Quelques années après avoir été portée sur les fonts baptismaux, la République de Djibouti peine à émerger. Les rêves surgis de l'indépendance à la fin des années soixante-dix sont en train de se muer en cauchemars pour le peuple. En plus du tribalisme, de la misère, du népotisme, une guerre civile déchire pays.
Mais quatre figures rêvant de fraternité, de prospérité, n'entendent pas comme la majorité se complaire dans cet embourbement de leur patrie. Il s'agit de Waïs, héros national et ancien marathonien, Dilleyta, intellectuel formé en URSS, le docteur Yonis, propriétaire d'un dispensaire dans le bidonville de
Balbala, et Anab, femme de ce dernier et soeur de Waïs. Leurs idées avant-gardistes et leurs opinions politiques ne tardent pas en effet à les mettre dans le collimateur du pouvoir autoritaire en place. Celui-ci leur colle une épithète : « le groupe de tous les dangers » ou « le quatuor subversif ». le marathonien est ainsi rapidement mis derrière les barreaux. Malheureusement le lecteur ignore presque tout de son séjour carcéral, le narrateur ne livrant que des informations au compte-gouttes sur le sujet.
Dilleyta aussi refuse de s'abandonner dans la compromission et le pourrissement de ses rêves, et rejoint le maquis, armé d'un fusil sans culasse. Il sait qu'il est incapable de tuer aucune âme qui vive mais cette arme qui ne tire pas symbolise son opposition contre les errements du régime. Là encore le lecteur ne connaîtra rien de sa vie dans la jungle.
Waïs meurt en prison. Sa soeur Anab consacre à présent toute son énergie à seconder son époux Yonis dans son dispensaire à
Balbala (d'où le titre du roman). Pour le couple maintenir vivant ce poste sanitaire dans ce « pays-croupion » où tout s'écroule, c'est entretenir la flamme de l'espoir d'un lendemain meilleur.
Ce récit choral est subdivisé en quatre parties, consacrée chacune en principe à un des quatre protagonistes principaux. Nous avons affaire avec un narrateur à la troisième personne très bavard qui a une inclination prononcée pour le discours, les commentaires au lieu de s'atteler à sa fonction première qui est de raconter l'histoire. Il ne se prive pas en outre de faire des coq-à-l'âne, opère des intrusions récurrentes dans le récit, et comme il délègue sporadiquement la parole à un des quatre protagonistes pour narrer une partie de son histoire, le lecteur perd parfois le repère et ne sait plus qui parle. Il est ainsi obligé de revenir en arrière pour essayer de délimiter les énonciations. En voie de conséquence, il y a peu d'histoire, beaucoup de discours. La langue du roman souffre de grandiloquence même si riche en vocabulaire. Une profusion de métaphores brouille parfois le sens des phrases. Enfin, j'ai apprécié des passages magnifiques jalonnant le livre, des éclaircies poétiques à couper le souffle.
En conclusion, comme vous l'aurez constaté, je n'ai pas été emballé vraiment par ce roman.
Voici un extrait que je trouve beau :
« Toute île est la pointe émergée d'un continent inabouti. Un destin en cours d'accomplissement. Il vous suffit de fouler n'importe quelle île pour comprendre cela. Une île c'est comme une chambre close avec des mouettes en guise de plafond. Des mouettes qui piquent pour venir effleurer les arbres. Ah, que l'histoire humaine est riche en archipel carcéraux ! Pour surveiller et punir, les régimes autoritaires ont toujours su transformer les lieus isolés en prisons avec vue imprenable sur les ténèbres, sur les abysses de la solitude. Une existence réduite, comme un os de seiche, à l'essentiel : survivre, survivre, survivre. »