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Ce qui a été le plus marquant est la méthode que Rawls se propose d'appliquer pour mettre au point sa justice comme équité. Il s'agit de prétendre que réunir des personnes sans corps, sans peau, sans psychologie, sans âge, sans émotions ni sentiments, en un mot sans connaissance d'eux-mêmes, ni des autres, mais ayant les connaissances nécessaire en justice et économie, sachent s'accorder (car chacune aboutit au même résultat que les autres) par un raisonnement en quelque sorte "pur" (à la façon d'un ordinateur sans doute), sur la valeur première des prémisses proposées (et qui ne sont donc pas autrement justifiées). Il s'agit donc pour les lecteurs de s'accorder à penser que si un tel panel était réuni (dont il est dit qu'il est douteux que cela se puisse), celui-ci sélectionnerait les prémisses de Rawls parmi une liste proposée par lui. Cela ressemble à un choix imposé et à la méthode Coué : les lecteurs admettant la plausibilité de la fiction de Rawls justifiant la validité de ses thèses. Ce faisant, ni le lecteur ni Rawls n'ont à justifier leurs positions puisque ce sont des personnages imaginaires dont ils supposent ensemble qu'ils les justifient. Je n'ai pas saisi pourquoi Rawls ne proposait pas de faire lui-même l'expérience et pourquoi il ne revendiquait pas lui-même de la faire, sinon que cela l'exonère de justifier ses conclusions, bien arbitrairement énoncées. Dans l'ensemble, pour la première partie, il n'y a rien de bien fantastique, sinon que l'on reprend des phrases quotidiennes ou des pensées de tous les jours selon lesquels il faut que les riches et les puissants partagent et aident les pauvres et démunis (où il n'est pas indiqué ce qu'est un "don" de naissance ou en quoi les "défavorisés" se reconnaissent, ces données étant sans doute présentes dans l'imaginaire commun mais engageant une conception de la société bien tranchée - où il est également présupposé que l'on puisse mesure la quantité globale de satisfaction de la société puisqu'elle s'organise dans ce sens - sans que l'on ait de notions d'interactions avec l'extérieur ou les autres sociétés qui doivent bien en faire autant....). La "moralité" est elle aussi présupposée, sur des poncifs jamais remis en cause ni fondés mais énoncés comme des évidences indépassables - c'est pourtant là que se tient la difficulté justificatrice de principes de loi qui prétendent être justes tout en mêlant des considérations de l'ordre du "c'est bien", "c'est pas bien". Je n'ai donc pas du tout estimé le texte convaincant en quoi que ce soit qui reprend l'argumentaire de tant d'ouvrages matérialistes (il s'agit de distribuer les richesses et les biens primaires entre individus, les lignes sont bien rares sur le bien commun et ce qu'il pourrait être puisque tout ce à quoi la justice s'applique doit être par évidence partageable) qui reposent sur le "il me semble", "apparemment", "selon moi", "je ne vais pas détailler ce point", "il se pourrait que, mais je ne le prouverai pas", etc. ou encore les raisonnements par métaphores et images, les pseudo-expériences de pensée qui sont toujours des affabulations visant à rendre plausible par la création d'un scénario fictif ce que l'on ne se résout pas à démontrer. Très peu à extraire de ce texte sinon qu'il est sans doute écrit dans un contexte singulier dont il essaie de s'affranchir, puisqu'il est répété continûment qu'il faut s'opposer à l'utilitarisme. L'ouvrage en ce sens, se présente comme très progressif, ce qui laisse imaginer le type d'ouvrages auxquels il répond, mais justifie pour cela certainement, dans un contexte culturel donné, qu'on s'y intéresse.
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