Voici un recueil de cinq récits publiés en 1990 chez Stock dans la Bibliothèque Cosmopolite (devenue par la suite la collection " La Cosmopolite "). Il ne faut pas le confondre avec l'édition plus récente chez sillage qui ne reprend que trois de ces cinq récits.
Avant d'entrer dans le détail de ce recueil, j'aimerais m'attarder avec vous quelques instants sur ce genre peu fourni, peu spectaculaire, mal défini, mal exploité, ce véritable parent pauvre de la littérature qu'est le récit, genre qui pourtant sait parfois faire merveille, dans la bande dessinée par exemple.
Qu'est-ce qu'un récit ? Est-ce un genre ? Est-ce un sous-genre de quelque chose de plus vaste ? mais alors quoi ? Lorsque, comme quelques incurables toqué(e)s dont je fais partie, vous vous amusez à chercher une définition de ce " genre ", vous êtes bien en peine car ce terme, en français, recouvre deux notions distinctes : un type de narration et un genre littéraire.
On peut dire sans peur que le genre phare de la littérature actuelle, le
roman, s'appuie dans une large mesure sur le style narratif de type " récit ", d'où la confusion fréquente voire l'assimilation ou la fusion entre roman et récit.
Lorsqu'on s'intéresse, comme c'est mon cas ici, à la notion de genre littéraire, le plus simple est peut-être d'aller voir comment nos amis anglo-saxons distinguent les choses. Eux parlent de " fiction " et " non fiction ", et je crois qu'une fois encore, ils sont dans le vrai.
Ce qui définit mieux que tout le récit en tant que genre, c'est qu'il s'agit d'une écrit narratif non fictionnel, d'où l'adjonction fréquente d'une épithète : récit historique, récit autobiographique, récit de voyage, récit de guerre, récit d'aventure, etc. Mais lorsque le récit en question ne recouvre aucun des sous genres de récits sus-mentionnés, il ne nous reste que la malheureuse petite étiquette " récit ". Ça ne plaît décidément pas à certains qui s'ingénient à la faire disparaître en la remplaçant parfois par la fallacieuse appellation de " nouvelle ".
À la vérité, il existe peu d'exemples célèbres de représentants de ce genre et c'est bien dommage car certains succès de la BD actuelle nous démontrent que c'est possible et même souhaitab
le. Au XIXème, côté français, il y aurait peut-être le colossal Choses Vues de
Victor Hugo où la fameuse
correspondance de
Flaubert, mais, quoi qu'il arrive, les cas sont plutôt rares comparativement au foisonnement de la fiction.
C'est vrai, le véritable est souvent moins spectaculaire que l'aménagé, que l'apprêté, mais en est-il moins intéressant pour autant ? Alors il nous faut remercier
Ivan Tourguéniev de nous avoir légués, à nous autres Français, ces récits, dont trois se passent en France et font directement appel à des événements historiques réels auxquels l'auteur a assisté lors de ses séjours sur notre territoire.
Le premier d'entre-eux s'intitule Monsieur François et nous relate les quelques rencontres de l'auteur avec un individu original, un vieil érudit dont on ignore le nom véritable (tout comme
Tourguéniev). Un homme qui a des opinions très tranchées en 1848 après avoir roulé sa bosse aux quatre coins de la planète.
Un homme qui prédit juste, qui voit le destin qui attend son pays, quelques semaines avant les bouleversements de la révolution de 1848. On ne sait jamais trop quoi penser de cet original, qui glisse comme une anguil
le à chaque question de l'auteur qui pourrait le dévoiler intimement. Est-il issu de l'aristocratie ? Est-il républicain ? Anarchiste ? Royaliste ? Quel est son passé au-delà des épisodes fumants qu'il raconte et qu'on a parfois peine à croire ?...
Ensuite, l'auteur nous emmène directement au coeur de la tourmente de 1848 dans son second récit intitulé Les Nôtres M'Ont Envoyé.
Ivan Tourguéniev y décrit l'ambiance si particulière et inquiétante qui régnait lors des fameuses journées chaudes de la fin juin, alors que l'insurrection a débuté et que les gens sont cloîtrés chez eux sous peine de se faire arrêter et/ou fusiller s'ils s'aventurent à l'extérieur.
L'auteur ne s'autorise des sorties qu'au sein de son immeuble où habite également le révolutionnaire et poète allemand Georg Herwegh. Celui-ci doit se faire rejoindre par son fils, piégé en train par les événements. C'est alors qu'un homme du peuple, un très humble et fier vieillard, avec tous les risques que ça comporte, vient rendre visite à ces bourgeois étrangers pour leur annoncer une certaine nouvelle (que je ne vous dirai pas) en prétextant simplement que " les nôtres m'ont envoyé "...
Le récit le plus fameux et qui donne son titre au recueil est
L'Exécution de Troppmann. Il s'agissait d'un jeune criminel français né en Alsace, Jean-Baptiste Troppmann, condamné à mort à vingt ans pour l'assassinat de huit membres d'une même famille en 1870. Cette affaire, connue sous le nom de " massacre de Pantin ", a beaucoup ému en son temps et a fait l'objet de nombreux écrits par des auteurs de renoms tels que
Jules Barbey d'Aurevilly,
Alexandre Dumas ou
Gustave Flaubert, pour ne citer que quelques uns des grands noms associés à cette affaire.
Ivan Tourguéniev, quant à lui, a eu le " privilège " d'assister à sa mise à mort et c'est ce qu'il nous relate dans cette nouvelle. C'est un récit éminemment politique où l'auteur nous avoue qu'il se répugne lui-même d'avoir accepter d'assister à ce triste spectacle. Chemin faisant, ce récit devient un forme de plaidoyer contre la peine de mort, contre l'inhumanité, contre l'inutilité de cette peine.
Il décrit le comportement de la fou
le avide de voir le sang couler, de son pouvoir d'édification nul vis-à-vis du peuple et rejoint en ce sens certains de ses grands devanciers, au premier rang desquels on peut probablement placer
Victor Hugo.
Les deux autres récits, intitulés Un Incendie En Mer et Une Fin ont été dictés en français par
Tourguéniev à sa maîtresse de toujours,
Pauline Viardot, quelques semaines avant sa mort des suites d'un cancer.
Un Incendie En Mer relate un voyage entre Pétersbourg et Lübeck, dans le nord de l'Allemagne, où le jeune
Tourguéniev, alors âgé de dix-huit ans n'a manifestement pas fait preuve d'un très grand courage dans la réalité et s'est mis à se lamenter comme une jeune fille, tandis même que les jeunes filles manifestaient un grand courage. le récit a tendance à amoindrir la pusillanimité réelle de
Tourguéniev manifestée à cette occasion, laquelle couardise est reportée sur les hommes en général, et pas sur lui en particulier.
Pour terminer, Une Fin nous narre la mort tragique d'un original russe, issu d'une famille naguère noble et prospère et dont les générations successives ont dilapidé les biens par des coups d'éclats extravagants. le dernier représentant, Platon Sergéïtch Talagaïeff, en terme d'argent n'ayant plus rien, ne lui reste plus que l'extravagance, et ça, il en a à revendre.
Cependant, son extravagance et ses bravades n'étant pas forcément du goût de tout le monde, je vous laisse le loisir de découvrir par vous-même comment celles-ci le conduiront inéluctablement à une mort certaine.
Au total, un petit recueil agréable, qui se lit vite et facilement et qui, même s'il n'atteint pas des sommets, présente un réel intérêt. Mais ce n'est bien sûr que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.