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EAN : 9782081310117
308 pages
Flammarion (07/10/2015)
3.81/5   8 notes
Résumé :


A l'heure où l'on débat du contenu des programmes d'histoire à l'école, où l'on voit fixé par la loi ce qui doit être commémoré, Shlomo Sand s'interroge : tout récit historique n'est-il pas idéologiquement marqué ?

Les sensibilités politiques et la puissance des Etats ne pèsent-elles pas démesurément sur la recherche en histoire et sur son enseignement ? Et, dans ces conditions, peut-il exister une vérité historique moralement neutre ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Les faits ne détiennent pas de significations en eux-mêmes, et constituent des séries chronologiques vides

« L'ambition de ce livre serait d'être un résumé provisoire de mes rapports plus que quarantenaires avec l'histoire ». L'auteur ajoute : « L'«action » est déroulée et restituée selon un axe biographique personnel établi en fonction de temps forts successifs. le « je » qui apparaît » dans ce contexte rompt volontairement avec les marques de l'objectivisme prétentieux que l'on trouve encore dans la plupart des ouvrages de l'histoire « scientifique ». »

Dans son introduction, Shlomo Sand parle, entre autres, des anachronismes, des influences « le mot « influence » et le verbe « influencer » n'expliquent rien », de connaissance du contexte, de « progrès », de « science », du regard projeté vers l'avant… « La réduction des perspectives d'avenir projette, probablement, des ombres noires, et qui s'allongent, sur un passé instable et évanescent, et dont il apparaît, de plus en plus, que l'on n'a jamais réussi à la décrypter convenablement »

Alors que « la braise est toujours latente, qui alimente le passé, aussi antique que récent, et le transforme en récit patriotique », l'auteur écrit ce livre pour se laïciser, se délester de ses dernières illusions professionnelles…

Le livre est divisé en quatre parties :

Défaire le mythe des origines

Echapper à la politique ?

Sonder la vérité du passé

S'éloigner du temps national

Shlomo Sand conteste le temps linéaire, l'arrogance des visions euro-centrées, le présent forcément supérieur au passé, la représentation des continuités des espaces. Il souligne, entre autres, l'importance de l'invention de l'écriture, les différences entre civilisations hydrauliques et sociétés méditerranéennes, l'invention de l'Antiquité de l'Europe par les hommes De La Renaissance, le caractère éclectique des cultures… A l'encontre d'un enchaînement ou de continuités entre sociétés, l'auteur parle « d'un ruissellement et d'une acclimatation inédite de fragments de culture matérielle et intellectuelle qui sont venus féconder de nouveaux espaces ». J'ai notamment apprécié les analyses sur les différences agricultures, la mise en place de la société féodale, l'urbanisation et la division du travail. L'auteur rappelle la place incontournable des « musulmans », « les véritables porteurs de la science et de la culture du passé méditerranéen étaient les musulmans, principalement ceux d'« Espagne ». »

Il souligne que la périodisation linéaire, « antiquité », « moyen-âge » et « temps modernes » a été inventé aux débuts de la « renaissance ». Qu'il n'y a pas de continuité dans le sens des mots « démocratie », « république » ou « citoyen », que le sens des mots « varie » à travers l'histoire et qu'il est « insolite d'envisager le Nouveau Testament, plus encore que l'Ancien comme un livre d'histoire », cette remarque vaut je crois pour tous les écrits religieux mais pas seulement. L'auteur parle d'invention du passé, de focalisation sur des événements politiques à très court terme, de « temps bâti et idéologique », des appropriations de temps « n'ayant pas véritablement appartenus aux Européens » et parle de mythistoire « blanche »… Il y oppose le nécessaire effritement et la dynamisation de « la périodisation conventionnelle afin de lutter contre l'endormissement général des gardiens assermentés du passé au sein de l'establishment du savoir présent »,

Dans le second chapitre, Shlomo Sand revient en détail sur l'école des Annales, la « nouvelle histoire », les décalages entre temps mental et rythme de développement des techniques et rapports sociaux, l'absence des cultures populaires, les relations hypothétiques entre causes et effets, les premiers pas « en mentalité », les catégories et les classements anachroniques, la neutralisation des dimensions conflictuelles, la sacralisation de « réalité », l'histoire des couches dominantes, « les femmes laborieuses étaient encore plus muettes que la plupart des hommes muets », les nations comme phénomènes de « temps court », l'invention d'une mémoire nostalgique et les récits nationaux, l'oubli et les processus de mémorisation, les passés imaginaires « épuré et indolore », les inventions de mythes fondateurs et de symboles sacrés, la place de l'école dans la transmission du « sceau de la vérité officielles sur les récits héroïques du passé »… « Les historiens et les chercheurs sont à la mémoire nationale ce que les cultivateurs de pavot et les dealers sont aux consommateurs de drogue : ils fournissent l'essentiel de la marchandise » (la paternité de cette image revenant à Erc Hobsbawn indique l'auteur).

L'auteur souligne l'apparition de contre-souvenirs, l'émergence de mémoires dissidentes, liées aux luttes des Afro-Américain-e-s, des peuples colonisés, des femmes et du féminisme, des « composantes de la mémoire douloureuse des autres »… et rappelle que « si le monopole de la vérité ne saurait être délégué aux historien-e-s, il ne saurait encore moins revenir à l'Etat ».

Shlomo Sand analyse la construction des récits, « l'histoire comme genre politico-littéraire », l'histoire écrite « d'en haut » fondée au sein des couches dominantes, religieuse ou laïques, les concepts globalisants trompeurs, l'évocation « des peuples et des nations qui n'existaient pas réellement », l'histoire comme discipline professionnelle, la création de passés historiques compacts, le « pouvoir magique des faits », l'imaginaire « scientifique »… Il insiste particulièrement sur l'invention des peuples, de passé collectif commun, de territoire national distinct, d'identité nationale et d'attachement à « la grande patrie », sur les constructions « d'une ethnicité fictive », de « nation éternelle »…

L'auteur parle aussi de « mythistoire des territoires nationaux », de passé collectif imaginaire et homogène, de « noeud gordien entre la « science » de l'histoire et la nation », de souvenirs et d'oubli…

Shlomo Sand analyse les représentations du passé au masculin, les historiographies nationales, parle de remise en cause de la narration historique traditionnelle et de doutes, « le passé du doute lui-même a aussi son importance ; et son histoire pourrait bien nous aider à décrypter ses caractéristiques actuelles ! ». Il souligne la naissance d'un « relativisme historiographique », discute de « l'illusion de la vérité historique », des mensonges agréés, de fonctions mémorielles, de subjectivité des faits, d'hypothèses vraisemblables, de résultats temporaires, de discours de pouvoir, de fiction littéraire, d'explication historique « jamais normative, mais seulement causale et hypothétique », d'éventualités, de la place de l'imaginaire pour atteindre le réel, de l'histoire comme scène du crime, de la relation instable entre langage et réalité, d'isolationnisme ethnocentrique, de relation entre l'histoire et construction d'identités collectives imaginaires…

« La meilleure histoire sera celle qui, non seulement dévoile les rapports de force existant dans toute société, mais aussi, celle qui n'ignore pas que les voix multiples venant retranscrire le passé ne seront jamais sur un pied d'égalité »

Je n'ai volontairement pas cité les noms des auteurs étudiés, certains me sont familiers, d'autres moins ou pas du tout. Et dans ce cadre, je souligne les percutantes lectures de l'auteur. Reste cependant que celui-ci sous-estime, me semble-t-il, les effets matériels des constructions imaginaires.

Il n'est pas besoin de partager le détail des analyses de l'auteur pour apprécier les facettes les plus incisives de ces développements. Contre l'histoire linéaire, le progrès, les continuités rétrospectivement inventées, les transpositions anachroniques ou a-historiques, les mythes, les analogies sans fondements, les ambitions « scientifiques », il convient à la fois de situer son point de vue, contextualiser et historiciser les événements ou les faits, mettre à jour les bifurcations, les voies non parcourues, les contradictions, les possibles… Et ne jamais en rester aux visions des dominants et des vainqueurs…
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Un essai très intéressant sur l'histoire de l'histoire en tant que discipline, et l'évolution de ses conceptions depuis Hérodote, dans le cadre d'une réflexion sur la scientificité de la discipline. L'auteur la met en doute, ainsi que l'existence d'une vérité objective. Sur ce dernier point, je serais tenté de citer Steven Pinker : la vérité existe, je ne la connais pas, et vérité existe, mais je ne la connais pas et vous non plus. Mais il est vrai qu'elle est inatteignable en partant de sources qui seront forcément lacunaire. Sand consacre le couplet obligé à la déconstruction du roman national et à l'idée partiellement fausse au moins pour la France de la construction des identités nationales au XIXeme siècle seulement. L'insistance qu'il y met est cela dit bien naturelle de la part d'un Israëlien progressiste. Dans ce pays en effet le roman national n'est autre que la Bible prise comme un document historique, ce qui légitime la spoliation des Palestiniens.Sand a consacré à la question deux livres passionnants dont les titres parlent d'eux-mêmes. "comment le peuple juif fut inventé" et "comment la terre d'Israël fut inventée". Il y fait allusion dans le présent livre à titre d'illustration et je renvoie les curieux à ces ouvrages passionnants?
Cela dit, il apparaît à plusieurs reprises que Sand a quelques lacunes en Histoire de l'Europe et particulièrement en Histoire de France. Cela est tout à fait excusable : il a fait ses études en Israël où la matière est très peu enseignée.'Il a certes été chargé de cours à l'école des hautes études en sciences sociales, mais pour un cours d'histoire des idée politiques, dans la lignée de sa thèse sur Georges Sorel.
Mais certaines choses m'ont un peu agacé. Par exemple, il écrit que Voltaire s'est " procuré un titre de noblesse" alors qu'il avait simplement adopté une particule de courtoisie, et qu'il aurait vécu " sous la protection d'un puissant marquis" alors qu'au contraire le Marquis en question, ruiné, vécut de nombreuses années aux crochets De Voltaire en qualité de mari complaisant de la maîtresse de ce dernier, Émilie du Châtelet.
C'est un détail, mais, pour une fois, une vérité objective.
Là je pinaille. Il s'agit d'un excellent livre, un peu technique certes, même si on peut prendre du recul avec certaines de ses conclusions.
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Livre extrêmement enrichissant !

Déroutant au départ pour un ignorant total du monde des historiens et de l'historiographie. Mais en s'accrochant un peu, on y voit petit à petit plus clair, et on appréciera le sujet et les ambitions de l'auteur. L'aspect transversal (référence philosophique, sociologique, anthropologique..) et généraliste de l'ouvrage est très intéressant, tant l'auteur nous aide à revenir sur les fondements même de la pratique de l'histoire et de son étude, et non pas sur des détails qui auraient pu nous perdre.

Pour un débutant comme moi, on se souvient de nos quelques cours d'histoire à l'école et on en vient à se demander : pourquoi ne nous parle-t-on jamais d'historiographie, de l'histoire de l'histoire ? Pourquoi n'a-t-on jamais parlé de la manière de faire de l'histoire ? Ou encore évoquer une possible (ou certaine?) subjectivité des programmes/historiens sur certains pan de l'histoire ?
Rien de tout cela, à la place on essaye simplement de fixer en nous quelques repères subjectifs.
Cet ouvrage nous propose de revoir tout cela et de développer une vision moins linéaire mais plus global et plus souple du temps et de l'histoire. Dans laquelle le recul et les pincettes sont à prendre, parfois face au manque de source, de clarté dans les évènements ou simplement face à notre propre subjectivité. Il évoque aussi les erreurs de certains historiens et plus largement les difficultés souvent inerante à la discipline (Comment parler d'histoire objectivement ? Comment avoir un réel aperçu d'une époque lorsque les sources ne viennent que d'une certaine classe social ? Comment y voir plus clair lorsque les romans nationaux se fondent sur des mythes/religions/raccourcis ?)
L'histoire est bien plus complexe qu'une simple suite d'événements "marquants" s'enchaînant en toute logique les uns après les autres.

Les citations et références de l'auteur sont très pertinentes et nous invites à faire quelques recherches et/ou lectures supplémentaires pour les plus curieux. Il appuie ses propos d'exemples fort intéressant et précis (notamment la fausse continuité entre l'Antiquité gréco-romaine et l'Europe ; le mépris des civilisations orientales par l'histoire "traditionnelle" ; la mauvaise utilisation du concept de progrès ; etc)

Bref, cet ouvrage m'a ouvert à une autre façon de voir l'histoire, tant la discipline elle même que la notion du temps qui passe. Plus de prudence, de détachement, d'ouverture, moins de simplisme, d'egocentrisme et d'appropriation.
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Cet essai a pour principal objectif de faire l'histoire de la façon dont les historiens ont considéré leur discipline, son statut, son rôle, son potentiel, ses limites. Très documenté, il fait en quelque sorte l'histoire de l'historiographie, soit une histoire au cube assez méta... Pour ceux qui ne s'intéressent pas trop à L Histoire comme discipline, passez votre chemin. Pour les autres, et surtout pour les amateurs de sciences sociales en général, le livre résume bien l'évolution du statut de ces disciplines, et des limites quant à leurs résultats du fait d'un biais idéologique particulièrement fréquent.
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
La réduction des perspectives d’avenir projette, probablement, des ombres noires, et qui s’allongent, sur un passé instable et évanescent, et dont il apparaît, de plus en plus, que l’on n’a jamais réussi à la décrypter convenablement
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la braise est toujours latente, qui alimente le passé, aussi antique que récent, et le transforme en récit patriotique
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les véritables porteurs de la science et de la culture du passé méditerranéen étaient les musulmans, principalement ceux d’« Espagne ».
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La meilleure histoire sera celle qui, non seulement dévoile les rapports de force existant dans toute société, mais aussi, celle qui n’ignore pas que les voix multiples venant retranscrire le passé ne seront jamais sur un pied d’égalité
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Les historiens et les chercheurs sont à la mémoire nationale ce que les cultivateurs de pavot et les dealers sont aux consommateurs de drogue : ils fournissent l’essentiel de la marchandise
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Vidéo de Shlomo Sand
Comment imaginer le futur d'Israël et de la Palestine après le massacre du 7 octobre et les bombardements qui meurtrissent depuis la bande de Gaza ? L'idée d'un État binational est-elle définitivement devenue obsolète dans chaque camp ?
Pour en parler, Guillaume Erner reçoit : Shlomo Sand, historien israélien Alain Dieckhoff, sociologue
Visuel de la vignette : Ólafur Steinar Rye Gestsson/ Ritzay Scanpix / AFP
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