Qui était vraiment Néandertal ?
Une brute épaisse, un lointain cousin disparu il y a 42 000 ans ?
Un humain, un pré-humain, une bête?
Ludovic Slimak prend d'infinies précaution sur les 35 premières pages pour éviter les idées préconçues, les préjugés et les idées arrêtées. En les lisant, je me suis dis qu'il en faisait un peu trop.
Puis l'exploration démarre et nous voyageons avec lui sur les traces de Néandertal. Un long épisode se passe dans le cercle polaire au nord-est de la Russie. Malheureusement, aucune carte, aucune photo n'illustre ces pages. J'ai éprouvé le besoin de m'aider avec l'
Atlas historique de la Terre de
Christian Grataloup . Cela m'a permis de comprendre les précautions oratoires de Slimak . Méfions-nous de nos repésentations faciles et immédiates.
Slimak écrit : « Notre lointain Néandertal, humanité éteinte, n'échappe
pas plus que nous-mêmes à ces structures du vivant. Il nous revient, à nous chercheurs, d'en prendre pleine conscience et de ne pas, de ne plus, limiter nos regards à des approches positivistes, mécanistes, statistiques, quantifiées, rationnelles, qui représentent une négation même de la nature humaine. Une déviance scientiste de nos regards sur le monde. Ce positivisme-là, qui n'analyse chez l'humain que ses structures superficielles mathématiquement perceptibles, est une dérive, un échec, un écueil de la pensée. Ce positivisme porte, en lui, une forme de négationnisme et de la nature humaine, et des logiques animales enracinées en l'homme. Il se cache derrière des graphes, des mesures, des tableaux, pour ne pas avoir à regarder de trop près, droit dans les yeux, le fond de la nature humaine. Elle est rigueur, certes. Mais cette rigueur a la pertinence du statisticien comptant le nombre de gouttes d'eau contenues dans l'océan. Elle est prudence, aussi. Mais cette prudence est celle de la pudeur. Cachez cet homme que je ne saurais voir...
En limitant l'homme à sa rationalité quantifiable, en vérité, ce positivisme s'espère science. »
Il a parcouru le monde pendant 30 ans rassemblant le matériel existant, s'interrogeant sans-cesse sur les moyens d'approfondir notre connaissance mais aussi sur la nature de cet être disparu il ya 42 000 ans. Pourquoi a-t-il disparu? Y a-t-il un lien entre sa disparition et l'arrivée de Sapiens? Quel est la véritable nature de Néandertal?
Slimak répond ainsi : « Il existe pourtant bien des cultures néandertaliennes très marquées. Nous autres, Homo sapiens citadensis, sommes absolument normés par notre société. Il suffit simplement de se balader dans la rue quelques instants pour constater que l'expression de la diversité se réduit peu ou prou à la coque que l'on va poser sur son smartphone ou bien à la couleur de voiture que l'on choisit. En réalité, nos sociétés ne tolèrent aucune expression réelle de pluralité. Tout est dans la coque. Si dans notre société occidentale les femmes peuvent porter aujourd'hui les cheveux longs ou courts, un pantalon ou une jupe, se maquiller ou non, la réciproque est bien plus problématique pour un homme. Nous nous inscrivons au sein d'une société surnormative, sclérosante, mais c'est au fond le propre de toutes les sociétés sapiens, actuelles, subactuelles et aussi, de toute évidence, passées. Dans toutes les sociétés de notre espèce, et en tout temps, la différence est très mal perçue et n'est tolérée que dans ses marges les plus superficielles. Il s'agit déjà là, probablement, d'éthologie, d'un phénomène enraciné profondément dans nos gènes et non d'un simple fait culturel. Nous vivons engoncés au sein de représentations très normées. Pour l'habillement, par exemple, nous parlons de codes vestimentaires. Grâce à ces codes sociaux, nous reconnaissons notre groupe et nous dissocions des autres, l'Autre étant par définition suspect de beaucoup de choses, de toutes choses répréhensibles d'ailleurs, puisqu'il n'est pas comme nous. Nous rentrons tout, toujours, de manière contrainte, dans une case, dans une catégorie. Ces codes culturels peuvent avoir été transmis sur plusieurs dizaines de générations par le passé, sans avoir fondamentalement été transgressés. »
Mieux connaître Néandertal, c'est inconstestablement mieux nous connaître.