Je sais pas vous, mais moi en ce moment j'ai envie de lire, de m'évader et de rêver. Et justement (#Transition subtile), c'est de rêve dont il est question aujourd'hui avec le premier tome d'une trilogie young-adult signée
Mathieu Rivero, j'ai nommé Chimère Captive. Comment ça, c'est abrupt comme intro ?
Proposé au label Naos, collection commune aux trois Indés de l'imaginaire (ActuSF, Les Moutons électriques et Mnémos) dédiée aux adolescents, ce court récit nous embarque dans ce qui est déjà une Tempête de bonnes idées. On en parle ou vous râlez ?
[...] Chimère Captive nous narre l'histoire de Céleste, une jeune femme d'outre-mer tout juste arrivée à Lyon et qui, par un heureux concours de circonstances, se trouve colocataire de deux garçons : Mano et Val. Non, ne jetez pas ces regards grivois car de peines d'amour perdues il ne sera pas ici question. Ce qui va réunir ces trois personnages, c'est avant tout leur capacité commune à explorer les rêves d'autrui. A travers leurs explorations nocturnes, les trois comparses découvriront que dans le rêve comme dans la réalité, rien n'est vraiment simple.
[...] le talent de l'auteur s'exprime pleinement dans la description de l'onirisme. A travers une utilisation astucieuse des non-dits,
Mathieu Rivero parvient à retranscrire la sensation d'un songe éveillé.
Ici, l'auteur se livre précisément à cet exercice : rien n'est laissé au hasard, mais rien ne suscite réellement l'étonnement des protagonistes, qui connaissent la volatilité des rêves et leur caractère incertain. C'est extrêmement bien fait, et maîtrisé mesure pour mesure.
Cela est d'autant plus logique que l'on se situe dans un véritable univers d'urban fantasy, ce que je me sens contraint de vous expliquer avec un léger spoiler (ne le lisez pas si vous voulez conserver l'intégrité des retournements mentaux que l'auteur nous force à adopter) : si le roman se passe dans notre « monde », celui-ci admet bien plus facilement l'existence de la magie puisque les sorciers, avant d'être ostracisés (ou brûlés), parcouraient nos régions pour transmettre leurs connaissances et dispenser leurs remèdes.
En somme, les personnages ne sont pas heurtés par le caractère mystérieux ou inexploité de leur don, ce qui contribue à faire du roman un roman tranche de vie dans un univers urban fantasy. Pour ma part, c'est quelque chose que je n'avais jamais rencontré, et force est de constater que cela fonctionne très bien.
Mathieu Rivero développe dans Chimère Captive un univers riche sans ressentir le besoin de l'enrober artificiellement de luttes épiques et de combats séculaires, ce qui, avouons-le, est plutôt rafraîchissant.
Si la diversité des intrigues et des perches lancées peut parfois donner l'impression d'un roman trop dense, j'ai la conviction que cette surenchère participe de l'ambiance générale du roman qui emprunte au rêve sa dimension atemporelle et globalisante. le lecteur prend le récit en cours à plusieurs reprises, dans un rythme saccadé qui rappelle des tableaux successifs, une fois encore en écho aux songes.
En un mot comme en cent, l'originalité de l'univers est parfaitement mis en lumière par l'originalité de l'écriture qui emporte le lecteur dans un récit sensationnel (au sens strict) avant de le séduire par la richesse de sa mythologie.
Dans
Or et Nuit, j'avais parlé de personnages archétypaux, et on retrouve ici cette idée, tirée du théâtre (un thème fort, mais ce sera l'objet de la partie suivante). Les personnages incarnent tous une fraction des rêveurs. de Mano, qui voit dans la vie un rêve de mauvaise qualité à Val, dont l'imaginaire peuplé de cauchemars transparaît dans ses actions, chaque personnage a quelque chose à raconter… du moins, on l'imagine.
Car une autre grande force du roman, écrit selon un style que je qualifierai ici de « focal » est d'alterner les points de vue des personnages (jusque là rien de nouveau sous le soleil) mais autour d'un personnage central : Céleste.
[...] Et il est évident à la lecture de ce premier volume que l'auteur sait précisément le rôle que chacun devra jouer dans la partition générale de cette symphonie en rêve majeur.
L'aspect tranche de vie transparaît d'ailleurs parfaitement dans cette construction puisque chaque personnage se contente de traverser le récit, l'impactant de façon plus ou moins marquée, mais sans qu'à aucun moment le focus soit fait sur leurs actions, leurs désirs ou leurs motivations. Les situations s'enchaînent, alertent le lecteur et le happent, puis le laissent tirer ses propres conclusions.
Cette force permet à l'auteur d'appréhender une fin dans laquelle tout est bien qui finit bien (c'est un exemple, toute ressemblance avec une situation ou un récit réel est fortuite) sans que le lecteur n'ait l'impression d'être arrivé au bout de sa découverte.
[...] Comme pour
Or et Nuit, Chimère Captive donne le sentiment d'une double lecture possible, ce qui est particulièrement agréable, d'autant que le récit est ici estampillé jeune adulte (parfois prétexte à un traitement frivole et imparfait des relations et des intrigues).
L'un des éléments les plus concrets permettant d'identifier une double lecture potentielle est la puissance et la récurrence des références shakespeariennes (dont la chronique, ami lecteur, est d'ailleurs remplie si tu es joueur).
Les références au Songe d'une nuit d'été sont autant de ponts jetés vers une éventuelle anticipation des intrigues, ce qui titille l'imagination de l'amateur de théâtre. Mais outre les références « évidentes », le choix de certains procédés narratifs et de certains thèmes trahit une connaissance académique du plus célèbre des auteurs de théâtre anglais.
[...]
L'écriture, poétique et vaporeuse, emporte le lecteur dans une revisite de thèmes anciens et toujours aussi prégnants, ce qui représente, à mon sens, une qualité indéniable du roman.
So what ?
Chimère Captive est une réussite. Possédant un potentiel incroyable dans son intrigue et son univers, il se pare d'atours young adult pour séduire un public large qui saura, sans aucun doute, dépasser le premier stade du récit pour rapidement se tourner vers sa dimension puissamment évocatrice. Sans prendre le lecteur par la main, l'auteur emporte dans son sillage les convictions et les a priori les plus tenaces sur le genre.
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