Voici un livre étonnant, porté par la musique ,ce qui lui donne de la force mais un soupçon d'étrangeté, entre désir d'absolu, quête insoutenable , besoin d'aller loin, très loin jusqu'aux limites interdites , différents questionnements, aux frontières de tabous….. pour vivre , vraiment aimer fort, mais à quel prix .!
Entre Cauchemar et songe !
Un ballet qui dérange et déstabilise, où les mains y sont une obsession ….
Mains esclaves , mains soumises ,mains virtuoses, mains intelligentes ….
N'en disons pas plus ….
Trois personnages se rencontrent qui n'avaient , à priori , aucune chance de le faire et que tout oppose: Elvire , musicienne : violoncelliste talentueuse.
.Elle joue avec précision et générosité , parfaitement intégrée à l'orchestre , donne corps à l'ensemble , Elvire , l'emmerdeuse, celle qui déborde et éblouit aussi, seule la pratique intensive du violoncelle lui procure une jubilation : elle aime Yann, personnage dont on ne sait pas grand chose au fond, lui aussi éperdument amoureux, sans limites , sauf qu'il fera tout pour conserver l'amour d'Elvire , là où c'est interdit …
Enfin Mina venue de son Maroc pour être libre , femme de ménage surnommée « Éponge » à cause de sa tendance à absorber , intégrer le malheur des autres …..dans la dépendance et la soumission à ces deux - là , en fait elle est très seule ….elle cherche à bouleverser son existence …
Elle n'a jamais eu d'ennemi : Yann devient le premier , comme une laisse, à l'autre bout d'elle …
Un roman qui m'a mise un peu mal à l'aise , entre morsures , bagarre, domination ,désir de meurtre ,écarts , pulsions , imperfections, horreur …..questionnements entre attirance et répulsion, désir fou d'absolu , trois existences se croisant , trois parcours de vie , une quête fascinante , sans limites …..
Le lecteur , pétri d'émotions contraires , perçoit la beauté incomparable d'un amour , une ode à la musique , une dévotion jusqu'à assouvir l'insensé : un parcours culturel humain original !
Très difficile de commenter cette oeuvre vantée par mon libraire !
Une deuxième lecture ne sera pas de trop , plus tard !
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Ce court roman réussi à plonger le lecteur dans une ambiance très particulière, entre songe et cauchemar où l'étrange est poussé aux limites du dégoût et de l'interdit. On lit par voyeurisme, on tourne les pages comme on arrive pas à détourner le regard d'un accident de voiture. A l'image des personnage, on satisfait nos pulsions malsaines au fil de cette lecture.
Il y a dans le style d'écriture quelque chose de particulier aussi, étrange, percutant mais poétique.
Mais il y a aussi un petit quelque chose qui manque. Peut-être un peu plus de développement des personnages, de leurs relations ? Un peu plus de temps de narration ? Une fin plus inattendue ? Ce roman ferait une excellente adaptation en pièce de théâtre.
Merci à Babelio et aux Editions La Contre Allée pour cette proposition de lecture. On aime se faire un peu bousculer de temps en temps et pour le coup, ce n'est pas loupé.
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Mon avis sur ce livre est plutôt mitigé, cette lecture a été un peu déstabilisante. J'ai trouvé l'histoire très spéciale, et les protagonistes totalement étranges. Mais pourtant j'ai été captivée par cette folie. A chaque pages tournées je voulais savoir ce que Yann, Elvire et Mina allaient faire, jusqu'où ils seraient capables d'aller.
J'ai apprécié l'écriture du roman. Un roman avec des phrases courtes et lyrics, ce qui accentue l'omniprésence de la musique et rend la lecture fluide et simple. Cela crée également un contraste avec la sauvagerie des protagonistes.
Une lecture aussi bien captivante que déstabilisante.
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(Les premières pages du livre)
Elvire se sent bien. Bien comme tranquille. Comme après un bain de mer. La peau détendue, lâchée. Elle ne veut rien. Elle n’a pas d’avis. Ça la repose de ne pas avoir d’avis, d’être neutre. Et la neutralité fait son effet habituel. Celui de laisser les gens en paix cinq minutes. Elle se frotte les yeux exagérément et ça aussi ça la détend. Les mains dans les yeux, on ne le fait jamais assez. On oublie.
Dans cet état, il n’y a plus rien de chamaillé en elle, le tracas s’est effondré, à même le sol. Elle pense à Yann.
Elle se dit que l’autre compte. Tous les autres. Et elle se frotte à nouveau les yeux. Ce soir, j’ai un concert. Faut que je me concentre un peu.
Elle est dans sa douche. Celle d’avant l’entrée en scène. Depuis cet après-midi, elle expulse. Ses pensées vont faire un tour dehors. Dedans, c’est blanc maintenant. L’eau glisse sur son corps et finit le travail d’épuration. Puis elle se sèche lentement, se prépare lentement et s’étend jusqu’à ce qu’on vienne la chercher. Ça toque à la porte. Il est temps d’y aller.
Elle marche au ralenti. On marche toujours au ralenti quand on va monter sur scène. Elle traverse le rideau, comme si elle traversait un mur de beurre et avance sans hésiter, toujours au ralenti, jusqu’à son instrument installé au milieu de la scène face au public. Elle salue, s’assoit et attaque le prélude de la Suite n° 1 en sol majeur de Bach.
Les yeux du public sont rivés sur elle, sur ses doigts qui dévoilent toute la blancheur du dedans. Un homme crie dans la salle. Immédiatement les « chut » fusent et les regards se tournent vers celui qui perturbe. La musicienne n’entend rien, elle joue, mais elle sait. Elle sait à qui appartiennent ces cris d’orage. C’est Yann.
Il ne s’est rien passé. Rien de catastrophique. Yann s’est tu et elle a continué de jouer sa suite en sol majeur. Jusqu’à la fin. Jusqu’aux applaudissements. De longs applaudissements. C’est après qu’elle est devenue étrange. La transformation, c’est après qu’elle a eu lieu, quand le théâtre s’est vidé. Presque une bête. Avec des mouvements incertains, vifs et maladroits. À se cogner aux murs, aux chaises, aux coins de tout. Je vais manger quelqu’un, a-t-elle pensé. C’est sûr, il faut que je dévore. Je veux ce gout dans ma bouche. Un gout de chair. Il me faut ça.
Elle a un peu bavé seule dans sa loge. Elle a grogné aussi. Puis le calme est revenu. Quelques tics cependant.
Manger quelqu’un, ce n’est pas la première fois qu’elle y pense. Ce n’est pas la première fois que cette envie surgit. Elle sait que c’est impossible. On ne mange pas les gens. Les faits divers, elle les connait. C’est un écœurement pour tout le monde. On est complè¬tement fou si on mange de la chair humaine. Elle en a bien conscience. Mais elle aimerait qu’il existe la possibilité de le faire. Alors elle le ferait. Elle sourit en y pensant. Elle sourit d’être différente. Ça lui va de l’être. Elle fait déjà le boulot de la musique qui n’est pas si courant, qui étonne quand elle le dit. Je suis violoncelliste. Oui, c’est mon métier. Ça épate et ça fait froncer les sourcils. La singularité fait froncer les sourcils. On ne sait pas si c’est bien ou si c’est mal. On se dit juste que ce ne doit pas être facile.
Quand le régisseur du théâtre vient lui dire qu’il va fermer, elle le regarde avec appétit puis elle détourne les yeux en rangeant ses affaires et le suit vers la sortie. Il n’y a plus de spectateurs sur le parvis, elle en est soulagée, ce soir elle n’avait pas envie de parler, d’écouter les compliments, de sourire pour faire plaisir. Son état ne lui aurait pas permis de se plier aux convenances d’usage. Parfois, elle y va. Elle va recevoir quelques flatteries. Mais très souvent, elle reste terrée dans sa loge. Ses proches le savent et l’acceptent. Elvire est un peu sauvage, disent-ils entre eux.
Dehors, l’air vivant circule. Elle avance dans cette circulation. Elle voudrait remuer l’espace. Elle fait des détours pour rentrer chez elle, traverse quelques terrasses en essayant de renverser une table ou au moins un verre sur une table. Un verre qui tombe ce n’est rien. C’est un accident. On peut s’excuser. On peut toujours s’excuser.
La nuit piétine. Il n’y a pas de cadre bousculé.
Elle prend son téléphone et appelle Yann. Pourquoi a-t-il hurlé dans la salle ? Ça ne lui a pas plu. Ça complique. Pour créer un évènement, dit-il. Tu sais bien que cette ambiance est étouffante. Tous ces regards sur toi. Ce besoin qu’ont les gens d’être en osmose avec ta musique. On ne le supporte pas tous les deux. Il faut que quelque chose d’autre se passe. Et mes cris sont sortis tout seuls. Pour toi. J’ai cherché un endroit opportun dans ta parti¬tion. Tu n’as pas trouvé qu’on était ensemble à ce moment-là ? Tu n’as pas trouvé ? Hein ? Tu n’as pas trouvé ?
Elle laisse courir le discours de Yann sans y prêter attention. Elle admet tout de lui. C’est une histoire réglée. Il peut tout faire, même n’importe quoi.
Elvire est seule dans son appartement maintenant. Elle jette ses habits par terre, comme ça d’un seul coup, comme elle en a l’habitude. Ses habits épar¬pillés. Taches de tissu sur le carrelage. Elle n’allume aucune lampe. Les lumières extérieures, celles de la rue, suffisent. Cette pénombre lui permet d’être elle-même. Plus précisément. La femme qu’elle sait qu’elle est. Dans la pénombre, elle sait.
Elle attendra Yann toute la nuit, ce qu’il reste de toute la nuit. Elle est persuadée qu’il finira par venir. Même à l’aube, elle sera là à l’attendre. Cela existe, les nuits de certitude.
Elle regarde le dessus de ses mains. Elle lit sa vie sur le dessus de ses mains. Pas à l’intérieur comme les gitanes. Non, dessus. La vie c’est dessus. Et elle répète deux mots en boucle, comme un mantra.
Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains.
À chaque syllabe, elle enfonce un clou. Cette litanie la berce, la console, de quoi elle l’ignore, on a toujours besoin d’être consolé. Un réconfort se fait sentir, elle embrasse chacune de ses mains, les lèche un peu aussi, puis elle se tait.
Ma peau est un couloir qui résonne à mort, pense-t-elle encore. Ensuite elle ne pense plus rien. Elle reste une heure ou deux à savoir qui elle est, puis elle entend des clefs tourner dans la serrure. Yann.
Il entre. N’allume pas la lumière. Ce serait enfreindre leur consentement à l’obscurité. Il se tient aux murs pour avancer. Elle l’observe tâtonner, hésiter, trébucher. Elle rit de notre inaptitude à nous diriger sans y voir.
« Elle entre dans la salle de répétition , s’installe en râlant, déteste être là aujourd’hui .
Elle voudrait tous les insulter , leur arracher les doigts, les yeux, tout ce qu’il y a de plus arrachable.
Elle leur en veut d’y arriver, d’être une entité , une famille, quand elle ne fait que se dresser contre , se rebeller.
Elle est dans la plus mauvaise des humeurs » ….
« Lorsque je sors de chez moi, je compte sur un événement qui bouleversera ma vie » …
EMMANUEL BOVE, Mes amis.
Les compliments en général, elle n'y croit pas, ne les écoute même pas. Elle sait que les autres s'émoussent, que de dire du bien leur fait du bien, elle sait que la réalité de l'émotion est ailleurs. Dans le mutisme. Les émotions sont muettes. Et sourdes aussi.
Il y avait des choses impensables qu'il était pourtant possible de faire sans que cela ne change rien pour personne, sauf pour moi. Mon terrain de jeu devenait immense.
Nathalie Yot présente... Tribu (Sortie le 18 février 2022)