***** 5 mars 2021.... j'aurais préféré ne jamais ajouté cette note atroce.
Joseph Ponthus nous a quittés très prématurément en février 2021, ayant lutté très courageusement contre la maladie... voici un lien précieux pour signaler son dernier écrit précieux, hommage à
Henri Calet
voir lien : https://www.la-croix.com/JournalV2/inedit-posthume-
Joseph-Ponthus-2021-03-04-1101143671
"Je ne sais qu'écrire ma vie" de
Henri Calet - Préface de
Joseph Ponthus /
Presses Universitaires de Lyon , 2021 ]
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Une pépite totale sur un sujet pourtant abondamment traité, mais ce
récit a un ton, un rythme, une forme qui sortent de l'ordinaire, nous
prenant "aux tripes", littéralement" !
"Ce n'est pas du
Zola mais on pourrait y croire
On aimerait l'écrire le XIXe et l'époque des ouvriers
héroïques
On est au XXIe siècle
J'espère l'embauche
J'attends la débauche
J'attends l'embauche
J'espère
Attendre et espérer
Je me rends compte qu'il s'agit des derniers mots
de Monte-Cristo
Mon bon Dumas
"Mon ami, le compte ne vient-il pas nous dire
que l'humaine sagesse était tout entière dans ces
deux mots : Attendre et espérer ! " (p. 18-19)
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Je me suis décidée à lire ce premier roman en écoutant l'auteur à une
émission littéraire... Il a dû être convaincant pour un grand nombre
de lecteurs (dont moi-même !!)... vu le nombre déjà non négligeable
des "billets" des camarades ! et il semble que cela soit bien mérité vu
l'originalité du ton et de la forme, à partir d'une expérience personnelle de
travail en usine, qui abrutit et endort les individus !...
Je transcris un extrait de la dédicace, qui est déjà des plus significatives:
Une reconnaissance pour la richesse du quotidien partagé avec les
camarades, la solidarité des ouvriers dans une précarité commune,et le soutien des mots de la littérature et de certains chanteurs "à textes"...dans des univers de travail juste "infamants", intolérables... ce livre est...
"fraternellement dédié aux prolétaires
de tous les pays aux illettrés et aux sans dents avec lesquels j'ai tant
appris ri souffert et travaillé
A
Charles Trenet sans les chansons duquel je n'aurais pas tenu..."
Heureusement, notre auteur a la passion de la littérature, des textes
qui lui permettent de "tenir bon" , dans ces emplois "à la chaîne" qui épuisent mentalement et physiquement...les personnes, grignotent leur vie !!
Jeu de mots du titre... représentant doublement un terme lié à l'usine pour
dire "à la chaîne"... et le travail d'écriture de l'auteur....
La forme atypique du récit ne peut qu'intriguer, emporter ou freiner ! Pour ma part, j'y ai trouvé une musique, un rythme tout à fait prenants !
Poème en prose, sans ponctuation, allitérations nombreuses qui rendent excellemment la routine, la monstruosité des mêmes gestes mécaniques, uniformes...et une seconde de grâce dans ces enfers de l'usine, des conserveries de poisson ou des abattoirs: le souvenir d'une chanson ou d'un beau texte... et notre auteur-ouvrier s'envole dans le "baume" de mots magnifiques, qui l'aident à se sentir à nouveau, un Homme, à part entière !...
"Maman
(....)
Je sais que ma situation à l'usine t'inquiète même
si tu ne m'en parles pas de ne pas trouver de
"vrai" boulot d'avoir bientôt quarante ans d'avoir
fait des études tout ça pour ça
Je sais que tu as travaillé dur toute ta vie
notamment pour me payer l'école que tu as fait
énormément de sacrifices pour me permettre
d'avoir une bonne éducation ce qui est je crois le
cas
Peut-être pense-tu que c'est du gâchis d'en arriver
là à l'usine
Franchement je ne crois pas bien au contraire
Ce que tu ne sais sans doute pas c'est que c'est
grâce à ces études que je tiens le coup et que j'écris
Sois-en remerciée du fond du coeur (...)
Tout va bien
J'ai du travail
Je travaille dur
Mais ce n'est rien
Nous sommes debout
Ton fils qui t'aime" (p. 214-219)
J'avoue avoir appris un terme sans doute très connu, mais complètement ignoré de ma part, pour nommer "les pauvres" : "Les sans - dents " !! ...
direct , violent et imagé à l'excès ... comme l'est cet excellent roman,
successivement poétique, tendre, brutal, cru, terne comme ce quotidien dévorant de gestes toujours mêmes ,du corps qui fatigue, s'abîme.. mais surgit toujours un instant de grâce : un sourire, la plaisanterie d'un camarade, la clope savourée à la pause, les mots magiques d'une poésie, d'une chanson ou d'un texte littéraire, pour reprendre une goutte d'énergie, de suspens réparateur ...!
Je termine sans terminer ...ce billet avec ce passage très fort...Il ne peut y avoir de fin pour parler des "sans-dents", de la souffrance, de la pénibilité extrême de certains emplois, avec cette lancinante "précarité" qui abîme, épuise les individus...dans cette société en manque d'humanité et surtout de reconnaissance, de dignité dans le travail des personnes!
Cette lecture, en dépit de la dureté des expériences en usine de l'auteur, offre plusieurs lumières salvatrices : la vie, la lumière des paysages marins, l'amour de l'épouse pour laquelle l'auteur s'est retrouvé à Lorient, amputé momentanément de son travail premier , d'éducateur social, le courage et la solidarité des camarades , emportés dans la même galère que lui!
"Il y a qu'il faut le mettre ce point final
A la ligne
Il y a ce cadeau d'anniversaire que je finis de
t'écrire
Il y a qu'il n'y aura jamais
même si je trouve un vrai travail
Si tant est que l'usine en soit un faux
Ce dont je doute
Il y a qu'il n'y aura jamais
De
Point final
A la ligne "
(p. 262)
Une curiosité qui sera éveillée pour suivre avec attention cet écrivain original et percutant !