Le titre vient de
Baudelaire, le roman est placé sous l'égide de Kafka, ses chapitres se font précéder d'exergues de
Sophocle ou de
Rilke (quand ce n'est pas le poète hongrois
Attila József ou l'écrivain autrichien
Jean Améry, Par-delà le crime et le châtiment), on a de l'Éluard et du Yeats dans le corps du texte, un prophète au moins est nommé (Ezéchiel), et la Bible est aussi invoquée par les Psaumes et l'Ecclésiaste (le Qohélet). Mais c'est une sorte de « Livre de Daniel » que le livre de Daniella. Ou encore, je provoque, imaginez un film (vous le visionnerez forcément en lisant, le texte, aussi éblouissant et étincelant – coruscant – qu'il soit, ne nous aveugle pas, il fait voir), un film dont les deux héroïnes, Emma et Blanche, usurperaient l'identité l'une de l'autre, useraient de perruques, voleraient des souvenirs, graviteraient autour d'un même homme, le magnifique Mehdi, et séduiraient de multiples (et abusés) anonymes. Car seul compterait ce miroir. Elles deux – ou elles une. Ce serait, tourné par
David Lynch, un Mullholland Drive encore plus énigmatique et qui confinerait au mystique, une blonde (tantôt brune), une Blanche qui se refuse à ce que l'Histoire écrive sur sa peau. Et pourtant. C'est un Mullholland Drive Est-Ouest (Budapest-Paris) où les boulevards
Lénine viennent tout juste de se renommer les boulevards de tel ou tel roi ou reine sinon chemins de la Liberté. Et pourtant. La faute aux pères, pour certains absents, d'autres vous inculquant des idéaux qui ne sont pas de ce monde, et eux aussi interchangeables. Des objets-fétiches, bribes d'héritage, des clés, des sacs, des lettres abondent et circulent entre les personnages comme une circulation sanguine commune. La solution viendrait des mères, en tout cas des femmes, mais quand ? Ces quelques touches pour vous dire, suivez
Daniella Pinkstein dès ce premier roman flamboyant, mais ne la croyez pas. Enfin, si, car la sincérité ici se donne jusqu'à la nudité des vérités les plus douloureusement absolues, mais ne croyez pas le début de paragraphe dans le chapitre 1 (il y en aura, épilogue compris, 11) : « C'est une histoire quelconque, dans un lieu commun. Une histoire ordinaire. » le démenti sur 174 pages dont l'originalité frôle parfois le délire ou l'extravagance. Un érotisme apocalyptique. le hasard en scénariste fou. Une acuité intellectuelle et politique (vous fleurirez là le tombeau de l'Europe). Et un style. Mais quel style ! Des images, des phrases d'une
poésie pure. Allez, je referme le livre et rouvre pour en recopier humblement quelques citations. Pour un cliché, c'est un cliché, je le risque à mes périls : on aimerait tout citer. Mais qu'est-ce à dire ? On aimerait recommencer la lecture,
Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ?, voilà, vous avez là un texte puissant qui gagne encore à la relecture.
Lien :
http://www.jewpop.com/cultur..