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EAN : 9782370490599
320 pages
La Volte (15/03/2018)
3.66/5   93 notes
Résumé :
Une fable politique, dans la lignée de 1984, sur le contrôle social, la peur du changement et la plus insensée des révolutions. « Bienvenue à Amatka... où chacun joue un rôle, où le langage possède d'étranges propriétés et où rien - pas même la texture de la réalité - ne peut être garanti.» Ainsi se présente Amatka, cette austère colonie antarctique aux ambiances post-soviétiques. Amatka, lieu interdit à la dissidence et aux sentiments, espace exigu où la liberté ni... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (32) Voir plus Ajouter une critique
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Même si j'ai plein de romans chez moi qui attendent patiemment d'être lus, je ne peux jamais m'empêcher quand je me rends à la médiathèque d'aller faire un tour dans les rayonnages de SFFF. Bien entendu, je repars presque toujours avec un roman qui aura attiré ma curiosité.

Cette fois c'est Amatka édité par La Volte qui a attiré mon regard grâce à sa couverture et à son titre mystérieux. Après avoir lu la 4e de couvertures je ne pouvais faire autrement qu'emprunter ce dernier curieux de découvrir ce que proposait ici l'auteure Suédoise Karin Tidbeck.

On se trouve dans un univers sur lequel on sait peu de choses si ce n'est que c'est un nouveau monde, la population y semble très peu nombreuse et vit séparé en 4 colonies : la colonie d'Essre, centre administratif de toutes les autres, la colonie de Balbit dédié à la science et à la recherche, la colonie d'Odek, le centre industriel où sont fabriqués les objets du quotidien et enfin la colonie d'Amatka, le centre agricole où sont cultivés des champignons de toutes sortes.

Vanja vient d'Essre, elle est envoyée par son entreprise pour enquêter sur le type de produits d'hygiène utilisé par les habitants de la colonie. On découvre une colonie où tout le monde en apparence semble heureux mais qui vit sous un très étroit contrôle social par le comité qui gère tous les éléments de la vie de la population et ceux dès leur plus jeune âge. On découvre un monde instable où chaque objet, chaque mur, bâtisse, risque de s'écrouler à défaut d'être régulièrement marqué à l'écrit et à l'oral au risque sinon de les voir se transformer en bouilli informe. Un monde où la moindre parole peut avoir un impact sur son quotidien, sur la réalité, sur sa vie.

On découvre aussi un monde figé où les gens survivent dans un milieu climatique austère, très froid à l'image de leur quotidien terne et sans liberté où tout est contrôlé, automatisé, ou le changement fait peur, ou la collectivité est au centre de tout, les individualités gommées, et ou la lobotomie est employée en cas de dissidence pour le bien commun de la collectivité.

C'est un roman qui ne plaira pas à tout le monde je pense. Un rythme assez lent, c'est une histoire qui prend son temps, avec un univers juste assez esquissé pour nous permettre d'avoir quelques bases, et c'est à notre imaginaire de faire le reste. Il y a aussi tout au long de la lecture une certaine distance avec les personnages que j'ai trouvés assez froid, ceux-ci sont sans doute trop peu creusés pour que l'on puisse vraiment s'y attacher. Ce livre est assurément le plus étrange que j'ai lu depuis un long moment. Mélangeant les genres de l'imaginaire une fin qui m'a laissé perplexe, sans doute trop soudaine, trop abrupte par rapport au début du récit tout en abordant des thématiques très intéressantes

J'ai tourné les pages l'une après l'autre m'immergeant toujours un peu plus dans cet univers étrange à l'atmosphère qui l'est tout autant. Ce roman a pour moi tout son charme dans cette ambiance de plus étrange et mystérieuse qui se dégage au fil de la lecture et les sujets très intéressants qu'il aborde notamment par le caractère dystopique du récit, mais aussi tout le questionnement autour du langage, sur la force des mots, sur la transmission de la mémoire. Les sujets ne manquent pas et je suis sûr que tout le monde y trouvera son compte. C'est un roman assurément à découvrir, une découverte qui fut pour moi certes singulière mais que je ne regrette pas d'avoir fait.
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Amatka est un court roman de SF suédois dont j'ai particulièrement aimé la lecture. Il se déroule dans un monde qu'on pourrait dire... Soviétique? Les individus doivent s'y effacer pour laisser place au collectif. le travail y est une valeur primordiale et les opinions personnelles n'y ont pas leur place.

L'histoire se déroule dans une colonie où tout manque. On y parle d'une catastrophe passée sur laquelle le lecteur n'apprendra rien. On a l'impression que la Terre a pu avoir envoyé des colons de cet univers étrange où les lois de la physique sont différentes, puis le contact a été rompu. (C'est comme ça que j'ai comblé le manque d'information, mais je viens d'aller lire d'autres critiques, chacune avec une hypothèse légitime différente. C'est franchement amuser à spéculer au fil de la lecture, en fait.)

Le plus intéressant ici est que la cohésion de cet univers dépend des énoncés performatifs. Autrement dit : Tout dit être nommé et étiqueté pour ne pas perdre son identité. Les meubles, les bâtiments, les outils, etc. Une pelle qui ne serait pas désignée "Pelle" finira par se désagréger. C'est ainsi que le contrôle politique autoritaire se justifie. Cela prend une grande organisation pour nommer les choses, sinon le monde perdra sa consistance.

J'adore cette prémisse sur le pouvoir des mots. C'est d'ailleurs elle qui a permis au bouquin d'avoir un petit succès auprès des lecteurs de littérature réaliste. Parce que pour eux, la SF c'est non. Mais les allégories, ça passe.

(Et puis bon, on reconnaît un livre de SF qu'on essaie de vendre aux lecteurs de littérature blanche à sa comparaison obligatoire à 1984 sur la quatrième de couverture.)
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Karin Tidbeck est une autrice suédoise dont nous ne savons pas grand-chose en France. Si elle livre essentiellement des nouvelles, dans un registre généralement qualifié de weird, elle a cependant écrit ce roman, Amatka, en suédois en 2012, avant de le traduire elle-même en anglais en 2017 (d'où cette étrange mention concernant la traduction, car la camarade luvan s'est référée aux deux versions).



Amatka, c'est une colonie – une des quatre qui demeurent (il y en avait cinq, on évite d'en parler). Où se trouve cette colonie ? À vrai dire, nous n'en savons rien. Ce pourrait être sur Terre – mais on en doute un peu. Les colons sont venus d'un « ancien monde », mais l'expression est ambiguë, qui pourrait avoir des implications temporelles comme spatiales, voire les deux à la fois. Je me figurais quelque portail... Quoi qu'il en soit, ce monde inconnu est hostile – surtout en ce qu'il est vide et froid. Les animaux n'ont pas suivi les colons, pour quelque raison que ce soit.



La société des pionniers est au diapason de cette menace froide et vide, lourde de connotations d'immobilisme et d'inéluctabilité. C'est un régime communiste dans lequel l'individu n'est d'aucun poids face aux intérêts supérieurs du collectif. le Comité, qui dirige les pionniers, sait mieux qu'eux ce qui leur est profitable, et gère la vie des administrés dans une optique totalitaire. Tout dépend des choix du Comité, et implique un archivage qui aurait donné la nausée à un Joseph K. Les attributions et occupations de chacun sont décidées à sa place, l'habitat est nécessairement collectif, les enfants sont élevés en commun loin de leur parents, les loisirs sont obligatoires et ritualisés. La dissidence (qui est souvent simple curiosité ou vague malaise) est traquée et punie par la lobotomie (ce ne sont pas des barbares, ils ne tuent pas les opposants…), et l'autocritique est prisée, éventuellement dans des séances collectives nous ramenant aux meilleurs souvenirs de la Révolution Culturelle.



Ce qui convient très bien aux colons, qui n'ont de toute façon jamais rien connu d'autre. Et ne souhaitent rien connaître d'autre, pour l'essentiel. le monde des pionniers est celui d'un conservatisme fainéant, par défaut, monolithique – le changement n'est pas une option, trop inconfortable, trop incertain. Il y en a, cependant, comme notre héroïne Vanja de Brilar Essre Deux, envoyée à Amatka pour réaliser une enquête sur les pratiques, besoins et attentes des colons en matière d'hygiène (un boulot sacrément excitant), il y en a donc qui, sans trop savoir comment ni pourquoi, développent bien malgré eux le sentiment que « ça ne va pas », que « quelque chose ne va pas ». Une pente fatale, comme de juste – mais la frustration de ces quasi-dissidents les amène cependant à prendre des risques pour identifier leurs « semblables ». Avec de fortes probabilités que tout cela s'achève par une froide et dépassionnée lobotomie, garantie nécessaire de la perpétuation des intérêts supérieur du collectif.



À première vue, Amatka pourrait être une énième dystopie, et, de fait, les références ouvertes à 1984, notamment, ne manquent pas – on est tenté aussi, à tort ou à raison, de supposer une parenté avec la compatriote Karin Boye et sa Kallocaïne, antérieure. Cependant, ce roman assez bref parvient en définitive à se singulariser en raison de son ambiance remarquable, où d'une certaine manière le vide est aussi palpable que le froid, et où le poids de l'immobilisme des colons pèse sur la cage thoracique du lecteur au point de l'étouffer. Mais il se distingue également en mêlant à son propos dystopique un élément plus… étrange, et qui en même temps dispose de sa propre charge de réflexion politique, avec des implications qu'à tout prendre on devrait qualifier de vertigineuses.



En effet, dans le monde des pionniers, la réalité même, au sens le plus strict, l'existence des choses, s'avère pour une raison ou une autre instable. Si on ne rappelle pas aux objets qu'ils existent, je suppose qu'on pourrait le dire ainsi, alors ces objets sont menacés et, à terme, disparaissent purement et simplement. C'est pourquoi, sur un stylo, on écrit « stylo ». Ce marquage est plus souvent encore verbal : quand on entre dans une pièce, on énumère ce qui s'y trouve. Chaise. Table. Assiette. Etc. Mais cela va au-delà des petits objets du quotidien : on marque tout autant les bâtiments. Et peut-être les colons, d'une certaine manière, avec leurs identités descriptives à rallonge ? Eux ne semblent pas voués à disparaître, à se décomposer en un substrat gris et informe – celui au fond des champignons qui constituent leur seule pitance (je salue le camarade Gromovar parlant de « mycommunisme »). La disparition des colons est autrement prosaïque, et navrante de banalité : la mort ou la lobotomie. Mais tous les objets autour d'eux doivent être marqués sous peine d'anéantissement.



Pourtant, cette hantise des colons, dont l'environnement même est ainsi éphémère quand tout leur fait priser la perpétuation immobiliste (la notion même de « conservatisme » prend un sens très concret dans les colonies), cette préoccupation permanente révèle en même temps qu'ils disposent d'un certain pouvoir. En nommant, ils perpétuent – mais cela a ses corollaires : le choix de ne pas nommer décide de la disparition ; et le fait de nommer autre chose, ou autrement… permettrait en définitive le changement. Si la science-fiction est bien, comme on a pu le dire (ici, éventuellement), affaire de réification des métaphores, Amatka en livre une illustration des plus pertinente. En outre, le roman de Karin Tidbeck pervertit peut-être ainsi son modèle orwellien ? La novlangue de 1984 est demeurée à ce jour l'exemple même de l'accaparement du langage par l'autorité, découlant de la prise de conscience de ce qu'il est par essence politique : contrôler le langage, c'est contrôler ceux qui l'emploient – doubleplusbon pour le Grand-Frère. C'est aussi, dans la perspective éventuellement de l'hypothèse de Sapir-Whorf (je vous renvoie à l'excellent Comment parler à un alien ? de Frédéric Landragin), affecter directement la manière de penser, ou l'intelligence, des locuteurs. Tout ceci ressort à sa manière du roman de Karin Tidbeck, mais, en « chosifiant » plus que jamais le langage, en poussant à l'extrême l'idée que nommer fait exister, et que ne pas nommer fait disparaître, elle exprime, même à mots cachés (si l'on ose dire), le potentiel subversif du langage.



Un potentiel qui, par ailleurs, dépasse le seul champ verbal : le marquage, encore une fois, passe aussi par l'écriture – un stylo est un stylo parce qu'on écrit « stylo » dessus. Que dire alors d'un livre ? L'acte même d'écrire participe de cette perspective presque ésotérique des « mots de pouvoir ». La poésie unit Vanja de Brilar Essre Deux et le bibliothécaire, comme un secret jalousement partagé – même cette poésie en apparence sous contrôle, qui, dans son idéologie industrielle, a quelque chose des plus navrantes réalisations façon « réalisme socialiste », et en tant que telle n'aurait pas déparé dans un roman d'Antoine Volodine ou de ses avatars post-exotiques (Maria Soudaïeva, au hasard). Pourtant, ce n'est là qu'une façade : la poétesse, derrière ses odes aux installations agricoles d'Amatka, pesait mieux que quiconque le pouvoir destructeur et créateur des mots – leur faculté toujours ouverte de subversion. Mieux que quiconque… Peut-être pas mieux que le Comité, certes, qui valorise toujours plus les seuls mots froids du marquage – le papier manque, le bon papier comme celui de champignon : les poèmes peuvent bien disparaître pour que se maintienne, dans une absurdité archivistique, un monde terne qui n'a pas d'autre raison d'être que la perpétuation fainéante et triste de son implacable médiocrité.



Amatka est à n'en pas douter une réussite, un roman qui offre bien plus qu'il n'y paraît de prime abord. Son ambiance parfaite car éprouvante, sa pertinente bizarrerie, en font bien plus qu'une énième dystopie. Si les personnages manquent parfois un peu de corps, et si l'autrice, en dernier ressort, en fait parfois un peu trop, parfois pas assez (notamment dans les toutes dernières pages), ce roman bref mais dense, bien servi par la traduction fluide et évocatrice de luvan, constitue une très bonne surprise, et une lecture à recommander chaudement – ou froidement, allez savoir.



Livre.
Lien : http://nebalestuncon.over-bl..
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Amatka, pour des lendemains qui chantent

Amatka est le nom d'une des cinq colonies situées dans un monde étrange : s'agit il du futur de la Terre comme certains indices le laissent à penser; Ou d'une planète inconnue dont l'histoire aurait oublié les origines ? Ou des aliens ayant redécouvert la Terre après notre départ ou mort ?Toutes les pistes
Chaque colonie est spécialisée dans un domaine : agriculture, sciences... Les us et coutumes sont étranges, comme cette manière de nommer et marquer les choses afin que ces dernières ne perdent leur substance : le stylo est marqué Stylo et nommé Stylo, sous peine de le voir se transformer en mélasse. Ainsi en est-il de chaque construction, vêtements, meubles... Seuls quelques vestiges d'un temps ancien résiste à la dégradation.

Amatka, c'est l'histoire de Varja, venant de la colonie principale Essre. Elle doit mener une étude de marché à Amatka. Peu sûr d'elle, sa mission est en outre assez floue. Sans oublier que le Marché est un bien grand mot pour des colonies ayant comme politique un ersatz de communisme. La majorité des objets quotidiens proviennent de firmes d'Etat et les concitoyens d'Amatka ne sont pas très réceptifs à la nouveauté.

Peu à peu, dans les pas de Varja, nous devinons quelques éléments sur le fonctionnement totalitaire du gouvernement, de l'administration (le Comité) et de la vie quotidienne. Une vie faite de routine : travailler, marquer et nommer les choses. Et se multiplier !
Malgré cela, les habitants semblent satisfaits de leur situation, mais quelques éléments vont jeter une ombre sur ce bonheur, et la dissidence pourrait bien exister.

J'avais un peu peur d'un livre à message écrit au forceps, doublé d'une théorie ardue sur le langage, il n'en est rien. L'écriture est simple, l'atmosphère étouffante malgré le froid glacial, et les quelques éléments donnés sur la colonie donne envie de découvrir les mystères d'Amatka et de ses colonies-soeurs. Peu de réponses seront données, l'imagination du lecteur remplira les blancs. A la fin du roman, l'étrangeté demeure.

On ne peut s'empêcher de penser au célèbre 1984 d'Orwell et Amatka ne déparera pas à son côté sur l'étagère. On pourra reprocher des personnages assez binaires mais qui participent à l'atmosphère du livre. Je n'ai pas compris le parallèle avec le collectivisme. A l'époque d'Orwell, cela faisait sens, mais de nos jours...
Entre fable dystopique, SF et fantastique, une réflexion tout en douceur autour du pouvoir, de l'Etat, du langage et l'oppression qui peut en découler. Une très belle découverte. J'avais découvert l'auteur via la nouvelle Appel aux Armes pour la défense des droits des auteurs décédés sur le podcast de Coliopod. Nul doute que Karin Tidbeck sera sur ma liste des auteurs à suivre.

Au final, Amatka, c'est "un chant du faire et du défaire. Ils ne chantaient pas les choses telles qu'elles étaient, mais telles qu'elles pourraient être."
Et vous saurait à la fin comment plier les choses à votre volonté :
"Elle avait découvert la méthode la plus efficace : allier la parole, l'écrit et la pensée pour décrire en détail un objet n'existant pas au préalable. Et le faire advenir."
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Amatka avait beaucoup éveillé ma curiosité. J'aime la dystopie, je suis toujours curieuse de lire de la weird fiction. L'oeuvre de Karin Tidbeck avait donc de quoi attirer mon attention. Un monde étrange, glacial et mouvant, et une société limitée. Qu'en ai-je pensé ?

Amatka se situe dans ce qui semble être un futur étrange. Sommes-nous après une catastrophe, dans une humanité qui se reconstruit en quelques colonies éparses ? Dans l'espace, alors que des planètes étranges commencent à être conquises ? La localisation peu précise nous plonge dans ce monde hors du réal. Les citoyens vivent sous un régime qui leur impose un rythme de vie millimétré. La routine est très présente : se lever, travailler dans un domaine qui relève de ses compétences, marquer les objets… le tout sous la houlette du mystérieux comité, qui régente mystérieusement la vie des résidents.

On se rend compte petit à petit des contraintes du monde dans lequel on est. du point de vue de Vanja, elle commence par partir en mission à Amatka et ne se pose que peu de questions sur le monde qui l'entoure. Même si sa mission n'a pas vraiment de sens, mener une étude de marché dans un monde non-capitaliste n'est pas très utile. de notre point de vue, il y a pas mal de choses contraignantes dans cette société. D'abord, elle partage sa maison avec d'autres personnes qui ne l'ont pas choisi. Elle est par ailleurs surprise de voir qu'elle a un espace pour elle-seule. Les enfants vivent dans dans une autre maison. Tout geste affectif est strictement déconseillé, au risque d'être houspillé. C'est donc un monde très froid, littéralement comme dans les relations humaines.

Karin Tidbeck rythme son récit grâce à une écriture directe. Les phrases sont courtes, souvent simples. Ce style lapidaire se retrouve dans les rapports qu'écrit Vanja, qui sont comme mécaniques. L'écriture donne l'impression d'une douce imprécision. La lecture est très fluide, mais on a l'impression, du moins avant la fin du récit, que des choses sont éludées. C'était comme si la forme du récit représentait les non-dits mystérieux d'Amatka et de ses différents résidents. Ainsi, des personnages comme Ulla ou Nina ont un ton bien plus chaleureux.

Des néologismes existent, comme pour les jours de la semaine. Undi, Deuxdi… Une simplification du langage d'inspiration orwellienne qui montre une volonté de simplifier la pensée. C'est également un moyen utilisé pour unifier la culture. Fini les anciens noms de Dieu. Les nombres permettent de savoir où on en est dans la semaine sans évoquer des croyances païennes passées. En rendant neutres de nombreuses expressions, on bride toute forme de changement. Ce qui explique par ailleurs la grande méfiance des castes dirigeantes envers la poésie et la liberté de parole.

Par ailleurs, les habitants montrent une peur du changement très déstabilisante. Petit à petit, on constate avec Vanja d'autres étrangetés. Une centaine de résidents seraient morts dans un incendie. Des gens font part d'hallucinations dans des champignonnières. le Comité réclame soudainement du papier à la bibliothèque, ce qui contraint le bibliothécaire à se débarrasser de certaines archives. Amatka semble couver de nombreux secrets sous ses dehors de calme colonie glacée. Plus Vanja s'enfonce dans son enquête, plus les personnes la préviennent de manière sibylline qu'elle court des risques. Paranoïa ? Réalité ?

D'autant plus que dans cet univers, la pouvoir discursif a quelque chose de très littéral. Les objets sont marqués régulièrement pour éviter qu'ils ne se transforment en bouillasse informe. En tant que lectrice, je me suis très tôt poser la question de savoir si, du coup, « mal » nommé un objet avait un impact sur sa forme. Une théorie complètement validée par le fait que les personnes considérées comme dangereuses subissent une opération qui les empêche de prendre la parole. On comprend donc qu'ici, la parole a un rôle pour modifier directement la réalité. Elle devient même une arme de rébellion dans un système social normatif et contraignant se fondant sur le contrôle des individus.

Court mais efficace, Amatka nous met face à un propos pertinent dans une forme remarquable. L'autrice choisit un monde glacé pour nous montrer une société obsédée par le contrôle. Routine, droit, travail… Tout est dirigé par le mystérieux Comité, qui apprécie particulièrement la paperasse absurde. Vanja, contre-héroïne perdue, découvre petit à petit les étrangeté de la colonie. Disparitions mystérieuses, secrets, silence… Elle enquête petit à petit sur un monde dans lequel le langage est un pouvoir au sens premier et étroitement surveillé. le tout dans un style à la serpe qui sied parfaitement à l'ambiance mécanique du récit.
Lien : https://lageekosophe.com/202..
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critiques presse (2)
SciFiUniverse
20 août 2019
Amatka est un roman original, une dystopie étrange et politique qui n'est pas sans rappeler 1984 version Sibérie post-apo. Ce roman a une ambiance exceptionnelle où le froid transperce le lecteur et le vide le glace tout autant. La fin est rapide, étourdissante et poétique.
Lire la critique sur le site : SciFiUniverse
Elbakin.net
12 avril 2018
Un roman atypique, court, intrigant et souvent pertinent, mais qui ne parvient pas à transformer totalement l’essai.
Lire la critique sur le site : Elbakin.net
Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
La pièce était exiguë et ses parois tapissées d’étagères de livres, laissant tout juste assez de place pour une table de lecture centrale. Derrière le guichet, à côté de la porte, siégeait un homme replet arborant lunettes, barbe rousse et cheveux bouclés déjà clairsemés. Il remplissait de petites fiches.
Lorsque Vanja ferma la porte, il posa son stylo et leva sur elle des yeux d’un brun amène.
– Bienvenue.
– Merci.
Vanja resta sur place et inspecta l’intégralité de la pièce.
– Cherches-tu quelque chose en particulier ?
– Je suis en visite, dit Vanja. Je viens d’Essre.
– Et tu es entrée ici. (Le regard du bibliothécaire s’illumina sensiblement.) Connais-tu les auteurs d’Amatka ?
– Euh, non.
Le bibliothécaire se leva pour rejoindre l’étagère située au centre du mur opposé. Il pencha la tête sur le côté et parcourut les rangées de l’index avant de localiser un volume peu épais. Il le sortit et frotta délicatement la couverture.
– De la poésie, dit-il. Si tu veux apprendre à connaître Amatka, tu dois lire notre poésie. Ce recueil a été écrit par Anna de Berol. Très concis, très représentatif de notre culture.
Il rendit le livre à Vanja.
Elle le retourna. De la serre 3 avait été publié vingt ans auparavant : trois cent soixante-cinq poèmes décrivant en détail la serre 3. Vanja ouvrit le livre au hasard.

cinq heures vingt-deux parmi les betteraves
un glissement du voilé à l’acuité
les longs sillons de terre calcaire
le bruit de l’eau que pompent les racines

– Il est connu ? demanda Vanja.
– Très, très connu, répondit le bibliothécaire. Pas autant que De la serre 5, qui est de loin son plus populaire, mais notre exemplaire est sorti. Cela dit, on peut les lire dans l’ordre qu’on veut. Ils sont écrits de telle sorte qu’on puisse commencer n’importe où.
Selon la page de garde, la série était constituée de huit tomes, chacun décrivant une des serres périphériques.
– Anna a mis dix ans pour terminer cette série, renchérit-il. Le dernier livre est le plus abouti. Extrêmement dense. (Il souligna son propos d’un hochement de tête.) Je te conseille de commencer par un des autres.
Vanja garda l’ouvrage en main tout en explorant les étagères. La sélection était très similaire à celle d’Essre. La plupart des rayonnages étaient remplis d’essais, d’histoires des colonies et de biographies des Héros, ces citoyens s’étant distingués par leurs services rendus aux colonies, leurs actes et leur sens du sacrifice. Vanja sortit d’un rayonnage Des colonies, à destination des enfants. Ils l’avaient lu en classe. Vanja avait toujours voulu visiter les autres colonies. Elle s’était imaginée assise sur les rives de Balbit, ou contemplant les grandes usines d’Odek.
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Vanja de Brilar Essre Deux, assistante d’information auprès des Experts de l’hygiène d’Essre, était la seule passagère de l’autotrain pour Amatka. Dès qu’elle eut grimpé les marches, la porte se referma derrière elle et le train démarra d’un coup sec. Vanja raffermit sa prise sur sa besace et sa mallette de machine à écrire, puis, du pied, poussa sa valise de l’autre côté de la porte coulissante. Il faisait parfaitement noir. Elle tâta le mur et découvrit un interrupteur près du seuil. Une lumière jaillit, diffuse et jaune.
Le wagon voyageurs était un espace exigu, vide à l’exception de couchettes en vinyle marron flanquant les murs et de porte-bagages chargés de couvertures et d’oreillers plats, assez larges pour qu’on puisse également y dormir. La voiture était conçue pour la migration, le transport des pionniers à la conquête de nouveaux espaces, ce qui, en l’occurrence, ne présentait aucune utilité.
Vanja laissa ses affaires devant la porte et s’assit sur chacune des couchettes. Elles étaient aussi dures et peu confortables les unes que les autres. Leur revêtement, lisse d’apparence, se révéla rugueux et désagréable au toucher. Vanja choisit la banquette la plus éloignée de la porte, au fond à droite, juste à côté de la salle commune, d’où on voyait l’ensemble du compartiment. Ces lieux lui rappelaient vaguement le dortoir de la maison d’enfants 2 : mêmes matelas en vinyle sous les draps, même odeur tenace de corps. À cette différence que le dortoir regorgeait d’enfants et bourdonnait de voix.
Vanja inspecta la petite salle commune. Il n’y avait qu’une fenêtre, à droite. Basse et large, elle était dotée de bords arrondis et d’un store. À y regarder de plus près, l’ouverture s’avéra ne pas être une vitre ordinaire, mais un écran blanc s’allumant au moyen d’un interrupteur, simulacre de lumière naturelle probablement. Sous l’écran, une table boulonnée au sol et quatre chaises. En face, un des meubles encastrés abritait des toilettes sommaires et un lavabo ; l’autre, un garde-manger exigu rempli de conserves et de racines comestibles fraîches. On avait tout marqué au moyen de grandes lettres rassurantes : LAVABO, GARDE-MANGER, TABLE. Il régnait une légère odeur de fumier, provenant tout aussi bien des toilettes que des containers transportés à l’avant du train.
Vanja alla chercher sa valise et en défit les sangles. L’une semblait prête à céder. Vanja avait reçu ce bagage de quelqu’un l’ayant reçu de quelqu’un d’autre et ainsi de suite. Quoi qu’il en soit, il n’allait plus tenir très longtemps : le mot VALISE s’était presque estompé. Vanja aurait pu retracer les lettres, bien sûr, mais la question était de savoir ce qui se produirait en premier : la valise allait-elle partir en lambeaux du fait de son grand âge, ou se dissoudre une fois rangée ? Vanja devrait la mettre au rebut.
– Valise, murmura Vanja pour que l’objet conserve sa forme un tantinet plus longtemps. Valise, valise.
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Elle avait découvert la méthode la plus efficace : allier la parole, l’écrit et la pensée pour décrire en détail un objet n’existant pas au préalable. Et le faire advenir.
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On s’était occupé de cette femme. Comme on s’était occupé de Lars. Comme on s’occupait de tous ceux qui parlaient à tort et à travers. La peine de mort n’existait pas, dans les colonies. Mais il fallait empêcher les dissidents de mettre la communauté en péril. La procédure neurochirurgicale visant à oblitérer le centre du langage était une solution élégante.
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Seule une frêle coquille la séparait de l'étendue invisible qu'elle parcourait.
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Avec Karin Tidbeck, Sara Doke et Jean Dagron
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