La Lune des pauvres

Angela – C'est à vous que je parle
Dieux magnifiques encore
occupés à tendre l'arc de l'univers
sans savoir même où portera
la flèche de notre destin
laissez je vous prie votre effort
demeurez une fois pour toutes
dans le doute et l'absence
oubliez-nous oubliez-nous comme
une hypothèse folle et
laissez-nous à nos jeux d'enfance
mimant la force et le dégoût et
l'ivresse comme au théâtre
comédiens de nous-mêmes
répétant à l'infini
l'amour et la mort c'est assez pour renaître et connaître
ce qui n'est donné de vivre
nous sommes vos bonnes créatures
en somme toujours cherchant
le ciel les deux mains dans l'orgie
ainsi fidèles à vos desseins
incertains marcheurs des grands chemins
bâtisseurs de cité experts
au meurtre chérissant les charniers
et chérissant nos larmes
il faut laisser faire les hommes
Messieurs savez-vous qu'ils rêvent encore après qu'ils
ont tué preuve qu'ils ont un fier courage et dans l'odeur
proche des corps décomposés
il se trouve toujours deux innocents
à la peau fraîche pour refaire et l'amour et l'enfant
preuve que le monde a plus de vie
que les sept vies du chat
dieux obtus dieux absurdes
impuissants à rien comprendre
de l'énigme humaine
laissez-nous faire
nous ne désirons pas les buts suprêmes
l'avènement ni l'apothéose
l'homme sait ce qu'il vaut
et que la plus basse espérance
pourvu qu'elle soit humaine
vaut mille fois davantage que
le feu parfumé de vos barbes
parce que l'espérance seule
pourvu qu'elle soit bassement humaine
tient la balance juste
entre le meurtre et le baiser
laissez-nous aimer et mourir
comme les vagues aveugles
et moi
laissez-moi mourir
dans un baiser silencieux.

- Dis moi qu'il faut un coeur plein pour mourir

Angela – J'avais oublié comment la mer crie.
Vrogne – Comme les hommes Angela
comme la foule des hommes
brassée par le dégoût et la colère
comme la guerre crie Angela
qui remue sans arrêt la foule des hommes
la terre le sang la chair et le roc
l'énorme peuple démembré de la mer
il gueule Angela sous la poussée des vents
comme ce putain de monde travaillé par l'angoisse.

L'amour et la mort c'est assez pour pour renaître et connaître ce qui n'est pas donné de vivre.

« Il y a une ville autour de l'abribus.
Elle est bâtie de ferraille, de pluie et de cette pauvreté ouvrière que la haine des dieux a spécialement conçue pour le peuple. »