourrure épaisse fait paraître encore
plus gros qu'il n'est, a de très grands yeux
jaune d'or pailletés de cuivre. Son poil est
rouge vif, moucheté d'orangé, tigré de marron ;
quand il le secoue à la lumière c'est du feu sou-
dain, c'est un flux de métal incandescent.
« Mouton couleur d'Angélus » dit Mademoiselle
Thérèse qui pense au plat, décoré du tableau
de Millet, « Mouton coucher de soleil, Jésus, que
tu es rouge ce soir mon gros, il va pleuvoir
bien-sûr. »
p.35
Extrait 1/2
C'était une sorte d'entente
désespérée qui revint souvent ; la fille et le chat
restaient alors à se fixer en silence pendant des
heures comme s'ils ne s'étaient jamais si bien
compris, et le temps se perdait comme s'ils
étaient entrés déjà dans l'éternité. Thérèse bri-
sait quelquefois de paroles ce silence qui deve-
ait un affreux consentement à la mort, et le
chat sursautait, clignait des yeux, plongeait ses
ongles dans les draps.
…
p.122
Extrait 2/2
« Mouton, mon beau Mouton, qui t'apporte-
rait à manger, qui te couperait ta viande, qui te
cuirait ton foie, qui saurait te regarder, comme
moi, quand tu prends tres repas avec tant de
gentillesse ?»
Car elle avait besoin de dire ces mots de
repas et de nourritures pour se raccrocher à la
vie, pour rentrer dans sa souffrance physique et
dans la conscience de soi-même, pour fuir cette
acceptation funeste qu'elle voyait au fond des
yeux jaunes du chat et qui la gagnait toute sans
qu'elle pût y résister autrement.
p.122-123
La fenêtre est restée ouverte par un beau soir
d'été ; Monsieur Mouton chante doucement sur
le coussin trône ; de l'église Saint-Quiriace vien-
nnent les bruits d'orgue, fluides dans l'air
chaud ; Mademoiselle Thérèse se rend à tant
d'amour :
" Mouton, mon joli chat, mon gros Mouton,
je voudrais être ta chanoinesse. "
Et confuse elle regarde dehors si personne ne
passe qui aurtait pu l'entendre peut-être….
p.50
Ce petit livre assez peu connu est une pépite
André Pieyre de MANDIARGUES – Un siècle d'écrivains : L'amateur d'imprudence (DOCUMENTAIRE, 2000)
Émission « Un siècle d'écrivains », numéro 249, intitulée « L’amateur d’imprudence », diffusée sur France 3, le 7 décembre 2000, et réalisée par Evelyne Clavaud.