Difficile d'écrire une critique sur un livre aussi riche et bien écrit, surtout quand sa lecture a suscité, chez moi, beaucoup d'enthousiasme mais aussi quelques réticences. J'ai pris le temps d'affûter ma plume et vais tenter d'être le plus fidèle possible à mon ressenti sur ce premier roman ô combien prometteur !
Partant d'une situation politique à fort potentiel dramatique ET comique (que je vous laisse retrouver dans le résumé du livre ou les critiques passionnantes des autres Babelionautes), l'auteur déroule une histoire entraînante et originale. Mettant en scène une fin du monde plus sociale que catastrophique (même si l'une entraîne l'autre),
Franck Thomas propose un récit souffrant peut-être de quelques impressions de déjà-vu, mais qui sont bien vite effacées grâce un sens du burlesque incomparable. le rythme endiablé du vaudeville et le sarcasme sont à eux deux l'énergie qui fait avancer l'histoire. Ses personnages déjantés se mettent dans des situations improbables et font preuve d'un enthousiasme délirant pour aller toujours plus loin dans le malheur et l'idiotie. En fait, le comique de situation semble avoir été inventé par ce jeune écrivain, tant le roman en est truffé.
Le texte est par ailleurs porté par une écriture inventive et parfaitement maîtrisée. Complexes et pourtant limpides, les phrases permettent au lecteur de se laisser happer par l'histoire comme par un blockbuster tout en comprenant la subtilité et l'intelligence des propos de l'auteur. Et ceci, naturellement, tout en riant à gorge déployée. Car subtilité il y a dans la réflexion riche et intéressante que l'auteur développe grâce à cette histoire. A travers des humains qui, vivant leurs derniers jours, continuent désespérément à donner un sens (aussi insensé soit-il) à leur existence, il interroge l'absurdité de nos propres comportements. Des comportements aussi absurdes qu'un monde qu'on est parfois las de vouloir comprendre. Bien sûr, formulé comme tel, le propos semble lourd et harassant, alors qu'il est dans le livre fin et limpide.
« Sylvestre ne jouait pas aux petits trains : il recréait un univers selon ses règles, soumis à des caprices, un monde à sa guise, seul moyen de combattre l'autre, celui qui lui échappait en permanence malgré tous ses efforts. »
La légèreté de cette lecture, finalement, réside dans le ton de l'auteur. Un ton, vous l'aurez compris, sarcastique, caustique et éminemment critique sur nos sociétés actuelles et les relations géopolitiques internationales. Reste à savoir où il trouve les moyens d'être aussi drôle sur des sujets aussi sérieux, aussi critique tout en étant ouvert au débat, aussi subtil tout en faisant passer ce message…
Ce qu'il faut retenir de ce roman, c'est qu'il révèle un nouvel auteur doté d'un art de la narration rebondissant et étonnant. Il ne lâche pas son lecteur d'un mot pour le mener au bout de son histoire et utilise tout un tas de tactiques amusantes pour capter son attention : des transitions malines et drôlement efficaces, des apostrophes au lecteur pour l'impliquer dans la narration et un plaisir certain à mettre en scène son roman comme une pièce de théâtre dans laquelle les personnages sont constamment malmenés.
« Ce ne serait que bien plus tard, c'est-à-dire au cours du dernier chapitre de cette première partie que le reste du monde apprendrait l'effroyable nouvelle, et jalouserait alors certainement les quelques êtres d'exception que l'auteur, pour les remercier de leur confiance et de leur patience dans le lancement un peu long de cette histoire, avait choisi d'informer dès les premières lignes de ce roman. »
J'ai vu arriver certaines des dernières ficelles que tire l'auteur à la fin du roman… Mais me suis quand même laissé surprendre par l'ensemble et n'ai perdu aucun plaisir à lire les dernières pages. Elles sont à l'image du roman tout entier, c'est-à-dire tendues, en équilibre parfait sur le fil qui sépare la parodie du réalisme. Diablement juste et en même temps truculent !
Pour ceux à qui ce roman aurait plu, ou inversement, je vous conseille vivement la lecture du roman
Les premiers de
Xabi Molia. Celui-ci part d'une question très simple – Et si des citoyens tout à fait normaux devenaient soudainement des super-héros ? – pour réinterroger toute la société. Brillant !