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Henri Robillot (Autre)
EAN : 9782070295159
344 pages
Gallimard (26/11/1976)
3.32/5   14 notes
Résumé :
Monsieur, le Prince des Ténèbres, c'est Ophis, le serpent qui se mord la queue, l'anti-divinité gnostique, et l'enfer évoqué par Durrell est, comme celui de La Divine Comédie, concentrique. Six personnages y évoluent, trois par trois, reflets oniriques les uns des autres : Bruce aime sa femme Sophie, mais elle aime son frère Piers, d'un amour partagé. Et les deux hommes sont liés par un sentiment profond et ambigu. Leur tragédie se dénoue dans la région d'Avignon, ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Lawrence Durrell...
Le drôle de gars. le drôle d'auteur. Ou plutôt, le drôle de gars quand il est auteur. L'Anglais qui a vécu partout dans le monde, prof, diplomate, francophile.
Il a écrit un monument, le Quatuor d'Alexandrie, que j'ai lu dans ma jeunesse, sidérée, envoûtée par la beauté de son écriture (surtout dans Justine, la première du quatuor). Chaque phrase était une merveille. Quarante ans plus tard, quand j'ai vu ce Monsieur le Prince des Ténèbres dans une broc, j'ai pris. Voyons si l'enchantement tient encore.
On entre dans le livre comme dans le tome 2 d'encore un quatuor, non pardon, un quintet, alors qu'il s'agit du tome 1, comme si on vivait avec les personnages depuis un moment et qu'il nous contait la suite de leurs aventures. Bon, pourquoi ne pas se passer des présentations après tout.
Curieuse sensation aussi, c'est comme une accumulation de flashes, de phrases sans verbe, un rien bordélique. J'ai même fait des corrections dans ma tête pour rendre l'écriture plus fluide, et j'ai mis ça sur le compte de la traduction, mais allez savoir. Ça donne un côté ébauche à ce récit, un brouillon, une étude, qu'il va falloir élaguer car l'auteur n'est pas avare de lâchés emphatiques qui ne veulent pas dire grand chose. On est en Provence, autour d'Avignon et au domaine de Verfeuille, profusion de sensations provençales lancées comme ça pour le plaisir, des tableaux par les mots.
Dans ce décor, il y a des gens quand même, qu'on apprend à connaître par la bande. Bruce qui écrit. Bruce amoureux de Sylvie, mais aussi de son frère Piers. Leur ami écrivain Rob Sutcliffe, amoureux quant à lui de Pia la soeur de Bruce. Et un folâtre ami, Toby, avec son enquête sur les Templiers - et pour tout ce monde, un curieux lien nommé Akkab, le gnostique, qui les ouvre à cette non-religion dans une oasis du désert égyptien. Scène hypnotique peut-être écrite sous acide, ou malaxée de quât, c'est là son talent, à ce foutu Durrell, nous amener dans cet univers flou et nous y perdre en toute sensualité, l'espace d'un étrange instant.
"Toutes ces jolies femmes l'écoutaient, silencieuses comme des fruits, certaines en robe du soir, d'autres drapées de châles bariolés, toutes avec l'âme sereine comme une pomme."
Ce lâché créatif finit par composer une musique, assez enivrante, même si il y a de la facilité. D'accord, j'accepte. Où veut-il nous amener ?
Nulle part. On se prend la main, et on y va, si on le veut bien. Ou on saute des paragraphes pour en savoir plus sur les gens, parce que les beautés de la Provence, ça va cinq minutes... Alors, nos héros effleurés, que leur arrive-t-il donc ?
Piers crucifié par la gnose, Sylvie par sa triste folie, Bruce qui reste sur terre, cet Akkab qui envoûte son monde,
et on vire soudain dans un livre dans le livre. Rob Sutcliffe l'écrivain, ses amours fracassées, Pia qui l'a quitté pour une Américaine délurée à la peau d'ébène, son errance de dandy à la recherche de celle qui l'a abandonné (à lui-même ?) :
"A Angkor Var : Les deux faces colossales taillées dans le roc exsudaient ce calme éprouvant - le grondement du ressac céleste sur les rivages de l'esprit. Elle prit ma main et s'y cramponna. "Je suis terrifiée de joie, Rob".
Plus tard
Quelque part sous un plafond de bambou, cachée dans un décalcomanie coloré d'oiseaux tropicaux, là où les grands philologues festoient, peut-être m'attend-elle encore. "Chéri, dit la lettre, quel piège a été pour moi la Birmanie. J'ai l'impression que je vais devenir folle."
Plus tard
Le pauvre Rob est devenu le champion de l'attente sur les trottoirs vides, les quais déserts de gare, les abris d'autobus sous la pluie, les cafés désolés, les aéroports à minuit. "

Mais est-ce si simple ? Il dit "je", il dit "il", on ne sait plus. L'écrivain en déteste un autre qui rafle tous les succès, le conspue, conscient de son amertume. Il erre dans Venise, conscient du cliché véhiculé par la ville "clapotante". Il se tourne vers une inconnue rencontrée dans la rue, conscient que ça ne peut que rester sans lendemains. Moi, comme Durrell, je suis fascinée par les peaux bronzées, ambrées, métissées, qui donnent au regard un éclat surréaliste. Elle me plait, son Inca :
Venise. "Une jeune fille le dépassa, élégamment vêtue de velours noir avec une blouse de soie et autour du coup un foulard bleu turquoise qui accrochait l'oeil. Frappante plutôt que belle. Et rien d'étonnant à ce que ses yeux aient viré au citron vert dans son visage très bronzé. Un visage inca avec un nez épais à la base. Harmonieuse comme un paysage primitif, douce pluie bienfaisante sur un monde parcheminé.
Plus tard.
Elle était si bronzée, si musquée. Ils s'aimeraient d'un amour bronzé, musqué, plein de la science et de la sagesse du désenchantement, plein de la mélancolie du hasard, tout en souhaitant qu'il puisse durer toujours. Ses mains chaudes et intelligentes touchèrent les siennes. Quelque part dans la ville romantique et clapotante, des cloches se mirent à sonner, langues de la mémoire. Ils se tenaient tous deux assis, tranquilles, se contentant de respirer.
Plus tard
Il était stupide de se demander s'il était pas abusif de coucher avec elle dans ces conditions. Il succomba comme un somnambule. Quelle merveille de lui faire l'amour et pourtant... une fois au-dessous de la zone éclairée où les grands poissons écarquillaient leurs yeux, quelque part dans ce domaine s'élève le clic-clac, le classique déclic de la caisse enregistreuse de la conscience, de l'âme pensante obstinée."
Et puis Durrell devient drôle, avec un humour pur british totalement délicieux. Son héros "le grand homme", avec sa moue boudeuse, nous amuse avec ses considérations foutraques :
Venise. "Revenu sur les canaux il ne se souciait plus de l'existence de dieu, tant était prodigieux le coucher de soleil, élaboré et mis en oeuvre de façon si incroyable, si minutieuse qu'on pouvait en perdre toute raison. Imaginez les Vénitiens soumis à cette expérience insoutenable chaque soir de leur existence. C'était trop. Seul un daltonisme providentiel pouvait leur éviter de devenir fous. "Regardez, dit-il au gondolier qui le ramenait vers son hôtel, "Ché bello !" la main tendue comme un Ruskin surexcité. "Ché bello, espèce de taupe". L'homme promena un regard absent le long de la parabole décrite par la canne de Sutcliffe, haussa les épaules, émit un grognement et finit par admettre : "E bello, signore". le grand homme eut une bouffée d'impatience face à ce manque d'esprit. Je le savais, dit-il. Un daltonien".
Et cette description qui m'a fait exploser de rire, va comprendre : "La divine vieille duchesse de Tu m'écrit presque chaque semaine des lettres volumineuses dans lesquelles elle distille l'essence de son aimable et amorale philosophie du désenchantement. Elle fume de longs cigares verts et a joué autrefois du banjo dans un orchestre de jazz diplomatique."
Me suis souvenue alors que j'avais lu autre chose de Durrell : "Affaires urgentes", chroniques de sa vie de diplomate anglais en Yougoslavie dans les années 50. du pur loufoque bourré de cet humour so british, au point que je n'avais pas fait le lien avec le sensuel Quatuor amoureux d'Alexandrie. A présent je comprends mieux ce bordélique mélange des genres...
Dans "Monsieur", troisième partie, on est gentiment noyé dans les mises en abîme, les paragraphes d'un style un rien pompier, le non-récit alimenté de flashes assez drôle, encore, parfois incompréhensibles :
"En fait, Oakshot avait un regard bleu acier dont la fixité mettait mal à l'aise. Les gens qui battent trop des paupières sont inévitablement stupides et Oakshot n'était pas stupide. Un peu émotionnellement retardé peut-être, par manque d'expérience sexuelle. Depuis qu'il avait gravi l'Everest avec Tufton... la nuit on trouvait des sherpas dans son sac de couchage, et l'on ne pouvait rien faire. Ils souffraient tant du froid. Oakshot , ayant perdu un index pour cause de gel, avait dû renoncer à ses safaris au lion. Et merde pour lui."
Il se moque, sans doute de lui, puisque ce Oakshot est encore un écrivain décrit par un écrivain écrivant sur un écrivain parlant d'un écrivain et que Durrell semble ne pas prendre au sérieux l'engeance écriveuse, lui compris. Comme dirait la poétesse Anne Contri dans "Papier mâché" : il en est qui glapissent que la torture existe, que méchante est la feuille parée de blanche angoisse. Il en est des maudits mus de gluante poisse qui se tordent d'eux-mêmes en se hurlant Artistes".
Là-dessus, il se permet d'user et d'abuser d'adjectifs incongrus, enfilant de la phrase avec un plaisir gourmand, mais nullement dupe de sa supercherie.
Pfouh, oui.
N'empêche, pour des moments comme celui-ci, dubitative je poursuis ma lecture :
"Lorsque Toby buvait trop, il pouvait par exemple monter dans un taxi et crier au chauffeur "Suivez cette névrose !". Ou réciter du Byron, - car il se voit en Byron et s'adresse continuellement à un Fletcher imaginaire - mais cela se passe généralement au lit :
- Fletcher !
- Oui Monseigneur.
- Abjure.
- Très bien Monseigneur
- Fletcher !
- Oui Monseigneur
- Fais part de mes instincts les plus fournis à la duchesse
- Très bien, Monsieur.
Puis, se désignant : "je ne vois guère d'intérêt à être moi-même. Sutcliffe, ce vaste socle de chair et de cartilage britannique devrait être mis en laisse, il est criminellement ivre."
- Fletcher !
- Oui Monsieur.
- Par le cordon ombilical du Christ ressuscité, apporte-moi des tablettes de bicarbonate de soude.
- Très bien, Monseigneur."

...Avant de sombrer dans des morceaux disparates de notes et textes, morbides, à la manière des adolescents qui parlent de la mort avec emphase, des adolescents devenus vieux et qui mâchouillent le sujet comme pour l'amadouer, mais sans y croire vraiment.
Bizarre, ce livre.
Ai-je envie de retrouver ces personnages dans la suite de ce quintet ?
Eh ben oui, tout bien réfléchi. Par curiosité, pour savoir où finalement il voulait en venir. Et pour cette étrange musique, poignante par moments, drôlatique par d'autres. Une sorte de Condition Humaine servie sur un plateau d'argent avec a nice cup of tea et un nuage de lait.
Bizarre, ce livre.
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Je suis toujours surprise d'à quel point les romans du quintette d'Avignon sont méconnus et malaimés. Les auteurs anglais à avoir vécu en France et à lui avoir plus ou moins consacré cinq romans ne sont tout de même pas légion. Les intrigues sont un peu comme celle du Grand Sommeil : les acteurs de l'adaptation cinématographique ne parvenaient pas à la retenir. En même temps, ils sont un peu fous, un moyen pour Durrell de rejeter un certain nombre de conventions. Pour moi, Durrell, c'est au fond la nostalgie de son enfance à Corfou et mon roman préféré du quintette est « Quinx » (Quinte). J'entendais à la radio quelqu'un se demander pourquoi il y avait des gitans dans le quintette. D'une part, la Camargue n'est pas loin et surtout, la nostalgie de la liberté (chante et danse la bohème, ou mieux en allemand, « Lustig ist Zigeuner leben »). Mais la vie est ce qu'elle est et cela finit évidemment mal… Mais cela n'empêche pas les fous (Durrell L a été assez pour que son premier livre soit interdit en Grande-Bretagne) de rêver envers et contre le bon sens le plus évident.
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"Monsieur ou le prince des ténèbres" de Lawrence Durrell est le premier des cinq romans que "l'auteur a réuni sous le nom de le Quintette d'Avignon".

Comme le titre l'indique l'action se passe à Avignon qui est le lien entre tous les personnages du roman, la ville natale, l'origine, les racines, même si nous sommes invités au cours du roman à la quitter pour Alexandrie ou Venise.
"Dans un certain sens, nous nous attendions à être repris à chacune de nos absences.. Elle vous hantait bien qu'elle fût rongée de moisissure, décomposée parmi ses gloires passées, presque déliquescente dans ses effluences automnales. Nous l'aimions dans ses moindres recoins."
Grandeur et décadence, "ce pauvre village avait été Rome, avait été toute la Chrétienté. Il s'agissait, après tout, d'Avignon."

AVignon : " Une ville "endormie" qu'il aborde par une "nuit balayée par le vent" et qui l'accompagne dans ses déambulations, qui épouse ses états d'âme à tel point qu'elle paraît être la représentation matérielle des sentiments les plus intimes du personnage et devienne la métaphore de la mort...
Restant , d'un bout à l'autre, le reflet "de la fatalité et de la solitude"

Beauté opposite du paysage environnant, calme, impression de vie, de légèreté : "Dans ce lieu privilégié on peut voir de trois côtés les courbes et les méandres du Rhône creusant les rives de son lit dans les calcaires friables, sculptant en contrebas les paisibles flancs des collines. Un soleil pâle brillait sur le lointain horizon des contreforts des Alpes. Au pied de ce belvédère, une petite île ourlée de glace, comme un canard sauvage pris dans un piège de roseaux chargés de givre. La montagne de la Sainte Victoire se dressait au loin, martyr enchaîné à son poteau de glace"

Sentiments de bonheur qui, cependant restent fragiles, toujours sur le point de se dissiper

Par ce biais Durrell explore les méandres de la création littéraire, s'interroge sur le métier d'écrivain.
Exercice brillant mais une intrigue souvent interrompue par la mise en abyme, une sombre histoire de ménage à trois avec inceste entre frère et soeur,
Des ecarts liés aux divagations philosophiques d'une secte. Durrel s'intéresse, en effet, au Gnosticisme qui pense que le Mal a triomphé sur Terre et a remplacé le Bien, théorie qui ne peut mener qu'au suicide librement consenti.

Bref! Durrell avait décidé d'écrire un livre qui ne serait pas comme les autres et il y est parvenu mais ....

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S'il est vrai qu'on ne devrait pas lire un livre qu'on n'aura pas envie de relire, faut-il lire un livre qu'on doit relire?
"Monsieur" ne se révèle qu'à la relecture, après qu'on ait suivi tout le circuit de ce "quintette d'Avignon" (Livia, Constance, Sébastian, Quinte). Ces romans sont disposés en quinconce de miroirs et, pris ensemble, forment le roman du roman du roman par lequel on a commencé : dans "Monsieur", l'histoire qu'on croit racontée par l'auteur est un « roman » miroir écrit par un auteur à la vie compliquée qui, lui-même, est le double déformé du romancier célèbre qu'il ne cesse de vilipender, romancier dont la vie compliquée est en large partie l'objet de la série…
Les orgasmes métaphysiques de Constance me laissent aussi froid que ce personnage abstrait sur lequel tout finit par se centrer.
Malgré la gnose, j'avais aimé le "quatuor d'Alexandrie" et le jeu des regards entre les quatre. J'espérais que le "quintette" serait encore mieux mais quand j'ai relu (c'est-à-dire lu puisqu'une ligne sur deux se trouve dans les autres volumes) "Monsieur", j'ai eu la satisfaction intellectuelle de compléter un puzzle mais peu de plaisir.
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Un livre très sombre, très noir même je dirais, avec une écriture alambiquée difficile à suivre et des digressions philosophico-éthérées. Je me suis accrochée jusqu'à la page 150 mais j'ai laissé tomber...

Livre lu dans le cadre du challenge solidaire 2022.
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
On connait ce dicton chinois selon lequel chacun possède deux lieux de naissance, l'un matériel, réel, l'autre un lieu de prédilection, celui où l'on est psychiquement venu au monde.
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Depuis la venue du Prince Noir, tout avait dû être remis en ordre, réinterprété, remodelé, la totalité du réel par conséquent. Les Grecs disent: "Tout cela est mensonge, mais beau." Seulement la beauté est un piège. Nous disons: "Tout cela est mensonge, mais réel."
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"Mais le vent restait coupant comme l'acier, encore qu'un soleil anémié fit s'exhaler dans l'air quelques fugitifs effluves d'orange ou de thym."
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"C'est le truc le plus sensas depuis Cecil B. De Mille" dut-elle s'exclamer.
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