Ce recueil, agrémenté de quelques photographies de Tolstoï avec des chevaux, regroupe trois nouvelles d'auteurs différents:
- Kholstomier de
Leon Tolstoï (1885)
- Emeraude d'
Alexandre Kouprine (1907)
- Libussa de
Carl Sternheim (1920)
Tolstoï et Kouprine étaient passionnés par les chevaux, ils les ont beaucoup observés et cela se ressent dans leurs nouvelles. Je ne sais si Sternheim l'était aussi mais c'est moins perceptible dans sa nouvelle.
La première nouvelle de Tolstoï, Kholstomier (aussi intitulée
le cheval dans d'autres éditions), a eu un immense succès à son époque, même si elle semble aujourd'hui dans l'ombre d'autres de ses grandes oeuvres. Kouprine et Sternheim ne s'y sont pas trompés puisque tous deux lui ont adressé un clin d'oeil dans leur propre nouvelle. Même si j'ai trouvé le passage à la parole du cheval (quand il s'adresse à ses congénères au chapitre V pour leur raconter sa vie) assez brutal, Tolstoï n'en demeure pas moins un formidable conteur. Il parvient à nous embarquer en distillant des réflexions philosophiques. J'ai eu cependant le sentiment qu'il cherchait à mettre en évidence ce qui unissait et différenciait l'homme du cheval à travers des thèmes comme la vieillesse (le parallèle entre la vieillesse de Kholstomier et celle de son ancien maître est superbe), la mort, l'instinct de propriété. La construction est très habile et le récit poignant.
La seconde nouvelle, Emeraude de Kouprine, est très courte (une trentaine de pages) mais dégage une aura magnifique. C'est sans doute elle qui a ma préférence. Sa force est de ne pas utiliser d'artifices destinés à donner la parole ou un sens critique au cheval. Non, elle se met à la place du cheval et tente de nous transmettre l'essence de ce qu'il est.
le cheval, bien qu'humanisé pour les besoins de l'histoire, reste un cheval. C'est un récit superbe d'une grande sensibilité, tout en rythme, en gestes, en postures mais qui s'attache peut-être plus à la forme qu'au fond. Toutefois, je doute que l'on puisse comprendre toute la profondeur de ce récit sans les éclaircissements apportés dans la préface par
Jean-Louis Gouraud sur le scandale des années 1900 dont a été victime l'étalon qui a inspiré cette nouvelle. Quand je les ai lus, je me suis prise une seconde gifle !
La dernière nouvelle, Libussa de Sternheim, est celle qui m'a le moins convaincue. le subterfuge utilisé pour amener la jument à la parole n'est pas très crédible. Libussa est bien trop humanisée, au point que l'on finit par ne plus faire la distinction entre l'homme et
le cheval. En plus, elle est, selon moi, un peu trop prude et puritaine, surtout au début. Si l'objectif de l'auteur était de pointer du doigt les contraintes des juments/femmes, en ce qui me concerne, c'est un peu raté. En revanche, il a le mérite de d'aborder la grande Histoire sous un autre éclairage. Car Libussa a appartenu successivement, excusez du peu, à la tsarine Alexandra Féodorovna, Edouard VII et Guillaume II. Alors elle en a des choses à raconter sur les hommes… D'après moi, les passages les plus intéressants concernent les échanges de Libussa avec l'un de ses congénères prorévolutionnaires ainsi que ceux sur Guillaume II, qui apportent une dimension inattendue sur le monarque.
Mais chacun à leur manière, ces trois chevaux murmurent à l'oreille des hommes l'étendue de leur folie...