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Elisabeth Suetsugu (Traducteur)
EAN : 9782877301947
245 pages
Editions Philippe Picquier (19/05/1998)
3.73/5   26 notes
Résumé :
Dans l'intimité du couple que forment Kenzô et sa femme, le quotidien scelle une entente faite de méprises et de malentendus ; et l'habitude ne devient rien d'autre que le témoin indifférent d'un être aux prises avec le monde. Mais sur Kenzô, pèse aussi la présence d'un père adoptif, une ombre que trouent de leurs feux intermittents les souvenirs que Sôseki rappelle à lui. Et l'auteur nous montre les incertitudes de la mémoire, ces lignes d'ombre où s'enchevêtrent l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Michikusa
Traduction : Elisabeth Suetsugu

ISBN : 9782877301947

Seul le hasard a voulu que je m'attaque à l'oeuvre de Sôseki par l'un de ses derniers volumes. J'étais persuadée de posséder "Oreiller d'Herbes", son quatrième ouvrage; et, en fait, il s'agissait de l'avant-dernier, "Les Herbes du Chemin". Neuf ans séparent les deux livres, ce qui semble assez court mais est bien suffisant pour établir une différence entre l'oeuvre de jeunesse et les derniers textes. Face à "Oreiller d'Herbe" par exemple, "Les Herbes du Chemin" est nettement le plus mélancolique et aussi le plus autobiographique. Comme vous pouvez le lire dans sa microbiographie sur Nota Bene, l'enfance du futur écrivain fut cruellement assombrie tout d'abord par le fait de n'avoir pas été un bébé désiré et ensuite par son adoption par un couple sans enfants - la coutume japonaise est très souple sur le sujet en raison de la question du bouddhisme shinto qui impose que le culte aux ancêtres soit rendu par un enfant mâle - qui, chose assez peu banale, le renvoya dans son foyer originel lorsque l'époux et l'épouse ne parvinrent plus à s'entendre. le futur écrivain avait alors neuf ans.

Petite enfance épineuse et chaotique donc qui compte, certainement, quelques bons souvenirs mais qui marqua à jamais Sôseki du sceau amer de la tragédie. C'est dans "Les Herbes du Chemin" qu'il en parle pratiquement sans tabou, le héros qui le symbolise, Kenzô, voyant débarquer dans sa vie son ex-père adoptif, Shimada, qui, très appauvri, cherche à tous prix à trouver une source de revenus quasi permanente. Comme il a tout de même contribué à l'entretien de Kenzô quand celui-ci était jeune, la Tradition verrait d'un mauvais oeil si, aujourd'hui, Kenzô, qui vit assez chichement mais qui parvient tout de même à élever une famille de trois enfants, ne fît rien pour son "ancien" père. Shimada le sait tout comme il sait la nature scrupuleuse de son ex-pupille et compte bien user de cela comme le ferait ni plus ni moins un maître-chanteur ...

Mais Kenzô, personnage dont, sous ses dehors bourrus et peu amènes, on a vite fait de deviner la profonde sensibilité et la carapace qu'il s'est vu contraint de se creuser afin de se protéger, n'est pas du tout d'accord. Non pour des raisons d'avarice mais parce qu'il en est venu, très vite et très jeune, à haïr celui qui, en principe, eût dû rester jusqu'au bout son père adoptif mais officiel. Idem pour la femme de celui-ci, O-Tsune, qui se faisait remarquer par de remarquables tendances harpagonnesques. Précisons néanmoins que, enfant, Kenzô ne subit aucun sévice physique de la part de ses nouveaux parents - en tous cas, si, çà et là, l'entre-lignes peut nous y faire penser, ce tabou-là n'est pas franchi. Disons simplement que, âme déjà d'artiste avec la sensibilité à fleur de peau qui accompagne souvent cette grâce que vous fait la Nature, il ne se sentait pas vraiment aimé et encore moins à sa place. Or, sa mère biologique paraissait l'avoir elle-même plus ou moins rejeté et son père véritable s'était trouvé bien heureux d'avoir, par le biais de cette adoption, une bouche de moins à nourrir.

Pas à sa place ... le drame de Kenzô qui fait écho, en une certaine mesure, à celui de Sôseki Natsume. Il faut souligner toutefois que l'auteur a la franchise d'admettre que, par orgueil et plus encore par douleur, il ne chercha jamais vraiment à faire son trou auprès des Shimada. Par la suite, quand il revient chez ses parents biologiques, si sa mère l'accueille relativement bien, elle n'a plus que deux ans à vivre tandis que son père, lui, laisse éclater la colère et l'exaspération que lui cause ce retour d'un enfant avec qui il n'a pu tisser de liens véritables et que, déjà à la naissance, il considérait plus ou moins comme un boulet.

Vous l'avez compris : "Les Herbes du Chemin" est un récit empli de tristesse, de regret, de colère contre la quadruple injustice qui a frappé un enfant parfaitement innocent (son statut d'"accident" à la naissance, le rejet primitif par ses parents naturels, l'adoption par les Shimada et enfin la mort d'une mère qui le considérait désormais avec quelque chaleur). Bien qu'il ait pu faire des études à l'étranger, notamment en Grande-Bretagne, sa vie de jeune homme n'a guère été plus gaie. Quant à son mariage avec une femme qui, pourtant, semble l'aimer, il fait partie de ces mariages traditionnellement "arrangés" (rappelons que Sôseki mourut en 1916) : pas de coup de foudre, une relation tranquille mais qui pourrait l'être encore plus et certainement bien plus chaleureuse si Kenzô ne se montrait pas le plus souvent si redoutablement caractériel. En outre, sa femme ne sait "lui faire que des filles", argument maussade dont il saisit parfaitement la mauvaise foi car à l'époque, on sait déjà au Japon que le père est responsable du sexe de l'enfant à naître. Qu'importent la mauvaise foi et la maussaderie : si cela peine son épouse, à lui, Kenzô, cela fait beaucoup de bien . Pour autant, cela ne l'empêche pas de veiller à l'entretien matériel des enfants. Mais lui, qui n'a pas eu droit à l'amour dans son enfance, est quasiment incapable d'en donner aux siens, à moins d'un effort qu'on pourrait qualifier de surhumain et que la psychothérapie seule aurait peut-être pu traiter.

Le pire, bien sûr, c'est que Kenzô, vous l'avez remarqué, est loin d'être un idiot. Professeur à l'université, amoureux des livres (les seuls êtres avec lesquels il parvient à établir une relation réelle et adoucie), cultivé et ne respectant sans doute véritablement que la culture en ce monde de folie routinière, il est parfaitement conscient de ses carences émotionnelles et de ses trop nombreuses inhibitions, partant des souffrances qu'il impose aux autres même si, à défaut de les aimer, il se contente envers eux d'une indifférence plus ou moins protectrice.

Dans son malheur, il se rend compte également qu'il a la chance d'être entouré de personnes tolérantes. Oh ! sa femme le quitte bien, de temps à autre, avec les enfants sous le bras, mais elle revient toujours et si, sur le moment, il est toujours heureux de lui voir tourner les talons, il est tout aussi satisfait de la retrouver au foyer avec les petites . Sa demi-soeur, mariée à un fanfaron sympathique mais odieusement paresseux, l'appelle gentiment "Kenchan", surnom affectueux, et ceci malgré tout ce qu'il peut lui faire de remarques désagréables sur ses faiblesses envers son époux - on comprend d'ailleurs assez vite que, à sa façon étrange, notre héros aime sa soeur qu'il n'a aucun plaisir à voir se désagréger lentement sous les soucis et la tuberculose. Il la trouve idiote - et il ne se gêne pas pour le lui dire - mais l'idée de sa dissolution dans les bras du Dieu de la Mort ne lui fait aucun plaisir. Bien au contraire.

Dans la note assez brève qui précède le texte en lui-même, la traductrice ou quelqu'un d'autre - il n'y a pas de signature - chez Picquier évoque, au sujet des "Herbes du Chemin", le nom d'Ozu Yasujirô, maître du cinéma intimiste japonais qui débuta sa carrière dans les années vingt mais ne fut révélé en France qu'en 1978, soit quinze ans avant son décès. Les connaisseurs s'inclineront devant le rapprochement : que ce soit dans le roman de Sôseki ou dans l'ensemble de l'oeuvre du cinéaste, il semble ne se passer rien de réellement important et la poussière de la routine et de la désillusion s'égrène lentement sur les décors, les personnages et leurs sentiments. Pourtant, quiconque a vu ne serait-ce qu'un seul film d'Ozu y trouve l'empreinte de la Vie telle qu'elle est, avec ses exigences exaspérantes, ses désespoirs qu'on n'exprime pas, ses regrets qu'on laisse à peine transparaître -toujours avec la plus suprême et la plus élégante des discrétions - quand on est sûr que la caméra ne vous filme pas de trop près.

Il serait évidemment prématuré de continuer en ce sens en ne se basant que sur un un seul ouvrage de Sôseki Natsume, ouvrage qui, de plus, pourrait aisément faire figure de testament aux yeux de ses admirateurs. Dans cette fiche, nous rapportons seulement l'impression produite par "Les Herbes du Chemin", lequel possède, comme l'existence, ses petits moments de gaieté et de joie, ses sourires et même ses petits éclats de rire mais sur lequel plane, obsessionnelle et bien compréhensible tout compte fait, la mélancolie d'un homme qui, certes, devint et reste l'un des plus grands écrivains nippons mais à quel prix ... Et, pour confirmer cette impression (ou l'infirmer), nous vous parlerons bientôt d""Oreiller d'Herbes", qui est un recueil de nouvelles, et bien sûr de l'incontournable "Je Suis Un Chat", second ou troisième roman de l'auteur qui devait lui apporter la célébrité.

A bientôt et, en attendant, si vous en trouvez le temps et le goût, commencez donc par vous faire une idée par vous-même de l'oeuvre de Sôseki Natsume. ;o)
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Kenzo est un professeur d'âge mûr qui subit sa vie en tant qu'enseignant et époux. Les relations avec sa femme sont difficiles car il considère que sa épouse doit montrer son respect à son mari. Or, sa femme attend de même de son époux. Les difficultés de communications sont provoqués par une incompréhension mutuelle mais aussi par un certain entêtement lors des conflits. Pourtant, leur relation n'est pas exempte de tendresse lors de situation de crise. Les sentiments de Kenzo avec les membres de sa famille sont marquées par une mise en distance volontaire, ainsi qu'une impossibilité d'exprimer ses émotions. L'apparition d'un membre de sa famille va faire ressurgir des souvenirs douloureux mais aussi les blessures d'enfance de Kenzo.
J'aime la capacité de Soseki d'exprimer la complexité de l'âme humaine à travers de simples tranches de vie. Dans ce roman, il est difficile d'apprécier le personnage principal: imbu de lui-même, froid, égoïste et têtu, il semble incapable de toute empathie même dans sa vie de couple. En effet, au début du XXème siècle, les codes sociaux sont encore très marqués par le traditionalisme: le japonais doit donc conserver sa réserve et masquer ses émotions à son interlocuteur en toutes circonstances. La modernité de Soseki est de montrer que l'enfance est un élément fondateur de la personnalité adulte. Kenzo est marqué par son enfance, ballotté de famille à famille, grandissant sans tendresse. La seule personne, qui lui a montré de l'affection, ne vient aujourd'hui que pour lui réclamer de l'argent. La question de l'argent est aussi très prégnante dans ce roman: elle pollue les relations, provoque la supériorité ou l'infériorité d'une personne dans la société et même dans sa famille.
Ce n'est pas le livre que je préfère de Soseki mais sa plume est toujours aussi vivante et moderne.
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D'un lecture agréable, cet ouvrage de Natsume SOSEKI nous plonge dans un univers étouffant car assis sur des personnages complètement repliés sur eux mêmes. Etres vivant dans une solitude intérieure profonde les conduisant à considérer le monde en s'interrogeant en permanence sur la nature profonde de l'intention des autres dans les relations sociales. Même dans des actes qui se voudraient gratuits par définition tels que l'adoption d'un enfant ou la quête de connaissance. L'étude de la biographie de l'auteur laisse là apparaître certaines cicatrices de la vie de Natsume SOSEKI.
Ce roman est très marqué par une approche dénonçant la matérialité de l'existence dans ses rapports avec l'argent, la fausseté de certains rapports humains et la frustration profonde qui en découle. Frustration qui conduit parfois à se couper du monde y compris dans ses rapports intimes avec ses proches. A une déshumanisation empreinte d'une douleur permanente.
Passionné de littérature japonaise, j'ai trouvé ce livre intéressant mais dérangeant. Dérangeant de par le poids de l'ambiance, de par le rapport avec l'argent y compris au sein de la cellule familiale, de part l'hypocrisie des rapports humains présentés au fil de l'existence. Entre passé et présent. Où toute spontanéité disparaît au profit de la distance liée à l'habitude. Où le plaisir n'est qu'intérieur et fugace.
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J'avais déjà essayé de lire ce livre étouffant et long.
J'ai de nouveau essayé et, de nouveau abandonné.
Le titre dit le dit bien : les herbes du chemin. Mais est-il nécessaire de photographier et analyser chaque brin d'herbe qui ressemble finalement beaucoup à son voisin ?
La minutie japonaise pleine de nuances que j'aime est lassante au bout d'un certain temps quand elle veut décrire en détail les herbes du chemin...
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
[...] ... L'homme montait la côte qui passe devant le temple de Nazu Gongen [= c'est-à-dire du Shôgun Tokugawa Ieyasu]. Il venait du côté d'où venait Kenzô, vers le nord, et, au moment où celui-ci regardait distraitement dans sa direction, leurs regards se croisèrent. Une vingtaine de mètres les séparaient encore. Malgré lui, il détourna les yeux et décida de le croiser comme si de rien n'était. Cependant, il voulait s'assurer qu'il ne s'était pas trompé, et quand ils furent à quelques mètres l'un de l'autre, il leva à nouveau les yeux dans sa direction. Alors seulement, il s'aperçut que l'autre le fixait déjà depuis longtemps.

La rue était calme. Seul un rideau de pluie fine les séparait. Ils n'eurent aucun mal à se reconnaître. Kenzô détourna immédiatement les yeux et reprit sa marche droit devant lui. Mais l'autre, immobile devant le bord du trottoir, sans faire mine d'avancer, le suivit des yeux. Kenzô put même sentir qu'il tournait légèrement la tête pendant qu'il le dépassait.

Depuis combien de temps ne l'avait-il pas vu ? Il avait rompu tout lien quand il avait vingt ans. C'était si loin ! Plus de quinze ans s'étaient écoulés et ils ne s'étaient pas rencontrés une seule fois depuis lors.

Sa situation et ses conditions d'existence étaient si différentes à présent ! Avec sa moustache et son chapeau melon, en quoi pouvait-il rappeler le jeune garçon d'autrefois ? Lui-même avait l'impression d'être dans un autre monde. En comparaison, l'autre n'avait pas beaucoup changé. Il devait avoir au moins soixante-cinq ou soixante-six ans et tout comme autrefois, ses cheveux étaient noirs. Kenzô, étonné, se demandait pourquoi. Il n'avait pas perdu sa vieille habitude de sortir sans chapeau, et cela mit Kenzô mal à l'aise sans qu'il sût pourquoi. ... [...]
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[...] ... - "Mon père avait l'air d'avoir si froid sans pardessus que je lui en ai donné un vieux à toi."

Le manteau en question était doublé. Il l'avait fait faire chez un tailleur de province et il y avait longtemps qu'il l'avait pour ainsi dire oublié. Il ne comprit absolument pas pourquoi elle l'avait donné à son père.

- "Un pardessus si minable !"

Il se sentait honteux.

- "Mais non, pas du tout, il était très content et il est parti avec.

- Ton père n'a donc pas de pardessus ?

- Non seulement il n'a pas de manteau mais il n'a plus rien du tout."

Kenzô était stupéfait. Le visage de sa femme, éclairé par la lampe, lui parut tout à coup pitoyable.

- "Est-il vraiment démuni à ce point ?

- Oui. Ils ne savent plus quoi faire."

Peu bavarde, elle n'avait jusqu'alors jamais beaucoup de détails à son mari sur la situation de ses parents. Depuis que son père avait perdu sa situation, Kenzô se doutait bien que l'état de leurs finances n'était pas brillant, mais il n'avait pas pensé qu'il fût à ce point dramatique et, maintenant qu'on lui avait ouvert les yeux, il se mit à évoquer le passé de son beau-père. ... [...]
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Son regard avait quitté le plafond , mais il était difficile de déterminer où il s’était posé maintenant . Quelque chose brillait au fond de ses grosses prunelles noires . Pourtant , il y manquait la vie . Les yeux étaient grands ouverts mais donnaient l’impression de n’être pas reliés directement à l’âme , ils voyaient ce que les pupilles voyaient , sans but défini .
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Rien, pour ainsi dire, ne se règle dans le monde. Ce qui est arrivé une fois nous poursuit sans fin.
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Videos de Natsume Soseki (2) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Natsume Soseki
RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE : Natsume Sôseki, Je suis un chat, traduit du japonais et présenté par Jean Cholley, Paris, Gallimard, 1978, p. 369, « Unesco ».
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