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EAN : 9782355261695
170 pages
Nouvelles Editions Lignes (10/04/2017)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
La question d’Israël : un sujet en effet « sensible ». C’est pourquoi il fallait un livre d’inspiration progressiste (l’auteur dit : « ouvrière ») à la fois raisonné, instruit et senti.
Il est clair qu’au sujet du nom « Israël » bien des prises de position sont crispées, parce qu’irrationnelles. Qu’un nom soit noué à des affects, rien de plus normal, de plus commun. Mais que les affects prennent le pas sur les raisons, c’est à l’évidence dommageable, en premi... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Scruter des mots et des secrètes anfractuosités des textes


Ivan Segré est un philosophe et un talmudiste, deux domaines où mes connaissances sont limitées, et encore plus pour le second. Par ailleurs, je n'ai pas un regard aimable sur Alain Badiou qu'il cite ou critique (Comment oublier l'Albanie, les exactions rouges culturelles, le génocide des khmers rouges, etc ?).

C'est aussi un conteur remarquable. Il convient de lire attentivement sa vision du film Triple 9 de John Hillcoat et le récit concernant son oncle Victor – et son « irrémissible étrangeté » – pour être pris-e dans une mise en abime intellectuelle…

Que la lectrice ou le lecteur partage – ou non – ses analyses ou ses conclusions politiques, elle et il seront entrainé-e-s à interroger les racines des faits sociaux étudiés et leur transcription en mots. L'auteur propose en effet une plongée radicale, dans les mots et les sens ; une forte incitation à refuser, les simplismes, le noir et blanc, les habits des pingouins de l'universel…

Reste que pour cette invitation à penser la complexité, interroger l'histoire et la politique, les prêt-à-penser sous redingote, l'auteur aurait gagné à expliquer à partir de quel point de vue situé il s'exprimait, l'avertissement et le prologue ne suffisant point.

« Si le sous-titre du livre précise le domaine d'investigation, son titre est en revanche plus énigmatique. Mais il suffira au lecteur de garder à l'esprit que le « sioniste » que j'étais, vêtu de noir et blanc dans Jérusalem enneigée, n'était peut-être pas sans ressembler, vu de loin, à un pingouin… Restait à s'approcher davantage, jusqu'à pouvoir distinguer l'homme de l'animal ».

L'auteur revient sur un dialogue entre Jean-Claude Milner et Alain Badiou, je souligne une phrase de ce dernier, comme prélude à la discussion autour du « nom » : « il est impossible qu'un nom politique soit celui d'une identité ». En effet.

Dans le prologue, Ivan Segré parle, entre autres, des deux sens au nom « juif » (sens national et sens étranger), des conditions des lieux de prières, du dispositif basical, de la Torah, de l'« ouvrier » (celui qui oeuvre) et du « bourgeois », de l'exil et de Bertold Brecht, « l'homme n'est que le véhicule matériel du passeport ».

Mais laissons là, Victor, Budapest, Prague, Joseph K arrêté par deux autres pingouins, l'Aleph et le Youd, le matérialisme historique. Salam – Le-Haïm. Nous en retrouverons, ci-dessous, des éléments, des traces, des éléments contradictoires…

Comme une promenade errante avec des poses en méditation ou interrogation, sans renoncer à la dispute sur certains points.

Evidement, Joseph K, le fantôme d'une certaine modernité et le nom « juif » que l'auteur décline en trois modes : antijudaïsme, antisémitisme, antisionisme. Une remarque, je ne tiens pas pour acquis que le sionisme soit lié au nom « juif », ou plus exactement, au delà de l'histoire concrète et politique, il conviendrait d'en signifier la continuité et la rupture, d'interroger le nom « israélien », ce que ne fait pas l'auteur. Et regarder du coté d'Ilan Halevi : Question juive – La tribu, la loi, l'espace ou Shlomo Sand : Comment le peuple juif fut inventé ou Comment j'ai cessé d'être juif. Certes, le nom « juif » ne se dissout pas dans l'autre, mais le second est révélateur d'un Etat et de constructions institutionnelles d'une nouvelle nation. J'y reviendrai plus tard.

Donc le nom, le nom associé, assigné, à des populations dont certain-e-s n'ont « d'autre relation avec ce nom que par ouï-dire ». Un nom et des variations sur la Torah, le peuple et la terre. Peut-être, mais l'auteur semble accepter, sans discussion, ce fil du temps, cette traversée a-historique de communautés humaines disparates et mouvantes.

L'histoire biblique, les tables de la Loi, Moïse, les hommes et les étrangers – en ces temps reculés, il ne semble pas y avoir de femmes ! -, Rome et les barbares, une vision du monde construite « sur la dichotomie entre Romains et barbares », le christianisme religion d'Etat, la discontinuité historique, l'antijudaïsme, la singularisation du nom « juif ».

Je souligne les pages sur ce nom, le « non au Christ », le « oui au genre humain », l'histoire des expulsions, les débats philosophiques et politiques jusqu'à la Révolution française… L'auteur insiste sur la notion d'extériorité, construite sous l'ancien Régime et les réactionnaires de tout poil. Une extériorité qui a quelque chose à voir avec la « promesse », nous restons dans une vision fondamentalement religieuse chrétienne (la laïcité sera pour beaucoup plus tard…). Baruch Spinoza et l'indivisibilité du droit, Georg Wilhelm Friedrich Hegel et l'indivisibilité de la nation…

L'émancipation politique des juifs. Comment oublier dans les débats de la Révolution française, Zalkind Hourwitz et son Apologie des Juifs (1789), une alternative à la version homogénéisante des républicains, à cette idée d'une nation idéalisée et non composée de groupes aux réalités plus ou moins différenciées…

L'auteur parle du passage de l'antijudaïsme à l'antisémitisme, une nouvelle forme historique et contextuelle envers l'« autre », la racialisation moderne du XIXeme siècle. Des arguments théologiques aux arguments raciaux donc racistes, les traces persistances de l'antijudaïsme, l'histoire au milieu du monde des gens civilisés, Auschwitz…

« Les termes de la « question juive » en sont considérablement modifiés »

Le sionisme, la colonisation, l'antisionisme – de certaines formes pour le moins ambiguës de l'antisionisme. Ivan Segré discute des formes de colonisation dans l'histoire de l'expansion du monde ouest-européen. Il argumente contre l'idée d'« un projet méthodiquement mené de colonisation, d'expropriation et de domination » ce qui est différent de la « domination des Juifs israéliens sur les Arabes palestiniens ». Sionisme et antisionisme. Je limite les termes du débat à l'antérieur de 1948 ; la colonisation des territoires occupés après 1967 ne souffrant pas discussion.

Sur la création de l'Etat d'Israël, très discutable me semble l'appréciation sur le « légalement institué par l'ONU ». Légalement veut dire au nom d'un Droit. Sur quel Droit s'est appuyé l'ONU ? Certainement pas le droit des peuples à disposer d'eux-même, en chassant des populations résidentes. Sans oublier l'ambiguïté sur le nom « juif » car aucune définition ne permettait et ne permet d'en délimiter ni la partie ni l'ensemble. Etrange « Etat juif », étrange « Etat des juifs ». Qu'en est-il d'un Etat qui se revendique de populations qui n'y résident pas ? Un Etat donc non de ses citoyen-ne-s réel-le-s et présent-e-s. Ivan Segré ne s'affronte pas à ces questions, pourtant au coeur du sionisme. Il ne suffit pas de constater : « La Shoah faisait dorénavant pendant à la Nakbah, le rêve des uns devenant le cauchemar des autres… ».

Reste, avant de poursuivre, de préciser, dans le contexte de sortie de la seconde guerre mondiale et les réorganisations sociales et territoriales, quelles solutions pouvaient être apportées au populations juives après le génocide ? Je ne sais répondre à cette question. Mais il y avait bien une question pour celles et ceux qui avaient déjà immigré en Palestine et celles et ceux qui voulaient le faire.

Dois-je rappeler, aux révisionnistes de tout poil, que la destruction des juifs et des juives (comme, entre autres, des populations Rroms, est un crime contre l'humanité. Elle concernait et concerne donc toute l'humanité…)

Je tiens aussi à préciser que les divergences de vues sur ce passé, ou le passé plus lointain, sont une chose ; un accord sur les solutions politiques pour aujourd'hui ou demain, une autre, non conditionné à la réduction éventuelle des désaccords.

Mais ne faisons pas dire à l'auteur ce qu'il ne dit pas. Dans ses analyses, il souligne le passage du « voeu d'un endroit au monde où les juifs ne soient pas une minorité » au « voeu d'un endroit au monde où les juifs soient une majorité – ce qui suppose d'avoir en ligne de mire une « homogénéité ethnique » ». Nous savons le cours pris dans l'Etat d'Israël et le sionisme réellement existant, contre des voix dissidentes comme celles de Martin Buber et Judah Leon Magnes (l'alliance possible de certain-es populations juives en Palestine/Israël avec des forces « arabes » anti-impérialistes pour combattre les « Mahométants-Israélites réactionnaires et les fauteurs de pogroms quels qu'ils soient »).

Les rêves d'homogénéité « ethnico-religieuse », ici comme ailleurs, ne peuvent être progressistes. Reste que l'auteur sous-estime les dimensions nationalitaires d'hier et d'aujourd'hui, dimensions faisant intégralement partie de la question sociale et politique.

Revenons aux formes de colonisation. Ivan Segré insiste sur la forme particulière prise, « ce n'est pas un colonialisme ordinaire », forme non réductible aux formes de colonisation d'exploitation ou de peuplement. Je pourrais citer une autre forme particulière, celle qui a façonnée la Corse et ses habitant-e-s. Reste que si la colonisation « juive » ne peut être rabattue sur une simple colonisation de peuplement, elle s'inscrit bien dans le système impérialiste de colonisation. Sans oublier que la levée de fonds pour l'achat de terres fut organisée aussi par des grands propriétaires de moyens de production. A noter que l'achat de terres, en partie à des propriétaires absentéistes, relève bien de la question sociale, celle de l'expropriation/appropriation des terres pour celles et ceux qui la cultivent. Les populations palestiniennes furent donc doublement exproprié-e-s de leurs terres (outil de production et territoire de vie).

Pour l'auteur la matrice de ce colonialisme particulier relève d'un « impératif national ». Outre que le terme « impératif » est politiquement non-identifiable, de quelle nation parle-t-il ? de la nation israélienne ou du fantasme d'une nation de toutes et tous les « juifs » ? Dans un cas comme l'autre, la réponse n'est pas à la hauteur nécessaire pour faire objection aux pingouins…

Au delà de ces débats, l'auteur indique que « La question de la légitimité ou de illégitimité politique, de la pertinence ou de l'impertinence historique de l'entreprise sioniste n'en demeure pas moins posée, aux yeux d'un révolutionnaire, mais en des termes plus précis que ceux du philosophe contemporain, singulièrement officiel à ce sujet ».

Il est en effet bien des débats à reprendre, à réexaminer, à creuser, sans se satisfaire des termes dans lesquels ils furent successivement posés. Des questions imbriquant des dimensions sociales et politiques, la subversion ou non des rapports sociaux, des questions nationalitaires, des imaginaires collectifs et des résistances à l'oppression sous toutes leurs formes.

Il faut encore creuser dans la complexité et écarter les habits en noir et blanc, des évidences qui n'en sont pas…

Je poursuis. « la question n'est celle du premier occupant dans l'histoire des sociétés humaines que relativement à l'appropriation rapace d'un bien naturel, ou relativement au mythe de l'autochtonie. Dans les termes du rationalisme révolutionnaire, en revanche, la question est toujours celle du type de relation sociale qu'on contribue à instituer, à pratiquer et à développer, et non celle de l'origine, de l'ethnie, de la croyance et du sexe ». Et cette question est, à chaque fois, une question concrète, inscrite dans des histoires et des environnements comme contraintes, des rapports de force, des possibles émancipations. Il n'y a pas d'un coté des « indigènes » et de l'autre des « étrangers » mais des rapports sociaux qui créent et hiérarchisent des groupes.

Ce qui amène l'auteur à parler, en droit formel « d'un état israélo-palestinien, binational et bi-linguiste », de droits égaux, de logiques progressistes. « La question n'est pas celle de l'origine, mais celle de l'existence »

A la lumière, des élaborations hier du Bund ou d'Otto Bauer, des nouvelles constitutions sud-américaines, de la constitution du Canada, contre toutes et tous les identitaires de la nation excluante, en prenant en compte les asymétries crées par l'histoirenvient de rompre avec l'idée pernicieuse « un Etat – une nation », avancer vers la reconnaissance de la citoyenneté de résidence fondatrice, accepter de se confronter aux contradictions engendrées par les droits des « minorités » à ne pas se fondre dans l'idée fantasmatique du droit de la « majorité ».

J'ai laissé de coté d'autres débats, d'autres disputes, d'autres histoires. Je termine comme l'auteur en retrouvant un certain Joseph K, « Joseph K. n'est inculpé ni à raison ni à tord. Car on ne lui reproche pas un acte, une parole, une idée, on lui reproche d'être là, déraciné, comme un homme ».



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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
la question n’est celle du premier occupant dans l’histoire des sociétés humaines que relativement à l’appropriation rapace d’un bien naturel, ou relativement au mythe de l’autochtonie. Dans les termes du rationalisme révolutionnaire, en revanche, la question est toujours celle du type de relation sociale qu’on contribue à instituer, à pratiquer et à développer, et non celle de l’origine, de l’ethnie, de la croyance et du sexe
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Si le sous-titre du livre précise le domaine d’investigation, son titre est en revanche plus énigmatique. Mais il suffira au lecteur de garder à l’esprit que le « sioniste » que j’étais, vêtu de noir et blanc dans Jérusalem enneigée, n’était peut-être pas sans ressembler, vu de loin, à un pingouin… Restait à s’approcher davantage, jusqu’à pouvoir distinguer l’homme de l’animal
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Joseph K. n’est inculpé ni à raison ni à tord. Car on ne lui reproche pas un acte, une parole, une idée, on lui reproche d’être là, déraciné, comme un homme
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il est impossible qu’un nom politique soit celui d’une identité
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La Shoah faisait dorénavant pendant à la Nakbah, le rêve des uns devenant le cauchemar des autres…
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