L'objecteur

- La pelote de ficelle blanche, là. Eh bien, Josseline, vous ne la trouvez pas? Mais si, elle est sûrement là. Ouvrez les yeux, Josseline.
Mme Choyat se tourna vers lui
- Je vais vous faire un paquet bien solide, pour que vous puissiez l'attacher sur votre bicyclette.
- Merci, madame.
- Vous l'avez trouvée, Josseline?
Serrée dans une blouse blanche sale froncée à la taille par un
cordon, Josseline fit non de la tête. Ses mains tâtonnaient par derrière une rangée de livres et de cahiers.
- Alors, Josseline?
- Voilà.
- Il faudra un peu vous dégourdir, Josseline, dit avec une sorte de tranquille bonne humeur Mme Choyat. D'une main experte elle déroula la longueur de ficelle voulue et enveloppa dans une feuille de papier bleu-marine les gros volumes.
Les yeux mi-clos, baissés, avec des doigts mous et raides, Josseline s'occupait à trier des stylos dans un tiroir composé de deux casiers. Tous les stylos noirs dans un casier, tous les stylos couleur d'agate dans l'autre casier. Les mains dans les poches d'un veston trop large, il la regardait.
- Ça ne sera, pas long.
Un corps menu, sans souplesse, une chevelure écrasante,
un visage triangulaire avec de très longs cils et très peu de chair, d'épaisses lèvres sur une petite bouche, le menton légèrement lancé en avant, le front haut et bombé, elle soulevait entre le pouce et l'index de la main gauche un stylo noir, le posait dans le casier de droite; puis un autre.
- Vous avez des courroies pour l'amarrer, n'est-ce pas? dit Mme Choyat. Elle trottina prendre les grands ciseaux qui étaient suspendus à l'autre extrémité du magasin.

Il était neuf heures et demie mon lieutenant je faisais les cent pas devant la porte de la taule
Mon fusil sur l'épaule ça faisait une demi-heure que j'étais là quand tout à coup je lève la tête
Et qu'est-ce que je vois dans l'obscurité la silhouette d'un gars à cali f ourchon sur le mur il est en train d'avancer
Et j'ai pas le temps de dire ouf que voilà une autre silhouette qui fait un rétablissement et qui se met à califourchon sur le mur et qui se met à avancer et encore une et encore une
Ça y est que je me dis tous mes taulards qui se font la paire et je crie arrêtez ou je tire
Alors le gars qui était en tête de file il me dit t'es pas sonné petite tête
Arrêtez ou je tire que je crie à nouveau alors le gars qui était en tête de file il s'arrête et il dit
Crie pas si fort espèce d'enfoiré tu te crois à l'Opéra
Dis-moi ça fait combien de temps que t'es dans l'armée ça fait cinq semaines que je réponds
T'es un bleu ça se voit il dit en rigolant et ce serait-y par hasard la première fois que t'es de garde
Oui que je réponds
Bon alors f erme ta petite gueule et fous-nous la paix t'as encore pas mal de choses à apprendre mon petit gars
Qu'il dit et le voilà qui se remet à avancer à cali f ourchon le long du mur et il y a quatre types qui le suivent
Et je crie arrêtez ou je tire
Et j'épaule et je vise
Je vise le chef de file
Le con serait capable de tirer il y en a un qui dit
Les voilà qui s'arrêtent à nouveau le chef de file il dit tu auras bientôt fini de nous faire chier
J'ai la consigne de tirer que je dis
Après la troisième sommation j'ai la consigne de tirer sur les types qui se taillent descendez que je dis et j'entends les taulards qui se mettent à rigoler et moi je commence à transpirer
Il a jamais été de garde il a jamais été en taule non plus demande- lui s'il a jamais été en taule t'as jamais été en taule dis donc petit gars
Non que je réponds