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EAN : 9782864248613
252 pages
Editions Métailié (05/04/2012)
3.69/5   43 notes
Résumé :
Cuba, 1993.
C’est la crise, on ne trouve plus grand-chose à manger, et faute de carburant tout le monde roule à vélo. Julia enseigne les maths dans un lycée technologique. Elle navigue entre trois hommes, trois histoires, toutes différentes.

Euclides, son ancien prof de faculté, ex-amant, est brisé par l’exil de ses enfants. Ángel est un bel amoureux qui dispose en outre d’un appartement dans le quartier du Vedado, en plein centre-ville – un lu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (20) Voir plus Ajouter une critique
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"La Havane année zéro" ne nous séduit pas dès le départ. Mais il faut persister. 1993 Année zéro parce que le mur de Berlin vient de tomber et que la Russie laisse tomber Cuba. Année zéro parce que tout doit recommencer, tout doit manquer. Et les prémices sur lesquelles reposent ce récit sont assez intrigantes. Connaissez-vous Antonio Meucci, inventeur italien? ha ben voilà!
Cet inventeur touche à tout serait connu pour sa contribution à l'invention du téléphone...avant Graham Bell. Cet homme a vécu à Cuba avant d'émigrer aux États-Unis et y aurait laisser les preuves de son invention. Invention qu'il n'a pas pu faire breveter faute d'argent...et comme le papillon qui par son battement d'ailes provoque un tsunami de l'autre côté de la terre, nous aurons ici un cercle de 4-5 personnes qui n'auront d'aise de se dire la vérité que lorsqu'ils auront en main les documents de Meucci.
Alliances, mésalliances, tromperies et amitiés se développeront autour de la recherche de ces documents à la façon dont raisonne un mathématicien. D'hypothèses en hypothèses, de théories en théorèmes. Mais en même temps, on nous fait le récit d'une époque très dure pour les Cubains: chômage, rareté des matières premières, difficultés à combler les besoins de base, coupure de courant, d'eau, de transport. Les Cubains manquent de tout c'est l'année zéro.
On a du mal à embarquer dans cette histoire mais en persistant, on sera bien accroché. Humour, moeurs, histoire, amour tout est là pour nous faire un bon récit à la sauce cubaine: un sourire, un rêve, des amours. Une excellente découverte que cette Karla Suarez.
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Ce ne serait pas Alexander Graham Bell qui aurait inventé le téléphone, non! Il s'agirait d'un émigré italien, Antonio Meucci, pendant qu'il vivait à La Havane, Cuba. Ce dernier s'installa plus tard à New York pour breveter son invention et chercher du financement pour la développer et, pendant ce temps, Bell aurait eu accès aux travaux de Meucci. D'ailleurs, une partie de la communauté scientifique le reconnait depuis quelques années, même si le grand public est encore largement dans l'ignorance.

C'est ce fait qui a intéressé l'autrice Karla Suarez et, en tant que Cubaine – c'est dans ce pays que l'inventeur italien aurait produit l'essentiel de ses travaux sur son telegraffono –, elle s'est sentie interpelée. Une sorte de fierté nationale.

Donc, si l'intrigue était originale et pertinente, quelque chose dans son développement a moins fonctionné. Suarez n'a pas choisi d'écrire une biographie. Plutôt, elle a situé son intrigue à notre époque, au début des années '90. Une jeune femme apprend, tout comme l'autrice, l'histoire de Meucci et décide d'aller au fond des choses, d'essayer de la prouver. Ça aussi, ça aurait pu fonctionner.

Malheureusement, cette intrigue est entremêlées de plusieurs autres, surtout des intrigues amoureuses et sentimentales et sur le sort des Cubains en général. La narratrice Julia est amoureuse d'Angel, lequel vit mal sa séparation avec une certaine Margarita. Elle est bien amie avec son ancien professeur de lycée qu'elle surnomme Euclide, puis avec le journaliste Leonardo, qui a eu une relation avec la fameuse Margarita. Et ça continue à tourner en rond ainsi, tel un soap opera. Ces intrigues de feuilleton m'ont complètement désintéressé.
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Avec La Havane année zéro, Karla Suãrez, nous offre un roman en forme d'équation mathématique à 3 inconnues, un polar qu'elle situe en 1993 – année especiale, comme disent les cubains – 4 ans après la chute de mur de Berlin. « Polar », même si, entendons-nous bien : il n'y a pas de victime, si ce n'est le « brevet » d'une découverte usurpée, celle du… téléphone !
Dans ce roman « fractal », Karla S. s'adresse directement au lecteur qu'elle tutoie dès le troisième chapitre en le faisant participer à son enquête le long du Malecón. Elle fait de nous son complice et nous embarque comme témoin pour résoudre l'énigme du livre. On partage son tâtonnement expérimental sous la tutelle de Poincaré qu'elle cite à de nombreuses reprises (« Il y a des questions que l'on pose et d'autres qui se posent toutes seules ») et d'Einstein ( « Si tu cherches des résultats, ne fais pas toujours la même chose ! ») Karla Suarez semble s'amuser en attribuant à son lecteur le rôle de juré qui sera chargé de trancher face à la question : Qui détient le document ? … Car le prétexte à cette « course au trésor » à travers la capitale cubaine – d'Alamar au Vedado, en passant par Cienfuegos – est de retrouver les notes originales d'Antonio Meucci, prouvant qu'il est l'inventeur du téléphone, titre que lui a raflé Graham Bell.
Karla S. nous étourdit dans une valse à trois temps dans laquelle elle nous fait tourbillonner à un rythme de plus en plus enlevé entre ses trois partenaires ! Dans ce ballet tropical, on rencontre Euclides – son ex-prof universitaire –, Angel –son amoureux si séducteur –, et Léo –son pittoresque ami écrivain – qui tour à tour posent un deal avec la jeune femme, une stratégie pour localiser le précieux docu et identifier son détenteur.
La Havane année zéro est alors une toile d'araignée qui nous embrouille dans sa spirale, pour notre plus grand bonheur (« Parfois penser est une façon de continuer à s'énerver » nous confie l'auteure !) Elle joue avec nos nerfs dans la jonglerie de ses démonstrations où les alliances se nouent et se dénouent dans une surenchère de tromperies entre les amants. La question récurrente qui laboure les 21 chapitres du livre est : Qui ment ?
Les protagonistes de K.S. se manipulent mutuellement dans un concours de dissimulations, de non-dits, d'approximations, de chausse-trapes… comme l'auteure- qui fait dire à Julia, son héroïne « Je me sentais comme une marionnette qui avait rêvé d'être marionnettiste », - manipule les réflexions de son lecteur !
Dans ce roman mathématique, véritable enquête « démystificatrice », Suarez alterne le noir et blanc et la couleur.
Le noir & blanc dénonce, au cours de cet enchaînement de journées à multiplier par zéro, la pénurie où se débattent dans cette île des Caraïbes ces végétariens de deuxième génération : « La vache mange de l'herbe et moi je mange de la vache, mais à cette époque on ne trouvait des vaches que là où étaient les dinosaures : dans les livres ». On doit allumer la radio, en ces années 90, pour couvrir les voix et parler en toute sécurité, comme le faisaient les personnages du film La vie des autres en RDA dans les années 80.
Mais la couleur pétille aussi grâce à l'humour auto-dérisoire de l'auteure dont le bouquin est caressé par une très chaude ambiance de … »cucuterie » ! On fait beaucoup l'amour dans ces pages car… faire l'amour est une respiration pour ouvrir une ceinture trop serrée. La sexualité est la soupape de survie dans cette société pressée comme un citron et Julia en vient à classer les hommes, ses amants, en nombres : « Je m'amusais même à les classifier, à les ordonner comme des nombres, par exemple : naturels, entiers, rationnels, complexes ou réels ». Leur dénominateur commun étant d'être tous nus sous leurs vêtements. Elle compare même Angel au Cuirassé Potemkine !
Dans le livre de cette écrivain dotée d'une formation scientifique, tout s'articule autour du nombre où elle revient de manière récurrente au long des chapitres. Son roman est construit comme un puzzle sur lequel elle pose les pièces selon son bon vouloir, se jouant de nous : « Elémentaire, mon cher Watson ! » se moque-t-elle…
Au cours de » cette nuit de comploteurs », on « raisonne comme une romancière ou… comme un mathématicien… deux faces d'une même pièce » car « au commencement de l'histoire humaine, art et science faisait un tout qui s'est progressivement ramifié en différentes spécialités (…) Je me servais des nombres comme lui des mots (…) La seule différence tenait à l'usage de langages et de symboles. » Telle le joueur de flûte d'Hamelin, Karla S. nous emmaillote dans la bobine de son énorme imbroglio : « Avec l'amour dans les yeux, sans signes ni témoins, nos corps se sont aimés jusqu'au matin où nous avons compris l'erreur »… Au coeur de la chaleur humaine des nuits torrides tropicales, où les infusions de citronnelle le disputent au rhum ou son ersatz tord-boyaux coulant à flot, Julia cherche à rendre cohérence au désarroi et au chaos… Dans une sorte de jeu de chaises musicales avec Angel, Barbara, Euclides, Léonardo et Margarita, elle tourne au gré des chapitres dans un parfait cercle fermé en se demandant… pourquoi l'amour est-il aussi irrationnel ?
D'étape intermédiaire en objectif principal, Karla-Julia, nous balade avec bonheur en nous entraînant dans la moiteur caraïbe. Elle démontre que si c'est l'ignorance et non le hasard qui rend certaines situations inexplicables comme le prétendent les déterministes… toutefois d'après la théorie du chaos, l'univers est régi par un mélange d'ordre et de désordre, c'est-à-dire qu'il ne suit pas un modèle prévisible et déterminé (…) le désordre existe et se manifeste quand on s'y attend le moins.
C'est par cet effet-papillon –battement d'ailes dans un endroit pouvant provoquer quelques temps après un ouragan dans un autre que les héros de cette histoire ont été embarqués dans cette aventure insulaire, méli-mélo de hasards et de préméditations, face au chaos où se mêlent sentiments et projets.
Dans ce roman/jeu de piste singulier et déroutant, tout est question de perspective (Quand tu es sur le rivage, le bateau se déplace, mais quand tu es sur le bateau, c'est le rivage qui change … Nouvelle société, nouvelles valeurs.) et il s'agit comme les membres de l'Oulipo d'être des rats qui doivent construire eux-mêmes le labyrinthe d'où ils ont l'intention de sortir.
Si Julia/Karla se compare au coeur de ce roman à un cheval aux échecs qui s'imagine trotter librement dans les champs sans se rendre compte que quelqu'un le déplace, elle conclut son récit dans un éclat de rire, nous clouant « pat » sur l'échi quier face au pion-roi Meucci, entre la tour du Tacón et la diagonale du fou !

Lien : http://chevre-feuille.fr
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Bizarre ces livres dans lesquels on a du mal à plonger, mais que l'on persiste à lire. C'est ce qui m'est arrivé avec « La Havane année zéro ». Dès le début, je savais que la lecture de ce roman me plairait, mais j'ai eu un mal fou à accrocher au début. C'est venu petit à petit et en tournant la dernière page de ce roman, j'ai compris que j'ai bien fait de persister.

« La Havane année zéro », c'est une histoire un peu tirée par les cheveux, qui use et abuse de mathématiques, de logique et qui est construite un peu comme une intrigue policière. Si ce n'était que ça, je n'aurais absolument pas aimé ce roman où la narratrice tente de démêler le vrai du faux des histoires des trois hommes avec qui elle a (eu) une liaison. Ce qui m'a plu, c'est le Cuba des années 1990 décrit par Karla Suarez, avec un point d'orgue : l'année 1993, où se situe l'histoire, cette fameuse « année zéro » à Cuba. La « période spéciale » a suivi la chute du mur de Berlin et la dissolution de l'URSS et a mis la faim au ventre du peuple cubain qui, très rapidement, s'est vu notamment privé de viande (qu'il ne voyait plus que dans les livres d'histoire, dixit l'auteur). du riz, des pois cassés et du soja au menu, voilà ce à quoi les Cubains étaient réduits au cours de cette période décidément très spéciale où les bicyclettes ont remplacé les voitures et où la renommé des commerçants qui possédaient des dollars (illégaux) a supplanté celle des ingénieurs. Voilà donc notre narratrice, Julia, bien avancée elle qui, mathématicienne, se dit « foutue ». Mais voilà donc aussi que l'histoire d'un certain Meucci, un grand inventeur italien qui aurait inventé le téléphone à Cuba plusieurs années avant l'Américain Graham Bell, sort dans le journal « Granma ». Et c'est là que commence notre histoire : les cinq personnages principaux de « La Havane année zéro » se disputent le manuscrit du scientifique où figure le croquis de ce qui allait devenir le téléphone, chacun dans un but différent, souvent pour gagner l'argent qui contribuerait à rendre leur quotidien un peu moins miséreux. Tout un programme ! Et le suspense est au rendez-vous jusqu'à la fin de l'ouvrage !

Pour ce dernier roman, Karla Suarez a reçu le prix Carbet de la Caraïbe et du Tout-Monde en 2012, le jury ayant décidé d'honorer cette année un ouvrage qui « se situe dans la lignée de ces créations tendues vers un désir puissant : celui de redonner une juste place à des pays que l'on oublie souvent dans le concert disharmonieux du monde ». Un prix parfaitement mérité par l'écrivaine cubaine qui vit exilée au Portugal !
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L'histoire de ce roman a lieu dans Cuba de Castro. EIle commence en trombe, par une peinture tranchante du vécue du pays des Castro. "C'était en 1993, année zéro à Cuba. L'année des coupures d'électricité interminables (…) J'ai 30 ans et des problèmes à la pelle", raconte Julia, enseignante et personnage en diable de ce roman. Cuba donc manque de tout, connaît. Pour Julia, son travail est alimentaire, car elle s'ennuie avec ses élèves. Pour se s'évader de son quotidien, elle navigue entre trois hommes. Trois destins éloignés. Euclides, son ancien prof de faculté, divorcé, qui s'est réfugié chez sa mère. Angel qui lui possède un bel appartement. Ce qui est exceptionnel. . Et puis il y a cet écrivain dont Julia s'est entiché, comme pour corser son personnage. le rapport entre les quatre : la fascination qu'ils éprouvent pour Antonio Meucci.

L'intrigue ? La recherche d'un document qui prouverait que cet illustre oublié qu'est Antonio Meucci, Italien réfugié à la Havane, aurait inventé le téléphone. Eh oui pour Julia, le téléphone dans ce pays où tout manque est né à Cuba, bien avant Graham Bell ; n'en déplaise à toutes les histoires qui racontent le contraire. Pour sans doute donner du piquant à sa vie, Julia s'embarque dans une enquête pour démêler cette affaire. Mais l'enjeu est trop gros, car ces fameuses preuves de la paternité de l'invention du téléphone pourraient valoir de l'or. Il ne faut pas oublier qu'on est à Cuba, en pleine crise.

Mais pas seulement. Elle se rend vite compte que ce n'est pas simple. L'écheveau compliqué. Ici mensonges, alliances et suspicions se mélangent pour former une intrigue hardiment menée. Ici tous les protagonistes mentent par nécessité, une question de survie dans ce pays où tout manque.

Pertinente, l'histoire de la Havane année zéro se présente comme un problème mathématiques, une équation à trois inconnues. Karla Suarez mêle et démêle les informations si tant est que le lecteur est entraîné dans l'enquête pour savoir qui des trois possède réellement les documents prouvant qu'Antonio Meucci est bien l'inventeur du téléphone. Nous arrêtons de décortiquer le roman pour ne pas déflorer l'histoire. Mais au-delà de cette enquêteur la romancière raconte une autre histoire, celle de ce pays épuisé, laminé par les pénuries, les manques de toutes sortes. D'une écriture incisive et sobre, Karla Suarez dévoile un pays ravagé par la crise économique. Et en filigrane, il y a bien sûr tous ces Cubains qui rêvent, luttent au quotidien pour rendre la vie un peu plus supportable qu'elle ne l'est.
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critiques presse (2)
Lhumanite
04 août 2012
Sur fond de réalisme, la Cubaine Karla Suarez évoque dans un roman la quête d’une bande de jeunes, qui, entre poésie et alcool, se passionnent pour cet épisode caché de l’histoire.
Lire la critique sur le site : Lhumanite
Telerama
27 juin 2012
Les personnages évoluent entre liaisons amoureuses et dissimulations, en quête d'une probable chimère qui n'est peut-être qu'un alibi pour se prouver que la vie, à La Havane, n'est pas totalement figée.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
Alors il a pris un livre sur l'étagère et l'a brandi : et ça, alors? C'était Les Misérables. Il en a pris un autre : et ça? C'était Marelle. Et il les a lancés sur le lit et a dit : Paris! Il a sorti deux autres livres de l'étagère et les a lancés à leur tour : tu vas me dire que je ne suis jamais allé à Saint-Pétersbourg? J'ai juste réussi à lire le nom de l'auteur : Dostoïevski. En plein délire, il a continué de jeter des livres sur le lit. Il était allé à Barcelone grâce à Eduardo Mendoza, à New York avec John Dos Passos et Paul Auster, à Buenos Aires avec Borges, il connaissait toute la Caraïbes grâce à Alejo Carpentier et Antonio Benitez Rojo. Je ne sais pas combien de livres il a jetés sur le lit, mais quand il s'en est lassé, il m'a regardé comme un fou en affirmant qu'il n'avait pas besoin de se déplacer physiquement pour voyager, le monde était dans sa tête et il était capable de le décrire.
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Avec La Havane année zéro, Karla Suãrez, nous offre un roman en forme d’équation mathématique à 3 inconnues, un polar qu’elle situe en 1993 – année especiale, comme disent les cubains – 4 ans après la chute de mur de Berlin. « Polar », même si, entendons-nous bien : il n’y a pas de victime, si ce n’est le « brevet » d’une découverte usurpée, celle du… téléphone !
Dans ce roman « fractal », Karla S. s’adresse directement au lecteur qu’elle tutoie dès le troisième chapitre en le faisant participer à son enquête le long du Malecón. Elle fait de nous son complice et nous embarque comme témoin pour résoudre l’énigme du livre. On partage son tâtonnement expérimental sous la tutelle de Poincaré qu’elle cite à de nombreuses reprises (« Il y a des questions que l’on pose et d’autres qui se posent toutes seules ») et d’Einstein ( « Si tu cherches des résultats, ne fais pas toujours la même chose ! ») Karla Suarez semble s’amuser en attribuant à son lecteur le rôle de juré qui sera chargé de trancher face à la question : Qui détient le document ? … Car le prétexte à cette « course au trésor » à travers la capitale cubaine – d’Alamar au Vedado, en passant par Cienfuegos – est de retrouver les notes originales d’Antonio Meucci, prouvant qu’il est l’inventeur du téléphone, titre que lui a raflé Graham Bell.
Karla S. nous étourdit dans une valse à trois temps dans laquelle elle nous fait tourbillonner à un rythme de plus en plus enlevé entre ses trois partenaires ! Dans ce ballet tropical, on rencontre Euclides – son ex-prof universitaire –, Angel –son amoureux si séducteur –, et Léo –son pittoresque ami écrivain – qui tour à tour posent un deal avec la jeune femme, une stratégie pour localiser le précieux docu et identifier son détenteur.
La Havane année zéro est alors une toile d’araignée qui nous embrouille dans sa spirale, pour notre plus grand bonheur (« Parfois penser est une façon de continuer à s’énerver » nous confie l’auteure !) Elle joue avec nos nerfs dans la jonglerie de ses démonstrations où les alliances se nouent et se dénouent dans une surenchère de tromperies entre les amants. La question récurrente qui laboure les 21 chapitres du livre est : Qui ment ?
Les protagonistes de K.S. se manipulent mutuellement dans un concours de dissimulations, de non-dits, d’approximations, de chausse-trapes… comme l’auteure- qui fait dire à Julia, son héroïne « Je me sentais comme une marionnette qui avait rêvé d’être marionnettiste », - manipule les réflexions de son lecteur !
Dans ce roman mathématique, véritable enquête « démystificatrice », Suarez alterne le noir et blanc et la couleur.
Le noir & blanc dénonce, au cours de cet enchaînement de journées à multiplier par zéro, la pénurie où se débattent dans cette île des Caraïbes ces végétariens de deuxième génération : « La vache mange de l’herbe et moi je mange de la vache, mais à cette époque on ne trouvait des vaches que là où étaient les dinosaures : dans les livres ». On doit allumer la radio, en ces années 90, pour couvrir les voix et parler en toute sécurité, comme le faisaient les personnages du film La vie des autres en RDA dans les années 80.
Mais la couleur pétille aussi grâce à l’humour auto-dérisoire de l’auteure dont le bouquin est caressé par une très chaude ambiance de … »cucuterie » ! On fait beaucoup l’amour dans ces pages car… faire l’amour est une respiration pour ouvrir une ceinture trop serrée. La sexualité est la soupape de survie dans cette société pressée comme un citron et Julia en vient à classer les hommes, ses amants, en nombres : « Je m’amusais même à les classifier, à les ordonner comme des nombres, par exemple : naturels, entiers, rationnels, complexes ou réels ». Leur dénominateur commun étant d’être tous nus sous leurs vêtements. Elle compare même Angel au Cuirassé Potemkine !
Dans le livre de cette écrivain dotée d’une formation scientifique, tout s’articule autour du nombre où elle revient de manière récurrente au long des chapitres. Son roman est construit comme un puzzle sur lequel elle pose les pièces selon son bon vouloir, se jouant de nous : « Elémentaire, mon cher Watson ! » se moque-t-elle…
Au cours de » cette nuit de comploteurs », on « raisonne comme une romancière ou… comme un mathématicien… deux faces d’une même pièce » car « au commencement de l’histoire humaine, art et science faisait un tout qui s’est progressivement ramifié en différentes spécialités (…) Je me servais des nombres comme lui des mots (…) La seule différence tenait à l’usage de langages et de symboles. » Telle le joueur de flûte d’Hamelin, Karla S. nous emmaillote dans la bobine de son énorme imbroglio : « Avec l’amour dans les yeux, sans signes ni témoins, nos corps se sont aimés jusqu’au matin où nous avons compris l’erreur »… Au cœur de la chaleur humaine des nuits torrides tropicales, où les infusions de citronnelle le disputent au rhum ou son ersatz tord-boyaux coulant à flot, Julia cherche à rendre cohérence au désarroi et au chaos… Dans une sorte de jeu de chaises musicales avec Angel, Barbara, Euclides, Léonardo et Margarita, elle tourne au gré des chapitres dans un parfait cercle fermé en se demandant… pourquoi l’amour est-il aussi irrationnel ?
D’étape intermédiaire en objectif principal, Karla-Julia, nous balade avec bonheur en nous entraînant dans la moiteur caraïbe. Elle démontre que si c’est l’ignorance et non le hasard qui rend certaines situations inexplicables comme le prétendent les déterministes… toutefois d’après la théorie du chaos, l’univers est régi par un mélange d’ordre et de désordre, c'est-à-dire qu’il ne suit pas un modèle prévisible et déterminé (…) le désordre existe et se manifeste quand on s’y attend le moins.
C’est par cet effet-papillon –battement d’ailes dans un endroit pouvant provoquer quelques temps après un ouragan dans un autre que les héros de cette histoire ont été embarqués dans cette aventure insulaire, méli-mélo de hasards et de préméditations, face au chaos où se mêlent sentiments et projets.
Dans ce roman/jeu de piste singulier et déroutant, tout est question de perspective (Quand tu es sur le rivage, le bateau se déplace, mais quand tu es sur le bateau, c’est le rivage qui change … Nouvelle société, nouvelles valeurs.) et il s’agit comme les membres de l’Oulipo d’être des rats qui doivent construire eux-mêmes le labyrinthe d’où ils ont l’intention de sortir.
Si Julia/Karla se compare au cœur de ce roman à un cheval aux échecs qui s’imagine trotter librement dans les champs sans se rendre compte que quelqu’un le déplace, elle conclut son récit dans un éclat de rire, nous clouant « pat » sur l’échi quier face au pion-roi Meucci, entre la tour du Tacón et la diagonale du fou !
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J'ai quelque chose à vous demander. Ça vous gênerait qu'on se tutoie ? Je suis en train de vous raconter des choses très personnelles et le vouvoiement crée une certaine distance. Alors on se tutoie ? Bon, je continue.
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L’année zéro de Karla Suarez est l’année 1993 à La Havane, année de la chute du mur de Berlin et du bloc soviétique et Cuba va se retrouver encore plus isolé.
Julia est une jeune femme, professeure de mathématique dans un lycée technique alors qu’elle aurait préféré continuer à faire de la recherche sur les mathématiques. Lors d’une visite à son ancien professeur, directeur de sa thèse, il lui parle d’un certain Antonio meucci. Cet exilé italien a vécu à Cuba quelques années et aurait été l’inventeur du téléphone, avant Graham Bell. Elle va aussi rencontré un bel cubain, une touriste italienne, fascinée par cette île.
Tous les personnages vont faire des recherches sur cet Antonio Meucci et rechercher un document qui prouverait qu’il est le véritable et premier inventeur du téléphone et de plus, à Cuba.
Karla Suarez nous décrit parfaitement la vie cubaine dans les années 90, l’espoir de la Révolution, les désillusions, les privations mais aussi l’Histoire à travers ce personnage réel, qui était Antonio Meucci. Elle nous décrit alors la vie foisonnante des exilés italiens, espagnoles à Cuba au début du 19e siécle. Vie d’exilés que l’on retrouve encore quelques traces dans le Cuba actuel.
Ce livre est aussi un questionnement d’une femme face à ses choix personnels, dans sa vie quotidienne et amoureuse.
Ecrit à la première personne, ce livre peut se lire comme un roman historique, un roman d’espionnage, un roman d’amour ou la résolution d’une équation mathématique.
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quand la ville et tout ce qui nous entoure devient invivable, le mieux est de construire quelque chose, si petit que ce soit, mais quelque chose qui nous rende la saveur du mot avenir. Joli, non ? dit Euclides
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Karla Suarez - Le fils du héros
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