... ce sont les cours de musées qui, en Provence et en Espagne, m'ont invinciblement attiré. Cimetières sans cadavres où quelques pierres font le mort, sculptées par endroits ou rongées, on ne sait ---, d'autres couvertes de cette fière écriture romaine qui semble être faite pour diviniser les mots et pour apprendre à lire aux siècles. Et tout cet abandon blond et gris, visité par les papillons et presque mêlé à la conscience végétale des herbes odorantes, forme comme un grand cadran solaire qui constamment offre à un riche oubli la somme de ses heures. En de pareils endroits, faut-il dire qu'on s'y attarde ? ... On y dure. Inoccupé en même temps et comblé, on se découvre une lente permanence de coeur, à l'abri des acquisitions et des pertes. p 38
Je me demande si la vie innombrable de cette capitale n'a pas ajouté à la liberté de son espace un élément d'extase ? Paris a su gagner, ravir son ciel. Ce bassin du Luxembourg, si vaste, si bien proportionné qu'il soit, ne paraîtrait-il parfois terne et restreint (comme tant de pièces d'eau dans des jardins ouverts au public), sans cette générosité aérienne qui met à la disposition de ce beau miroir un infini de transparente et changeante abondance ! p 31
J’ai réussi pendant quelque temps, puis, tout d’un coup, cet hiver, le français commençait à empiéter sur le terrain qu’il devait protéger. Un peu malgré moi j’ai fini par remplir tout un cahier de « vers » français qui ne sont pas (vous le devinez) bien avouables.
Oui, j’aime écrire en français, quoique je ne sois jamais arrivé à écrire cette langue (qui plus que toute autre oblige à la perfection, puisqu’elle la permet) sans incorrections et même sans d’insidieuses fautes. Une grande partie de ma correspondance se passe en français. J’ai pensé, de cette façon, de dégager l’autre langue de presque tout emploi qui n’est pas d’art et d’en faire la pure matière de mon travail verbal.
"L"heure grave"
Poème de Rainer Maria Rilke, chanté par Colette Magny